SOURCE: LES CRISES
Voici dix choses à dire et à ne pas dire, avec des exemples et des citations de militants de la décolonisation.
Source: LA Progressive, Marcy Winograd
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Si nous voulons décoloniser la Palestine et toutes les terres que les États-Unis, Israël et les États clients occupent et génocident (oui, le verbe existe), nous devons décoloniser notre discours, notre vocabulaire, notre langage et la façon dont nous formulons les choses. Les mots peuvent non seulement faire évoluer notre propre pensée, mais aussi celle des gens autour de nous qui sont susceptibles de réfléchir à nos paroles longtemps après la fin d’une conversation, au point de remettre en question leurs présupposés antérieurs. Voici dix choses à dire et à ne pas dire, avec des exemples et des citations de défenseurs de la décolonisation et de la démilitarisation :
1. Il faut dire « budget militaire » ou « budget de guerre » ou « entrepreneurs militaires » ou « entrepreneurs de guerre » ou « marchands de mort » lorsque vous faites référence au budget de la « défense » et aux profiteurs de guerre.
L’expression « marchands de mort » remonte aux jours qui ont suivi la Première Guerre mondiale, lorsque la commission sénatoriale des munitions [commission créée à la suite d’informations largement répandues selon lesquelles les fabricants d’armements avaient indûment influencé la décision des États-Unis d’entrer en guerre en 1917, NdT] a procédé à 93 auditions, interrogeant 200 témoins, dont le banquier d’affaires J. P. Morgan Jr, au sujet de l’influence indue des profiteurs de guerre sur la décision d’entrer en guerre.
Sam Pizzigati écrit dans American Merchants of Death-Then and Now (Les marchands de mort américains d’hier et d’aujourd’hui) :
« Au milieu des années 1930, le monde nageait dans un océan d’armes de guerre, et les gens encore sous le choc de la Première Guerre mondiale – la « Grande Guerre » – voulaient en connaître la raison. À cette fin, aux États-Unis, les partisans de la paix « ont suivi la piste de l’argent ». Ils se sont vite rendu compte que de nombreux magnats américains s’enrichissaient grâce à la préparation de la guerre. Ces « marchands de mort » – appellation très imagée de l’époque pour désigner les profiteurs de guerre – avaient tout intérêt à pérenniser la course à l’armement qui rend les guerres plus probables. Selon des millions d’Américains, l’Amérique devait faire en sorte que la guerre ne soit plus une source de profit.
Il ne faut pas dire « budget de la défense » ou « entrepreneurs de la défense » ou « Secrétaire à la défense ».
Le budget de près de mille milliards de dollars que le gouvernement américain consacre à l’armement – bombes de type bunker busters, avions d’attaque, missiles, ogives nucléaires – n’est pas à but défensif mais bien à but offensif. Les 750 bases militaires du Pentagone dans 80 pays, les exercices de guerre dans le Pacifique et les milliards de dollars de transferts d’armes à Israël suscitent une indignation mondiale qui compromet la sécurité des États-Unis. Les marchands d’armes qui profitent de cette barbarie ne passent pas de contrats pour nous défendre, mais pour tirer profit de la mort et de la destruction.
2. Il faut dire « résidents des États Unis, ou public des États Unis » lorsque vous parlez de gens aux Etats Unis, car cette référence est spécifique et ne présente alors pas les Etats Unis comme l’unique représentant des Amériques.
Il ne faut pas dire « Amérique » et « Américains » si on parle uniquement des États-Unis.
Les États-Unis ne sont qu’un seul des pays des Amériques et ils ne représentent pas plus qu’ils ne parlent au nom de toute l’Amérique : Nord, Centrale et Sud, qui compte 42 pays !
3. Il faut dire « colons-colonialistes » ou « colons-terroristes » ou « colons-pyromanes » ou « colonies terroristes » – quand on fait référence à ce qui est souvent décrit comme étant simplement des « colons » et des « colonies ». Au lieu du verbe « implanter », il faut envisager d’utiliser le verbe « spolier » ou l’expression « voler à des fins de colonisation ».
« Au cours des siècles, nos terres sacrées nous ont été volées à maintes reprises et régulièrement par les gouvernements et les populations des États-Unis et du Canada. » Leonard Peltier Prison Writings : My Life is My Sundance. [Écrits de prison : Ma vie est ma danse au soleil, en évoquant la danse du soleil, dans laquelle la douleur conduit à une réalité transcendante, Peltier explore sa souffrance et les enseignements qu’elle lui a apportés, NdT]
Il ne faut pas se contenter de dire « s’installer » ou « colons » ou « colonies » – tous ces termes semblent anodins, sont hors de contexte et laissent penser que des gens épris d’aventure se sont pris en main pour construire des maisons sur des terrains vacants et n’ont pas volés ces terres sous la menace des armes ou n’ont pas mis le feu aux maisons des gens pour voler leurs biens.
