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jeudi 12 septembre 2024

Guy Debord à la fête de l'Humanité en 1955

[Source -> Guy Debord, Correspondance, volume "0" (septembre 1951- juillet 1957), Librairie Arthème Fayard, 2010, p. 71]
 
  
– Extrait de lettre de Guy Debord à Gil J Wolman du mercredi 7 septembre 1955 –

Je me suis finalement rendu à la fête de l'Huma [fête annuelle organisée par le journal L'Humanité], le samedi soir assez tard: assez jolies tendances à la dérive – dans l'avenue Lénine qui commence un peu partout on s'entend crier par haut-parleurs. "camarades, buvez un verre de (mousseux) contre la répression en Algérie"

ou: 

"Mangez une choucroute pour les métallos de Nantes"

et même:

"Buvez de la vodka de Moscou – 80 francs le verre, pour la détente..."

ou à peu de choses près.

On aboutit à quelques places très floues perdus dans des petits bosquets d'arbres, et dites: de l'unité, Karl Marx, etc.

Mais aussi l'iconographie habituelle, le portrait de Maurice [Thorez, secrétaire du parti communiste français] partout  – des chansons idiotes, du folklore à n'y pas croire, les communistes d'Auvergne étant vêtus en Auvergnats, ceux de Brest en Bretons, et ainsi de suite: Louis XVI n'aurait pu souhaiter mieux.

Relevé sur un stand de librairie en lettres énormes: une phrase de Lénine juge tristement cette kermesse:

SANS THÉORIE RÉVOLUTIONNAIRE PAS D'ACTION RÉVOLUTIONNAIRE.

Nous fûmes bien seul à rire.

*** 

Fête de L'Humanité 1946


 

Le désordre (Jacques Baratier, 1950)

 Dès le début on entend les onomatopées lettristes de Gabriel Pomerand. C'est aussi lui que l'on voit en premier, remontant des quais pour entrer dans le Saint-Germain existentialiste-lettriste. Et après Boris Vian à la trompette, puis toutes les autres "figures", Jacques Audiberti dans les décombres de guerre, Juliette Greco qui y chante, croisant Marcello Pagliero et Raymond Queneau. Tout le Paris bohème passe du Flore aux caves: Simone de Beauvoir, Annabelle, Roger Pierre, Anne-Marie Cazalis, Alexandre Astruc, Claude Luter et son orchestre, Jean Cocteau, Orson Welles, etc... Et même Ferdinand Lop, le farfelu candidat aux élections (celui qui voulait prolonger le boulevard Saint-Michel jusqu'à la mer).
 

 
...sont quand même bien bourges même si certains crevaient la dalle.

lundi 26 août 2024

Nos ancêtres les chiffonniers: aux Gobelins

 

8, Passage Moret, rue des Gobelins. Paris, 1913. Photographie d'Eugène Atget (1857-1927). Paris, musée Carnavalet.

Nos ancêtres les chiffonniers: rue de la Colonie

 

Colonie de la Butte aux cailles par Eugène Atget 1900.
En bas de la Butte, une colonie de chiffonniers s'est installée. Roulottes, marmaille, chiens et chevaux.
Bidonville avant l'heure... la plèbe colonise.
La rue est nommée.
Ce sera la rue de la Colonie.
 

 
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Nouvelle origine fantasmée du cinéma supertemporel comme art total: ’Life and Work in Universal City, 12:05 Noon’ (photomontage de George Grosz et John Heartfield, 1919)

vendredi 23 août 2024

Nos ancêtres les chiffonniers: la Cité Doré ou villa des chiffonniers vers 1913 (l' entrée se trouvait au niveau de l'actuelle 4 Place Pinel)

Photographies d'Eugène Atget (1857-1927) vers 1913

cité

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Cité Doré, 4 place Pinel, 13ème arrondissement, Paris | Paris Musées 

un coin de la cite dore (boulevard de la gare 90) by eugène atget 

Cité Doré, passage Doré, 4 place Pinel, 13ème arrondissement, Paris | Paris  Musées

La cité Doré, également appelée villa des Chiffonniers, était un groupe d'habitations situé dans le quartier de la Gare dans le 13e arrondissement de Paris, aujourd'hui disparue.   

Ce groupe d'habitation était située dans un quadrilatère limité par la place Pinel, le boulevard de la Gare (actuel boulevard Vincent-Auriol), la rue des Deux-Moulins (actuelle rue Jenner) et un terrain appartenant à l’Assistance publique situé au Nord. À l'intérieur il y avait cinq avenues (avenue de Bellevue, avenue Contant-Philippe, avenue Constance et avenue Sainte-Marie), deux places (la « place de la Cité » et la « place du Rond-Point »), le « carrefour Dumathrat », et le « passage Doré ».