4. Il faut dire « génocide perpétré par Israël à Gaza » ou « guerre génocidaire contre (et non à) Gaza » plutôt que « conflit israélo-palestinien » parce qu’Israël bombarde sans relâche les civils palestiniens, détruisant les hôpitaux, les écoles et les centres de réfugiés, tout en instaurant un blocus de l’eau, de la nourriture et des médicaments afin d’imposer une famine systématique à l’encontre de 2,3 millions de personnes. L’assaut d’Israël contre Gaza répond aux critères de la Convention des Nations unies sur le génocide, qui définit le génocide ainsi : « La soumission intentionnelle d’un groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle. »
Exemple : La guerre génocidaire d’Israël contre les Palestiniens de Gaza – qui, avec ceux de Cisjordanie, de Jérusalem-Est et au sein d’Israël même, ont été enrôlés pour servir, à leur corps défendant, de personnification de l’ennemi historique d’Israël – a engendré une affliction et une douleur inimaginables. (Angela Davis : Standing with Palestinians, Hammer & Hope, printemps 2024).
Il faut utiliser « génocide » comme un verbe, même si le dictionnaire dit que c’est seulement un nom. Les verbes sont des mots forts, donc lorsqu’on transforme un nom en verbe ou qu’on le verbifie, on ajoute un sentiment d’immédiateté et d’urgence.
Il ne faut pas dire guerre Israël-Hamas parce qu’une guerre implique que les deux parties sont à égalité, avec les mêmes armes et le même pouvoir politique.
« Il ne s’agit pas d’un assaut. Ce n’est pas une invasion. Ce n’est même pas une guerre. C’est un génocide. » (Andrew Mitrovica. Chroniqueur d’Al Jazeera. 14 octobre 2023.)
De même, il ne faut pas parler de conflit israélo-palestinien pour évoquer l’occupation et le nettoyage ethnique de la Palestine par Israël. Le mot « conflit » suggère à tort que les parties sont égales, ce qui conduit souvent à dire « c’est trop compliqué » – une autre impasse dans la conversation.
Il faut également éviter les mots « campagne militaire » comme dans « Israël a lancé sa campagne militaire le 7 octobre, déclarant que son objectif était de détruire le Hamas ». (Il ne s’agit pas d’une campagne de porte-à-porte, de pétitions et de poignées de main, mais d’un assaut génocidaire contre 2,3 millions de Palestiniens, dont la plupart n’ont rien à voir avec l’attaque du Hamas contre Israël, mais qui sont néanmoins piégés dans un camp de concentration.
5. Il faut utiliser le mot « torture » lorsqu’il s’agit d’un crime qui répond aux critères de la Convention des Nations unies contre la torture, qui stipule : « La torture s’entend de tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, ou de la punir d’un acte qu’elle ou qu’une tierce personne a commis. »
Dans l’émission Democracy Now (27/08/24), Amy Goodman met en avant une enquête de Human Rights Watch sur les actes de tortures infligées par Israël aux prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes.
Un nouveau rapport de Human Rights Watch décrit en détail les terribles épreuves endurées par huit médecins, infirmières et auxiliaires médicaux récemment détenus dans des prisons israéliennes, où ils ont décrit avoir eu les yeux bandés, avoir été battus, avoir été maintenus dans des positions de stress forcé et avoir été menottés pendant de longues périodes. Ils ont également fait état de tortures, y compris de viols et d’abus sexuels, perpétrés par les forces israéliennes.
Il ne faut pas parler de « mesures coercitives » quand on parle des colonisateurs qui infligent à leurs prisonniers des tortures par simulacre de noyade, des amputations, la famine, des viols et d’autres horreurs.
6. Il faut utiliser la forme active pour montrer que le sujet de la phrase exécute l’action à l’encontre de l’objet.
Depuis le 7 octobre, Israël a tué plus de 40 000 habitants de Gaza et sommé deux millions d’entre eux d’abandonner leurs maisons.
Il ne faut pas utiliser la forme passive.
La forme passive place l’objet de la phrase avant le verbe et peut se dispenser de préciser la personne, les personnes ou le pays qui commet l’atrocité.
Forme passive : « Depuis le 7 octobre, plus de 40 000 habitants de Gaza ont été tués et on estime à deux millions le nombre de sans-abri. » Mais qui est responsable de ces meurtres ? Et qui a arraché des millions de personnes de leur foyer ? Nous ne le savons pas. Les gens utilisent la forme passive quand il s’git d’éviter de tenir les coupables pour responsables.
7. Il faut utiliser le terme « armes » et être précis lorsqu’il s’agit de ce que certains qualifient d’« armes défensives ».