Il y avait trois entrées situées au no 90 boulevard de la Gare, rue Jenner et au no 4 place Pinel qui donna la rue Louis-Français lorsque la place fut élargie. 

La cité Doré porte le nom du propriétaire des terrains sur lesquels elle a été construite.  

Avant 1818, l'emplacement, connu sous le nom du château de Bellevue, était situé hors de Paris dans le village d'Austerlitz, qui se composait de plusieurs cabarets et guinguettes. En 1818, ce territoire d'Ivry-sur-Seine ayant été annexé à Paris, un spéculateur nommé Stuart acheta le château et son parc, l'un des plus beaux parcs de Paris qui avait 1 200 m2 de superficie afin de transformer l'ensemble en brasserie : « la Brasserie écossaise ». Il fit abattre presque tous les arbres du parc afin de pouvoir loger les nombreux chevaux et les nombreuses cuves, de l'entreprise. L'entreprise périclita et le château et le parc furent acheté en 1831 à Andrew Cochrané, qui n'eut pas plus de succès que son prédécesseur.

Quelque temps après, la propriété fut acquise à la criée par monsieur Doré, fonctionnaire à l'École polytechnique, qui acquit également un grand terrain jouxtant le précédent. L'ensemble fut alors transformé en une propriété d'agrément faisant alors 12 000 m2 de superficie environ après la démolition des constructions telles qu'écuries et ateliers.
Par la suite le parc devint une sorte de marais qui n'était plus séparé du chemin de ronde du mur des Fermiers généraux que par une simple haie vive. Ainsi ce lieu fut utilisé, durant plus de 20 ans à l'insu de son propriétaire, comme terrain de duels, comme terrain de jeux par les enfants du quartier... tant et si bien que les maraîchers qui louaient les terrains ne pouvaient rien récolter abandonnèrent cette terre. Monsieur Doré fit construire un mur de clôture, qui ne changea rien, car on passait par-dessus…

En 1848, 1 500 ouvriers des ateliers nationaux furent envoyés dans le chemin de Ronde-de-la-Gare, sous le prétexte d'arranger cette voie, mais les ouvriers, s'en allaient passer la journée dans le parc de monsieur Doré, sur le gazon et l'ombre des arbres. Du coup, le mur de clôture fut abattu dans presque tout son parcours. Monsieur Doré eut l'idée de diviser sa propriété pour la louer par lots aux bourgeois de Paris, qui louaient à cet effet de petits carrés de terre trois fois grands comme un mouchoir dans quelque faubourg éloigné, et tous les dimanches ils vont, accompagnés de leur famille, jouer à l'horticulteur dans leur jardinet. L'affiche Terrain à vendre ou à louer se pavanait au vent depuis quelques jours, quand monsieur Doré vit apparaître un chiffonnier de la plus belle espèce, hotte au dos, crochet à la main qui lui dit qu'il venait pour louer du terrain afin d'y bâtir une maison de campagne pour lui et sa famille. Le bail fut passé pour dix mètres de terrain, à raison de cinquante centimes le mètre par an. Les travaux marchant trop lentement et comme il n'y avait pas de maison, la famille du chiffonnier se mit à habiter sous la lente en plein Paris. Au bout de trois mois, la maison était construite de fond en comble avec des matériaux de récupérations, des décombres à 10 sous le tombereau. Le toit fait avec de vieilles toiles goudronnées sur lesquelles on avait posé de la terre battue. Au printemps suivant, on planta des clématites, des capucines, et des volubilis sur ce toit. Cette merveille fut visitée par les confrères ; chacun envia le bonheur du chiffonnier propriétaire qui, pour cinq francs de loyer par an et une dépense une fois faite de cent écus environ, se trouvait posséder en propre une charmante villa, en plein soleil, au grand air. Chacun voulut avoir aussi son coin: on se disputa le terrain; le parc de Bellevue fut bientôt converti en un vaste chantier. Une ville nouvelle s'y bâtissait. Mais l'eau avait détrempé la terre; elle était devenue trop lourde, elle avait crevé la toile. En effet, pour couvrir il faut employer des tuiles, des ardoises ou du zinc; toutes ces marchandises sont fort coûteuse et tout le monde ne sait pas les manier. Les toits furent alors recouverts en fer-blanc, matériaux qui était très abondant et qui ne se vendait pas. Mais quand, à la suite des pluies, la rouille s'y est mise, cela produit le plus déplorable effet.

En 1853, le lotissement est signalé comme un cloaque extraordinairement ignoble habité par 400 ouvriers et en 1859 comme une cour des miracles où près de 2 000 chiffonniers sont entassés.

Il arriva un spéculateur, un limousinier, qui acheta à monsieur Doré tout l'espace occupé par les bicoques des chiffonniers. Celui-ci construisit en moins de 4 ans des masures à étage, qu'il louait pour quarante francs de loyer par an.

En janvier 1882, la cité Doré renfermait 470 ménages formant une population de 750 habitants. Les habitations sont des réduits infects, presque sans meubles et affreusement sales. Vers 8 heures du matin, après le balayage des voies de la cité, les chiffonniers arrivent avec leurs hottes ou leurs voitures à bras remplies de chiffons, de vieux papiers, de loques... et se mettent aussitôt à faire le tri de ce qu'ils viennent de ramasser dans la rue qui devient presque aussi sale qu'avant le balayage.

La cité Doré a été démolie à partir de 1905; la partie comprise entre la rue Jeanne-d'Arc et la place Pinel a formé la rue Louis-Français

Cité doré, 90 boulevard de la Gare, 13ème arrondissement, Paris ...

dimanche 18 août 2024

Origine fantasmée du cinéma supertemporel comme art total: le cri-germe de Raoul Hausmann


 

Autoportrait-montage de Raoul Hausmann criant, les yeux dansant autour de sa bouche béante. Disposé en regard du manifeste, Synthetisches Cino der Malerei (Cinéma synthétique de la peinture). Le texte est de 1918, mais le montage de l'autoportrait pourrait être plus tardif, de 1930 (Cf. Hanne Bergus, "Dada Raoul dans les années cinquante. Reconsidérer Dada").


Pour un film supertemporel, le cri est logique, familier (le premier film de Debord –pas supertemporel, mais quand même inframince par rapport aux attendus d'un film "courant"– s'intitulait Hurlements en faveur de Sade). L'image du cri est plus logique encore que l'allusion au cri: un film supertemporel est un cri sans sons, mais un cri long, réverbérant à chaque fois que le spectateur-créateur pense au film, se met dans le film, et lui apporte une nouvelle couche de plus. Alors, cette image de Haussman, parce que c'est Dada, que c'est premier dans l'art d'avant-garde, je me dois d'en faire ma généalogie: je sors de cette bouche. 

Le poème sonore dada –> le poème sonore lettriste –> le cinéma supertemporel lettriste –> le cinéma supertemporel situationniste

La fameuse quatrième dimension qui allait être percée par le cubisme, le futurisme, le dadaïsme et tous les ismes des années dix-vingt du siècle dernier, l'a réellement été par le cinéma supertemporel situationniste comme socialisation de la quatrième dimension: le film est toujours en train de se faire, ce n'est pas une révolution future mais une invitation permanente aux spectateurs-créateurs de faire le Film, et pour ce qui nous concerne, expérimenter De l'Espagne 95, c'est-à-dire construire l'Hacienda situationniste.

mercredi 24 juillet 2024

Gustave Hommel, dit Fred, un ancien de Chez Moineau en 1965

Témoignage, à défaut d'un reportage tourné à l'époque, sur cette période encore bouillonnante de l'après-guerre des années 50-55 avec l'apparition de ceux qui, autour de la clientèle bigarrée du café Moineau du 22 rue du Four, cité dans l'interview, ont constitué l'Internationale lettriste, matrice de la future Internationale situationniste et que Jean-Michel Mension (le comparse de l'épisode du triporteur) a décrit dans son ouvrage de 1997 chez Allia, La Tribu : Guy Debord, Jean-Louis Brau, Serge Berna, Gil J Wolman, Mohamed Dahou, Éliane Papaï, Michèle Bernstein, Ivan Chtcheglov, Patrick Straram et tant d'autres, Auguste Hommel, alias Fred, par ailleurs immortalisé par le photographe Ed Van der Elsken dans son ouvrage Love on the Left Bank, le plus souvent en compagnie de Mension, faisant plutôt figure de comparse à l'allure de pré-punk ainsi que les identifiera en 1993 Greil Markus dans son ouvrage, sorti en 1998 toujours chez Allia, Lipstick Traces, une histoire secrète du XXème siècle.

 
 
Fred Hommel (1931-1993) Fred Hommel est né en 1931 à Paris. Dès ses dix-huit ans il a vécu dans le milieu de Saint-Germain des Prés où il a rencontré de nombreux artistes du monde entier. Boris Vian était un grand ami qui l’a influencé et encouragé. Un jour un peintre chilien, Luis Moyano, lui met un pinceau dans la main et lui dit : « Fais de la peinture au lieu de traîner dans la rue ». Et Fred s’exécute. Sa pensée était marquée par la guerre. Il a vécu à Paris pendant toute la Deuxième Guerre Mondiale. Ensuite il s’est engagé dans la guerre de Corée pour échapper à l’atmosphère de l’après-guerre et à l’abandon de son père. Fils unique d’une mère aide-soignante exilée de sa Corse natale, il arrête l’école avant le certificat d’étude et s’engage comme volontaire dans le conflit qui oppose les forces de l’ONU à la Corée du nord. Il en est revenu antimilitariste refusant alors l’ordre et le cadre. C’est au retour de Corée, pour prendre distance des horreurs qu’il avait vécues qu’il s’est jeté dans la folie de Saint-Germain.

 
 

samedi 27 janvier 2024

Aux sources de la psychogéographie: une première occurrence du "fantastique social" en 1924

Il semble que l'on puisse remonter jusqu'à 1924, dans l'article suivant de Mac Orlan sur le peintre George Grosz, pour trouver la première mention du "fantastique social" en France (la fiche wikipédia signale une de ces conférences au Théâtre du Vieux colombier –dédié aux films d'avant-garde– sur le cinéma fantastique en 1926). Mac Orlan l'a repéré chez d'autres, mais il est surtout lui-même le principal exposant de cette notion par ses chansons et ses récits: un grand créateur d'atmosphères, amplement distillées dans le cinéma des années 1930-40. 

Le fantastique social est l'une des sources majeures du sentiment psychogéographique, il conforme le pathos inhérent aux premières dérives et induit une esthétique attendue. Cette forme de "tragique d'aventure" correspond notoirement au moi romantique de Debord, unifiant son oeuvre et sa vie dans le temps –et jusqu'à l'automythographie de soi. 

À cet égard, Mac Orlan occupe une place importante dans son panthéon littéraire ( alors qu'il s'agit d'un auteur habituellement considéré comme mineur). Mais ce qui m'interpelle pour l'instant c'est cette filiation plastique allemande; à travers la fragmentation cubofuturiste et l'enfièvrement expressionniste, elle détermine une vision conflictuelle et riche de la nouvelle vie urbaine née dans la ville la plus moderne d'Europe, Berlin. Entre aliénation et spectacle permanent.

 
George Grosz, Metropolis, 1916-17 (musée Thyssen-Bornemisza, Madrid)

 PIERRE MAC ORLAN 

George Grosz 

L'Europe attentive, les passions dont elle dispose, la révolte assoupie, le jeu triomphant de filles sottement éprises de voluptés chimiques, les médiocres bourgeois lâchés en liberté et la rue  elle-même ont trouvé leur poète dans l'étrange et puissante personnalité de George Grosz, que Frans Masereel et Joseph Billiet présentent aujourd'hui au public français, et pour la première fois.

Depuis la guerre, une sorte de fantastique social a été créé un peu partout chez tous les peuples européens qui se sont battus. Le sang des hommes a perdu sa valeur tragique et le mystère des visages s'est accru. Les classes sociales qui, il y a encore dix ans, possédaient des traditions respectives qui les différenciaient, se sont mêlées dans les nouvelles combinaisons des lumières de la rue, dans la malhonnêteté provisoire qui mène les hommes à la conquête du plaisir réalisé le plus rapidement possible. Si les hommes, depuis la guerre, peuvent se distinguer de ceux qui les précédèrent, c'est un peu par leur obéissance passive aux lois de la vitesse. Tout tourne plus vite. Et les anciens mots qui tournaient autrefois à 120 tours par exemple, tournent aujourd'hui à 2000 tours. Le mécanisme de la langue ne peut les suivre. Nous manquons de mot pour réaliser l' “expressionnisme” de notre époque. 

Grosz a trouvé la langue nécessaire à l'épanouissement de sa vision. Qu'il découpe une photographie et qu'il l'associe à son extraordinaire intelligence du fantastique et de la misère homicide, c'est, par tous les moyens la lutte pour arriver directement au but. Il voit les choses et les hommes en transparence, il mêle aux éléments nobles de la révolution les odeurs essentielles de la vie populaire où le sang se chambre à la température de la rue. Je ne connais rien de plus tragique que l'oeuvre  de ce jeune homme émouvant et affectueux. Toute la rue et les intermédiaires de la rue s'animent dans une frénésie féerique, ordurière et brutale, celle de la vie quotidienne. [...]

Pierre Mac Orlan, George Grosz, préface du catalogue du catalogue de l'exposition George Grosz, Joseph Billiet, Paris, 1924.