Exemple : « Le président Biden a récemment approuvé l’octroi de 20 milliards de dollars supplémentaires pour l’achat d’armes (avions d’attaque, missiles) dans le cadre du génocide perpétré par Israël à Gaza. »
Il ne faut pas utiliser le terme « armes défensives » car les armes dites défensives, telles que les « boucliers antimissiles », permettent à l’agresseur de renforcer son escalade sans crainte de représailles. Une arme « défensive » peut être utilisée à des fins offensives.
8. Il faut dire « forces d’occupation israéliennes » quand on se réfère à l’armée israélienne, car celle-ci s’empare de la terre, de l’air et de la mer à Gaza, à Jérusalem-Est, en Cisjordanie et au sein d’Israël en deça de la ligne verte d’avant 1976, zone où Israël a expulsé 800 000 Palestiniens lors de la Nakba de 1948, la catastrophe de l’épuration ethnique.
Il ne faut pas dire « Forces de défense israéliennes » en effet, Israël est l’agresseur qui organise l’occupation, la terreur et le génocide des Palestiniens.
9. Il faut parler de « réarmement nucléaire » quand on fait référence au développement de nouvelles armes nucléaires par les États-Unis.
Les États-Unis, en violation du traité de non-prolifération nucléaire des Nations unies, poursuivent leur réarmement nucléaire, développant des ogives au moins 20 fois plus meurtrières que la bombe atomique qui a consumé 200 000 Japonais à Hiroshima et Nagasaki en 1945.
Il ne faut pas dire « modernisation nucléaire », car les États-Unis ne sont pas en train de procéder à une « modernisation » – un terme anodin qui fait penser à la redécoration de sa cuisine. Les États-Unis ne sont pas en train de moderniser leurs armes nucléaires, au contraire, ils procèdent à un réarmement nucléaire qui leur permettra à terme de consacrer un budget de plus de mille milliards de dollars à la production de nouvelles ogives nucléaires.
MAUVAIS USAGE : « Le but de la politique nucléaire des États-Unis est de dissuader la Russie grâce à la modernisation de son arsenal. » (CNN, 3/1/18)
10. Il faut parler d’ « exercices militaires » ou « exercices de guerre » lorsqu’on fait référence aux vastes manœuvres militaires menées par les États-Unis dans le cadre de la préparation d’une guerre.
Les militants hawaïens Kawena’ulaokalã Kapahua et Joy Lehuanani Enomoto écrivent dans US-Led Military Exercises in Pacific Wreak Havoc : « Tous les deux ans, le Centre de commandement Indo-Pacifique des États-Unis organise les plus grands exercices de guerre maritime de la planète. » […] « RIMPAC, qui est un véritable symbole de l’empire américain, a des ramifications environnementales et culturelles considérables. D’un point de vue géopolitique, les exercices sont utilisés pour contrôler les routes commerciales, former des régimes génocidaires et se positionner face à la Chine. » [Le RIMPAC est un exercice militaire réalisé tous les deux ans par différentes marines nationales sous la direction de l’United States Pacific Command (Commandement du Pacifique, PACOM) au large de Hawaï, aux États-Unis, NdT]
Il ne faut pas dire « jeux de guerre » quand on parle de RIMPAC (Rim of the Pacific), un exercice militaire réunissant 29 pays et impliquant 40 navires, trois sous-marins, 150 avions de combat et 25 000 militaires sur l’île d’Oahu et dans les eaux au large d’Hawaï – tout cela pour se préparer à une guerre contre la Chine. Le mot « jeux » fait penser à des charades, au backgammon ou au football, et non à des exercices en vue d’une troisième guerre mondiale qui pourrait mettre fin à la race humaine.
Ce sont là quelques-unes des choses qu’il faut dire et ne pas dire et dont il faut tenir compte si on veut décoloniser notre discours afin d’éviter de renforcer involontairement le statu quo de l’impérialisme, du pillage et de l’assujettissement. Il ne s’agit pas ici de vouloir que les anti-impérialistes deviennent des flics du langage, régulant les mots et les expressions ou, pire encore, en arrivant à ce que ceux-ci s’annulent mutuellement en les euphémisant.
À l’heure où nous rêvons de pouvoir mettre un terme au génocide perpétré par les États-Unis et Israël, où nous assistons, incrédules, au spectacle d’une sociopathie totale et d’une complicité mondiale dans les atrocités en cours, nous devons continuer à manifester, à déranger et à nous organiser, à élever notre voix vers le ciel pour résister, tout en choisissant calmement nos mots, avec détermination.
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Marcy Winograd est membre de Jewish Voice for Peace (Voix juive pour la paix) et copréside la Central Coast Antiwar Coalition.
Source: LA Progressive, Marcy Winograd, 03-09-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises