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jeudi 12 septembre 2024

Le récit du « jour de la Victoire » des Russes (ou l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale rarement évoquée en Occident)

 SOURCE SECONDAIRE: https://brigittebouzonnie.substack.com/p/le-recit-du-jour-de-la-victoire

Article rédigé 11 mai 2018 par Michael Jabara Carley pour le site Réseau Voltaire

Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Montréal, Michael, Jabara Carley raconte ici le rôle de l'Union soviétique contre le nazisme. Puis il analyse la manière dont cette histoire a été volontairement déformée par les Anglo-Saxons et est malhonnêtement enseignée dans le monde occidental (l'Hégémon).

 Chaque année, le 9 mai, la Fédération de Russie commémore un événement historique majeur : le jour de la Victoire. Ce même jour de l’année 1945, le maréchal Georgy Konstantinovich Youkov, commandant du 1er front biélorusse, qui avait pris d’assaut Berlin, recevait l’acte de reddition inconditionnelle des Allemands. Au final, la Grande Guerre patriotique aura duré 1418 jours, d’un niveau inimaginable de violence, de destruction et de brutalité. De Stalingrad et du Caucase septentrional en passant par le Nord-Ouest de la périphérie de Moscou aux frontières occidentales de l’Union Soviétique, à Sébastopol au sud et jusqu’à Léningrad et la frontière finnoise au nord : le pays a été ravagé. On estime à 17 millions les pertes civiles — hommes, femmes et enfants — bien qu’il soit impossible de déterminer le chiffre exact. De nombreuses villes et villages ont été détruits ; des familles entières ont disparues sans personne pour se souvenir de leurs membres ou les regretter.



La plupart des citoyens russes ont perdu de la famille durant la guerre. Personne n’a été épargné.

Plus de dix millions de soldats russes ont péri dans les combats visant à repousser le terrible envahisseur nazi et dans l’offensive finale conduisant à l’occupation de Berlin à la fin d’avril 1945. Les soldats de l’Armée Rouge morts au combat, ont été abandonnés sans sépulture — ou dans des fosses anonymes — lors de la marche vers l’Ouest, faute de temps. La plupart des citoyens russes ont perdu de la famille durant la guerre. Personne n’a été épargné.

La Grande Guerre patriotique a débuté le 22 juin 1940 à 3h30 du matin, quand la Wehrmacht a envahi l’Union Soviétique sur le front qui s’étend de la mer Baltique à la mer Noire avec 3,2 millions de soldats, répartis en 150 divisions, accompagnés par 3 350 tanks, 7 184 pièces d’artillerie, 600 000 camions et 2 000 avions de guerre. Les armées finnoises, italiennes, roumaines, hongroises, espagnoles, et slovaques, entre autres, ont rejoint l’armée allemande. Le Haut Commandement allemand a estimé que l’opération « Barberousse » aboutirait à la capitulation de l’Union Soviétique dans un délai de 4 à 6 semaines. À l’ouest, les états majors états-uniens et britanniques validaient ces prédictions. De surcroit, quelle armée pouvait se targuer d’avoir défait la Wehrmacht ? L’Allemagne nazie était un colosse invincible. La Pologne avait été balayée en quelques jours. La tentative franco-anglaise visant à défendre la Norvège avait été un fiasco. Quand la Wehrmacht a attaqué à l’ouest, la Belgique se hâta de quitter la zone de combat. La France a rendu les armes en quelques semaines. L’armée britannique a été éconduite de Dunkerque, nue, sans armes ni véhicules. Au printemps 1941, La Yougoslavie et la Grèce ont été éliminé à moindre coût pour les Allemands.



Les pertes au sein de l’Armée Rouge ont été colossales, deux millions de soldats morts au bout de 3 mois et demi de combat.

L’armée allemande a balayé toute résistance en Europe jusqu’à ce qu’elle atteigne la frontière soviétique. L’Armée Rouge a été prise par surprise, partiellement mobilisée, car le dictateur soviétique Joseph Staline n’a pas pris au sérieux les avertissements de ses propres services de Renseignement, ou ne voulait pas provoquer l’Allemagne hitlérienne. Au final, ce fut une catastrophe. Mais contrairement à la Pologne ou à la France, l’Union Soviétique ne s’est pas rendue au bout de 4 à 6 semaines. Les pertes au sein de l’Armée Rouge ont été colossales, deux millions de soldats morts au bout de 3 mois et demi de combat. Les États baltes étaient perdus. Smolensk est tombée, puis Kiev : défaite la plus cuisante de toute la guerre. Léningrad était encerclée. Un vieil homme a demandé aux soldats « D’où vous retranchez-vous ? » Le chaos régnait partout. Mais, dans des lieux comme la forteresse de Brest-Litovsk, ainsi que dans des centaines de bois, de champs, de jonctions routières, de villes et de villages anonymes, l’Armée Rouge s’est battue jusqu’au bout. Elle a réussi à éviter l’encerclement et a pu rejoindre ses propres lignes ou bien disparaître dans les forêts ou les marais de Biélorussie et du nord de l’Ukraine, s’organisant en unités de résistance pouvant mener des raids contre l’arrière-garde allemande. À la fin de 1941, les pertes militaires soviétiques s’élevaient à 3 millions (la majorité étant des prisonniers de guerre, tués par des mains allemandes) ; 177 divisions ont été anéanties. Pourtant, L’Armée Rouge continuait de se battre, faisant même reculer les Allemands à Ielnia, au sud-est de Smolensk, à la fin du mois d’août. La Wehrmacht a pu ressentir la morsure d’une Armée Rouge ébranlée mais pas abattue. Les forces allemandes recensaient, en moyenne, dans leurs rangs, 7 000 victimes par jour : une nouveauté pour eux.



A certains endrois comme la forteresse de Litovsk, les soldats de l’Armée Rouge se sont battus jusqu’au dernier.

Sur les traces de la Wehrmacht, les escadrons de la mort SS (Einsatzgruppen) éliminaient les Juifs, les Tziganes, les communistes, les prisonniers de guerre soviétiques ou n’importe quel individu se trouvant sur leur chemin. Ils ont bénéficié de l’assistance de collaborateurs nazis, baltes et ukrainiens, pour ces crimes de masse. Les femmes et enfants soviétiques étaient dépouillés de leurs vêtements et alignés sur le peloton d’exécution. En plein hiver, les soldats allemands abattaient les villageois ou les forçaient à sortir de leur maison, tout de haillons vêtus, leur confisquant leur foyer, vêtements d’hiver et nourriture.

À l’ouest, ceux qui avaient prédit une débâcle russe, les sempiternels soviétophobes, n’eurent pas l’air malin et durent revoir leurs prévisions. L’opinion publique comprit qu’Hitler avait mis là le pied dans un bourbier ; aucune commune mesure avec la campagne de France. Bien que la résistance soviétique bénéficiait du soutien du citoyen anglais, le gouvernement britannique, lui, ne fut pratiquement d’aucune aide. Certains membres de l’exécutif étaient même réticents à considérer l’Union Soviétique comme un allié. Churchill a interdit à la BBC de diffuser le dimanche soir, l’hymne national soviétique, l’Internationale, en compagnie des autres hymnes alliées.



L’opinion publique comprit qu’Hitler avait mis là le pied dans un bourbier ; aucune commune mesure avec la campagne de France.

L’Armée Rouge tout en battant en retraite continuait désespérément de se battre. Ce n’était pas une guerre ordinaire, mais un combat d’une violence exceptionnelle contre un envahisseur cruel, pour la défense de sa maison, de sa famille, de son pays, et de sa vie elle-même. En novembre, l’Armée Rouge, largua un pamphlet au dessus des lignes allemandes citant Carl von Clausewitz, le stratège militaire prussien : « Il est impossible d’occuper la Russie ou de la conquérir ». Bien que tentative d’intimiditation, vu les circonstances ; cette assertion n’était pas moins vraie. Finalement, aux portes de Moscou, en décembre 1941, l’Armée Rouge, sous le commandement de Gueorgui Joukov repoussa une Wehrmacht épuisée, environ trois cents kilomètres plus au sud. Le mythe de l’invincibilité nazie volait en éclat. « Barberousse » était trop ambitieux, l’offensive éclair (blitzkrieg) avait échoué, et la Wehrmacht subissait son premier échec sur le plan stratégique. À Londres, Churchill accepta, à contrecœur, de laisser jouer l’hymne soviétique par la BBC.



Le mythe de l’invincibilité nazie volait en éclat.

En 1942, l’Armée Rouge continuait de subir des défaites et d’énormes pertes, dans la mesure où elle était livrée à elle-même. Cependant, en novembre de cette année, à Stalingrad, sur la Volga, l’Armée Rouge lança une contre offensive qui se conclut par une victoire historique et par la retraite de la Wehrmacht, en ce printemps 1942, à sa position d’origine ; exception faite pour le 6e corps d’armée allemande, pris au piège dans le chaudron de Stalingrad. Là, 22 divisions allemandes, parmi les meilleures, furent détruites. Stalingrad fut le Verdun de la Seconde Guerre mondiale. « Mais c’est un véritable enfer ! » ; « Non… C’est dix fois pire ! ». À la fin de la campagne hivernale de 1943, du côté de l’Axe, les pertes se démultipliaient : une centaine de divisions allemandes, italiennes, roumaines, hongroises étaient anéanties ou ravagées. Le président des États-Unis, Franklin Roosevelt, reconnut que le conflit venait de basculer : la dernière heure de la grande Allemagne avait sonné.



Des femmes au front lors de la bataille de Stalingrad.

Février 1943. Pas une seule division britannique, états-unienne ou canadienne ne se bat en Europe contre la Wehrmacht, seize mois avant le débarquement en Normandie. Les Britanniques et les États-uniens combattaient alors 2 ou 3 divisions allemandes en Afrique du Nord : un divertissement comparé au front russe. L’opinion publique occidentale savait qui portait à lui seul tout le fardeau de la guerre contre la Wehrmacht. En 1942, 80 % des divisions de l’Axe étaient engagées dans le combat contre l’Armée Rouge. Au début de 1943, il y avait 207 divisions allemandes postées sur le front est. Les Allemands jouant leur va tout, lancèrent une dernière offensive contre la « citadelle » de Koursk en juillet 1943. L’opération sera un échec. L’Armée Rouge lancera une contre offensive à travers l’Ukraine conduisant à la libération de Kiev en novembre. Plus au nord, Smolensk avait été libérée un mois auparavant.

L’état d’esprit des Soviétiques était admirable, ainsi que leur Armée Rouge. Le correspondant de guerre Vasilii Semenovich Grossman en a capturé l’essence dans son journal intime, Nuit, tempête de neige. Il écrit en 1942, « Les véhicules, l’artillerie, avancent en silence. Soudain, une voix rauque se fait entendre. "Hé, quel est le chemin pour se rendre à Berlin ?". Éclat de rire. »



L’opinion publique occidentale savait qui portait à lui seul tout le fardeau de la guerre contre la Wehrmacht.

Les soldats n’étaient pas toujours braves. Parfois, ils désertaient. « Un chef de bataillon armés de deux revolvers se mit à hurler, "Où courez-vous comme ça, sales fils de ***. En avant marche, pour la Mère patrie, pour Jésus-Christ, bande d’enc*** ! Pour Staline, merdeux !..." » Ils retournèrent à leur poste. Ces types furent chanceux ; l’officier aurait pu les abattre. Ça arrivait parfois. Un soldat s’est porté volontaire pour exécuter un déserteur. « Avez-vous ressenti de la pitié pour lui ? » demanda Grossman. « Comment peut-on parler de pitié ?! » répondit le soldat. À Stalingrad, sept Ouzbeks ont été accusés d’auto-mutilation. Ils ont tous été exécutés. Grossman lit une lettre retrouvée dans la poche d’un soldat soviétique mort. « Tu me manques beaucoup. Viens me rendre visite, s’il te plait… À l’instant où j’écris ces mots, mes larmes coulent sur le papier. Papa, s’il te plait, viens me voir... »

Les femmes ont combattu aux côtés des hommes en tant que snipers, armurières, conductrice de tanks, pilotes, infirmières, dans les mouvements de résistance. Elles ont aussi apporté de l’aide aux armées postées en Russie. « Les villages sont devenus le royaume des femmes » écrit Grossman « Elles conduisaient des tracteurs, gardaient les entrepôts, les écuries… Les femmes assumaient une énorme charge de travail. Elles prenaient toutes sortes de responsabilités, expédiaient du pain, des avions, des armes et des munitions au front. » Quand les combats ont fait rage sur la Volga, elles n’ont pas reproché à leurs hommes d’avoir céder tant de terrain. « Un regard mais pas un mot » écrit Grossman, « … pas une pointe d’amertume. » Bien que parfois, dans les villages près du front, ce soit arrivé.



La fin de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de temps.

Pendant ce temps, les alliés occidentaux attaquèrent l’Italie. Staline a longtemps exigé un second front en France, mais Churchill s’y opposa. Il voulait attaquer l’Axe en son point faible, non pas pour aider l’Armée Rouge, mais pour contrecarrer son avancée dans les Balkans. L’idée était de traverser rapidement le nord de la péninsule italienne, puis les Balkans, afin de de stopper la progression de l’Armée Rouge. Cependant, Berlin se trouvait au nord-nord est. Le plan de Churchill était un fiasco ; les Alliés occidentaux ne sont pas entrés dans Rome avant juin 1944. Il y avait approximativement 20 divisions allemandes en Italie se battant contre des forces alliées plus conséquentes. À l’est, il restait encore plus deux cents divisions de l’Axe, soit dix fois plus qu’en Italie. Le 6 juin 1944, quand l’opération Overlord débuta en Normandie, l’Armée Rouge stationna sur les frontières polonaises et roumaines. Une quinzaine de jours après le débarquement en Normandie, l’Armée Rouge lança l’opération Bagration, une offensive massive qui aboutit à une percée en plein milieu de la ligne de front allemande à l’est et à une avancée de plus de 500 kilomètres vers l’ouest, pendant que les alliés occidentaux restaient bloqués dans la péninsule du Cotentin, en Normandie. L’Armée Rouge était irrésistible. La chute de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de temps. Quand le conflit prit fin en mai 1945, il s’avéra que l’Armée Rouge avait été responsable de 80 % des pertes de la Wehrmacht et plus si on considère la période qui précède le débarquement en Normandie. « Ceux qui n’ont pu vivre la rudesse de l’été 1941 » écrit Vasily Grossman, « ne pourront apprécier complétement la joie procurée par cette victoire ». Les troupes comme le peuple chantaient de nombreux hymnes pour garder le morale. Sviashchennaia voina, « sacrée guerre » était une des plus populaires. Les Russes se lèvent toujours lorsqu’ils l’entendent.

Une polémique persiste chez les historiens. Quel est le moment clé de la guerre en Europe ? Certains proposent le 22 juin 1941, le jour où la Wehrmacht a franchi la frontière soviétique. D’autres mettent le doigt sur les batailles de Moscou, Stalingrad ou Koursk. Durant la guerre, l’opinion publique occidentale semblait plus acquise à la cause de l’Armée Rouge que certains dirigeants occidentaux, comme Winston Churchill. Roosevelt, lui, qui était un dirigeant politique bien plus pragmatique, a volontiers reconnu le rôle prépondérant joué par les Soviétiques dans la guerre contre l’Allemagne nazie. L’Armée rouge, déclarait-il à un général dubitatif en 1942, a tué plus de soldats allemands et détruit plus de chars allemands que tout le reste de la coalition alliée réunie. Roosevelt savait que l’Union Soviétique était la clé de voûte de la grande coalition contre l’Allemagne nazie. J’appelle FDR (Franklin Delano Roosevelt) : le parrain de la « grande alliance ». Néanmoins, les principaux détracteurs de l’Union soviétique restaient tapis dans l’ombre attendant le bon moment pour refaire surface. Plus la victoire sur l’Allemagne nazie semblait assurée, plus les opposants à la grande alliance se faisaient entendre.

Les États-uniens peuvent être un peu « soupe au lait » lorsque l’on évoque le rôle essentiel joué par l’Armée rouge dans la destruction de la Wehrmacht. « Que faites-vous du prêt-bail ? » répondent-ils, « sans notre soutien logistique, l’Union soviétique n’aurait pas battu les Allemands. » En réalité, la plupart du matériel fourni dans le cadre du prêt-bail n’arriva en URSS qu’après Stalingrad. Les soldats de l’Armée Rouge, facétieux, aimaient appelés les boites de conserve, reçues par le biais du prêt-bail, « le deuxième front » dans la mesure où le vrai se faisait un peu tardif. En 1942, l’industrie soviétique produisait déjà bien plus d’armes que l’Allemagne nazie. Le T-34 était-il un char états-unien ou russe ? Staline a toujours su être reconnaissant envers le gouvernement US pour les Jeeps et les camions Studebaker. Ils ont accru la mobilité de l’Armée rouge. Vous avez fourni l’aluminium, aiment à répondre les Russes, nous avons fourni… le sang. Des rivières de sang...



Tout un chacun, en Europe et aux États-Unis, savaient très bien à qui attribuer le succès contre la Wehrmacht.

À peine la guerre fut-elle terminée que le Royaume-Uni et les États-Unis commencèrent à envisager une autre guerre, cette fois contre l’Union Soviétique. En mai 1945, le haut commandement britannique élabore le plan « unthinkable » (impensable), une offensive top-secrète, avec le renfort des prisonniers de guerre allemands, contre l’Armée Rouge. Les salauds ! Les ingrats ! En septembre 1945, les États-uniens envisagèrent l’utilisation de 204 bombes atomiques afin de rayer l’Union Soviétique de la carte. Le président Roosevelt venait de décéder en avril et en quelques semaines les États-uniens soviétophobes appliquaient déjà une politique diamétralement opposée. La Grande Alliance n’était qu’une trêve au milieu de la guerre Froide, qui avait pour origine la prise du pouvoir par les Bolcheviks en novembre 1917 ; cette dernière redevenait d’actualité en 1945 maintenant le conflit terminé.

À ce moment là, les gouvernements états-uniens et britanniques avaient toujours l’opinion publique contre eux. Tout un chacun, en Europe et aux États-Unis, savaient très bien à qui attribuer le succès contre la Wehrmacht. Il n’était pas possible d’adopter à nouveau, comme si de rien n’était, la stratégie éculée de la haine envers l’Union Soviétique sans faire oublier le rôle prépondérant de l’Armée Rouge dans la victoire commune contre l’Allemagne hitlérienne. Les Occidentaux ont donc ressorti le dossier sur le pacte de non-agression d’août 1939 entre Hitler et Staline en omettant volontairement de mentionner certains faits antécédents, comme l’opposition franco-anglaise à la proposition soviétique d’un traité de sécurité collective contre l’Allemagne nazie et, surtout, la trahison envers la Tchécoslovaquie, livrée aux Allemands (Accords de Munich, 1938). Comme des cambrioleurs en pleine nuit, Londres et Washington s’attribuèrent le crédit de la victoire contre l’Allemagne nazie.

Déjà en décembre 1939, les Britanniques prévoyaient de publier un livre blanc attribuant la responsabilité de l’échec des négociations (printemps-été 1939) à Moscou en vue d’une alliance entre Anglais, Français et Soviétiques. Les Français se sont opposés à ce projet car le livre blanc risquait de permettre à l’opinion publique de prendre conscience du caractère effectif de la résistance soviétique contre le nazisme, ce qui n’a pas été le cas côté anglais ou français. Ainsi, le livre blanc a terminé sur une étagère. En 1948, Le département d’État états-unien a diffusé une série de documents attribuant la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale à Hitler et Staline. Moscou a riposté en publiant à son tour des documents mettant en évidence les liens étroits entre le monde occidental et le régime nazi. Beaucoup d’énergie fut déployée pour que l’on se souvienne de l’Union Soviétique comme signataire du pacte de non-agression et non comme le principal responsable de la destruction de la Wehrmacht.



Les Occidentaux ont ressorti le dossier sur le pacte de non-aggression d’août 1939 entre Hitler et Staline.

Qui n’a pas vu un de ces films hollywoodiens dans lesquels le débarquement en Normandie est présenté comme un tournant de la guerre ? « Que serait-il advenu si le débarquement avait échoué ? » entend-on souvent « Oh…, pas grand-chose... » est la réponse qui convient. La guerre aurait duré plus longtemps, et l’Armée Rouge, venant de l’Est, aurait planté ses étendards sur les plages de Normandie. Puis, il y a les films qui présentent la campagne de bombardement de l’Allemagne par les alliés comme le facteur décisif dans la victoire de ces derniers. Dans les films hollywoodiens sur la Seconde Guerre mondiale, l’Armée Rouge est invisible. C’est comme si les États-uniens (et les Britanniques) se couronnaient de lauriers qu’ils ne méritaient pas.

J’aime posé cette question à mes étudiants lorsque l’on aborde la Seconde Guerre mondiale : qui a entendu parler de l’opération Overlord ? Tout le monde lève le main. Puis je demande : qui a entendu parler de l’opération Bagration ? Quasiment personne ne se manifeste. Je demande, facétieux, qui a gagné la guerre contre l’Allemagne nazie et la réponse est évidemment : « les Américains ». Seuls quelques étudiants, en général ceux qui ont eu d’autres cours avec moi, répondent : l’Union Soviétique.

Difficile pour la vérité de se frayer un chemin vers la lumière dans un monde occidental où les « fakes news » (mensonges) sont la norme. L’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et le Parlement européen attribuent la responsabilité de la guerre à l’Union Soviétique, sous-entendant la Russie et le président Vladimir Poutine. Hitler est quasiment omis dans ce tohu-bohu d’accusations sans fondements. Soutiennent cette version malhonnête des faits historiques : les États baltes, la Pologne et l’Ukraine, vociférant leur haine de la Russie. Les Baltes et les Ukrainiens célèbrent aujourd’hui, comme gloire nationale, les collaborateurs nazis et leurs agissements. En Pologne, la pilule est dure à avaler pour certains ; ils se souviennent trop bien des collaborateurs nazis ukrainiens qui ont assassiné des dizaines de milliers de Polonais en Volhynie. Malheureusement, de tels souvenirs n’ont pas empêché les hooligans polonais de vandaliser les monuments aux morts de l’Armée Rouge, ainsi que de profaner les cimetières de guerre soviétiques. Les nationalistes polonais ne veulent pas se souvenir de l’Armée Rouge libérant la Pologne de l’Allemagne nazie.



Les vétérans, de moins en moins nombreux chaque année, continuent de porter des uniformes qui ne leur vont plus guère ou des treillis usés, parsemés de médailles et de récompenses diverses.

En Russie, cependant, la propagande mensongère des Occidentaux n’a aucun effet. L’Union Soviétique, ainsi que la Fédération de Russie, a produit ses propres films sur la Seconde Guerre mondiale, les plus récents sur la défense de la forteresse de Brest-Litovsk et de Sébastopol, et sur la bataille de Stalingrad. Le 9 mai, chaque Russe a une pensée pour les les millions de soldats qui se sont battus et ont perdu la vie ainsi que pour les millions de civils qui ont souffert et sont morts entre les mains de l’envahisseur nazi. Les vétérans, de moins en moins nombreux chaque année, continuent de porter des uniformes qui ne leur vont plus guère ou des treillis usés, parsemés de médailles et de récompenses diverses. « Traitez-les avec tact et respect » écrit Youkov dans ses mémoires : « C’est le moins que vous puissiez faire après ce qu’ils ont fait pour vous entre 1941 et 1945. » Lorsque je les observais en ce jour de commémoration, il y a quelques années, je me demandais comment ils ont pu composer avec la menace de mort permanente, la désolation et toutes ces épreuves.



Une marche des « immortels » à Moscou.

De nos jours, chaque année en ce 9 mai, le régiment des « immortels » défile. Les Russes, aux quatre coins du pays et à l’étranger, marchent ensemble en portant des photographies grand format de membres de leur famille, hommes ou femmes, qui se sont battus pendant la guerre. « Nous ne vous oublions pas » , ils semblent dire « et ne vous oublierons jamais. »

Michael Jabara Carley

Traduction Jean-Marc Chicot      Source Strategic Culture Foundation (Russie)

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AJOUTS PERSONNELS

 

Deux jour après le lancement de l'opération Barbarossa par les nazis allemands et leurs alliés européens, le 24 juin 1941, Harry s. Truman (futur président des USA), déclarait:

"Si nous voyons l'Allemagne gagner, nous devrions aider la Russie et, si la Russie est en train de gagner, nous devrions aider l'Allemagne, pour que le plus grand nombre périsse des deux côtés."



Si l'on veut comprendre, a minima, la guerre à l'Est, voir le film d'Elem KLIMOV, Requiem pour un massacre, de 1985. L'action se déroule sur le territoire de la Biélorussie soviétique en 1943. En France, on connait le massacre d'Oradour-sur-Glane, commis par la division SS Das Reich. Elle a opéré avec d'autres en Biélorussie, où il eut 600 villages massacrés de la sorte...600 Oradour-sur-Glane.

mercredi 11 septembre 2024

Divertissement militarisé : quand les blockbusters hollywoodiens se laissent séduire par le Pentagone

 

Des experts expliquent comment 2 500 films et émissions ont été instrumentalisés pour promouvoir la guerre.

Source : Responsible Statecraft, Hekmat Aboukhater
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

« Le moyen le plus facile d’instiller de la propagande dans l’esprit de la plupart des gens est de la faire passer par le biais d’un film de divertissement, parce qu’alors ils ne se rendent pas compte qu’ils sont soumis à de la propagande », expliquait Elmer Davis, un célèbre animateur de la chaîne CBS, qui venait d’être nommé directeur de l’Office of War Information (OWI), un programme du Pentagone créé le 13 juin 1942, six mois après Pearl Harbor [Le Bureau d’information de guerre (OWI) des États-Unis est un service fédéral des États-Unis créé peu après l’entrée du pays dans la Seconde Guerre mondiale et dissous peu après. Il est chargé de la propagande américaine sur trois fronts : intérieur, extérieur, militaire, NdT].

Plus tard, en 1953, alors que la Guerre froide battait son plein, le président Dwight D. Eisenhower a commenté le partenariat naissant entre Hollywood et le Pentagone en déclarant : « La main du gouvernement doit être habilement dissimulée et […] entièrement éliminée », ajoutant que ce partenariat devait « se faire par le biais d’accords avec une multitude d’entreprises privées du domaine du divertissement, de la dramaturgie, de la musique et autres. »

Ainsi, le président qui a inventé l’expression « complexe militaro-industriel » a été en fait l’un des premiers grands promoteurs de ce que l’on appellera plus tard le complexe militaro-divertissant ou l’industrie du militainment [spectacle de loisir militaire, NdT].

Aujourd’hui, cette industrie de la militarisation à grand spectacle est florissante. De Top Gun à la franchise Marvel, en passant par des émissions comme Extreme Makeover, le Pentagone a réussi à influencer les récits de plus de 2 500 films et émissions de télévision. Personne ne le sait mieux que Roger Stahl, directeur du département d’études en communication de l’université de Géorgie et auteur de Militainment Inc. Avec Matthew Alford, conférencier à l’université de Bath et candidat du Parti des travailleurs, Tom Secker, journaliste d’investigation, et d’autres, Stahl a réalisé « Theaters of War », un documentaire concis de 87 minutes dans lequel il dissèque méthodiquement notre industrie moderne du militainment, montrant le mastodonte qu’elle est devenue.

Responsible Statecraft s’est entretenu avec Stahl, Alford et Secker sur la façon dont nos écrans de télévision sont militarisés grâce à la supervision et au contrôle des scénarios, des accords de production hollywoodiens par le secteur du complexe militaro-divertissement [C’est la coopération entre les militaires et les industries du divertissement dans leur intérêt mutuel, en particulier dans des domaines tels que le cinéma, le multimédia, la réalité virtuelle et la réalité augmentée multisensorielle, NdT].

Ventes à la casse : Journées privilèges sur petit écran

« Des images et des histoires diffusées devant les Américains vont remplacer tout autre calcul concernant les dépenses des contribuables », a déclaré Stahl lorsqu’on lui a demandé quelle était pour le contribuable américain moyen la charge occasionnée par le prêt d’un système d’armement à un studio. Il a ajouté que « la question du coût est noyée sous […] la dimension émotionnelle. Et l’industrie du divertissement est là pour entretenir cet aspect émotionnel. »

Dans son documentaire, Stahl explique que par le biais de l’OWI auquel a succédé l’Entertainment Liaison Office, le ministère de la Défense conditionne le prêt de systèmes de défense au fait d’avoir un accès complet au scénario lors d’un nouveau film. Une fois le script vérifié et renvoyé annoté, avec des modifications de scénario voire même de l’intrigue, le studio peut soit accepter les modifications dans leur intégralité, soit perdre son accès aux jouets de l’armée. Cette relation biaisée est susceptible de déboucher sur une propagande éhontée.

À la moitié de « Theaters of War », les spectateurs voient apparaître ce qui semble être un spot publicitaire incrusté dans le film. Dans « The Fate of the Furious », le huitième volet de la franchise Fast & Furious, le rappeur et acteur Ludacris lit à haute voix un semblant de publicité de 30 mots vantant les mérites du char télécommandé Ripsaw de Textron Systems. Il s’avère que le texte de Ludacris n’a pas été écrit par un scénariste, mais par l’Entertainment Liaison Office. La scène s’est transformée en une publicité impossible à zapper, fournie au spectateur par l’armée américaine.

On retrouve des images de marketing dissimulé de ce type dans des centaines de superproductions, qu’il s’agisse de la franchise Transformers – l’un des personnages, Starscream, est un avion de chasse F-22 – ou des films Marvel, qui suscitent tant d’enthousiasme. Alors même que le public est soumis à d’évidentes publicités de vente, on constate que,dans certains cas, le Pentagone fait également la promotion de produits défectueux et inutiles.

L’avion de combat F-35 de Lockheed Martin a été qualifié de « champion poids lourd des armes futuristes mal conçues », coûtant aux contribuables américains plus de 2 000 milliards de dollars. Et pourtant, le documentaire « Secret access : Superpower 2011 » de History Channel brosse un tableau bien différent. Cette mini série présente le F-35 comme la seule voie possible pour maintenir la domination américaine sur le plan militaire, et dans « Man of Steel », Superman lui-même vole aux côtés d’une flottille de F-35 lors de sa bataille contre les impitoyables Kryptoniens. Selon Stahl, tout cela a été rendu possible grâce au Bureau de liaison pour le divertissement.

Tom Secker, journaliste d’investigation qualifié de « revendicateur vétilleux » par le Pentagone en raison de son barrage incessant en matière de FOIA [Freedom Of Information Act, loi d’accès à l’information, NdT], a fait part du contrat jusque-là inédit de l’accord de coopération pour la production de « Mission Impossible 7 : Dead Reckoning. »

En plus de permettre à l’équipe de Mission Impossible de tourner sur les bases militaires américaines des Émirats arabes unis, le contrat prévoit que le ministère de la Défense prête à l’équipe de production un V-22 Osprey fabriqué par Boeing, afin qu’il soit utilisé dans au moins deux scènes au cours desquelles l’avion sera filmé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

L’Osprey, surnommé le « faiseur de veuves », est un désastre qui a un coût de 120 milliards de dollars dont le déclassement est imminent, dans la mesure où il a déjà causé la mort de 62 membres des forces armées.

Selon Stahl, ces scènes sont intentionnellement conçues pour « forger un lien émotionnel entre le spectateur et les différents systèmes d’armes ». Un lien qui pourrait atténuer les effets d’un éventuel scénario au cours duquel le spectateur se rendrait compte de l’inutilité et du coût du F-35, de l’Osprey et d’autres systèmes tels que le programme LCS. [Littoral Combat Ships, programme de frégates, NdT]. Cela permet de « banaliser ces dépenses colossales », a-t-il ajouté.

En créant de telles scènes, dit Alford, « ils [le Pentagone] sont en mesure de montrer à quel point leurs nouveaux produits sont sexy, merveilleux, efficaces et pertinents ». Le public, quant à lui, sera moins enclin à voir le côté « brouillon, déplaisant et cruel » de ce secteur.

Promouvoir, blanchir et justifier les accords

Alors que le Pentagone expliquait autrefois les objectifs déclarés de son implication dans l’industrie du divertissement par la volonté de promouvoir « l’authenticité de la restitution des opérations militaires » et maintenir un « niveau de dignité acceptable » en ce qui concerne la présentation de l’armée, cette volonté s’est modifiée en 1988. En vertu des nouveaux objectifs, le partenariat vise à promouvoir « la perception par le public des forces armées américaines et du ministère de la défense », à améliorer « les programmes de recrutement et de soutien aux forces armées », ainsi qu’à respecter et à promouvoir « la politique du gouvernement américain ».

L’une des scènes les plus troublantes de « Theaters of War » est tirée du film de 2017 « The Long Road Home ». Dans une des scènes, un colonel affirme que l’opération de Sadr City menée en 2004 pendant la guerre d’Irak, qui a entraîné la mort de 22 militaires et de 940 Irakiens, était indispensable pour délivrer deux millions d’Irakiens de l’oppression d’un dictateur et pour leur offrir un « avenir meilleur. »

Cette affirmation ne tient pas compte d’une série de mensonges – comme l’existence d’armes de destruction massive ou les liens supposés de l’Irak avec Al-Qaida – qui ont conduit les États-Unis à fouler le sol irakien, pas plus qu’elle ne se demande si les États-Unis étaient dans l’obligation de protéger les populations contre les dictateurs du monde entier.

Cette scène et d’autres du même genre ont, selon Alford, un objectif implicite : « convaincre davantage les gens que les engagements militaires sont formidables » et qu’ils fonctionnent. Qu’il s’agisse du film Argo de Ben Afleck, qui banalise le rôle de la CIA dans l’éviction du Premier ministre iranien démocratiquement élu, Mohammad Mossadegh, en 1953, de Black Hawk Down, qui jette un voile de courage sur la débâcle désastreuse en Somalie, ou de Top Gun, qui, en 1986, redore l’image de l’armée après deux décennies d’une campagne calamiteuse au Viêtnam, toutes ces campagnes discrètes de militainment ont largement porté leurs fruits.

Plus récemment, dans la deuxième saison de Jack Ryan, l’adorable Jim de The Office fait appel à la CIA pour renverser un dictateur vénézuélien disposant de l’arme nucléaire, et ce, en espérant installer un populiste libéral magnanime. La saison a été diffusée à peu près au moment où Washington paradait avec Juan Guaido, le nouveau dirigeant du Venezuela.

Combien coûte l’industrie du militainment

En posant un diagnostic global du problème, Stahl a indiqué que le problème réside dans la « perception des intérêts du peuple américain », ajoutant qu’alors qu’ils se concentrent sur les subventions publiques et les programmes sociaux, ils sont « aveugles aux coûts de notre engagement militariste dans le monde » – un coût qui a été brièvement résumé à la fin du documentaire et qui atteint 8 000 milliards de dollars rien que pour la période post 11 septembre 2001.

Avec un sixième audit raté, un budget militaire qui frôle les 1 000 milliards de dollars et un nouveau système de missiles balistiques intercontinentaux, l’influence de l’industrie militaire est indéniablement inquiétante et plus présente que jamais.

Néanmoins, Theaters of War offre une lueur d’espoir : la transparence. Stahl, Alford, Secker et d’autres intervenants dans le film préconisent que chaque film ou spectacle avec lequel le Pentagone travaille soit accompagné d’un avertissement bien visible dès le début, et non enfoui dans le générique, précisant que le ministère de la Défense, la CIA ou toute autre agence gouvernementale a été impliquée dans la production. Les spectateurs sauront alors que ce qu’ils s’apprêtent à regarder est, au moins en partie, « un concept de propagande », comme le dit Elmer Davis.

Hekmat Aboukhater est collaborateur au programme « Démocratiser la politique étrangère » au Quincy Institute. Précédemment, Hekmat a travaillé au Département de la consolidation de la paix et des affaires politiques des Nations unies.

Source : Responsible Statecraft, Hekmat Aboukhater, 04-07-2024

vendredi 23 août 2024

Le "changement" en sociologie: une arme culturelle pour l'hégémon

La philanthropie des fondations  Rockefeller et Ford dans les sciences sociales françaises pour "améliorer le contrôle social dans l'intérêt de tous" c'est l'Otan culturelle avant la lettre. Cette petite phrase, on la trouve dans la première des deux recensions ci-dessous de l'ouvrage de Brigitte Mazon, Aux origines de l'École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain, 1920-1960 (préface de Pierre Bourdieu, postface de Pierre Morazé; Paris: les Éditions du Cerf, 1988).

 
L'ouvrage  de Brigitte Mazon reste dans les clous et le cercueil de l'Histoire bien riveté. Carrière or not carrière, that's the question. Comme le rappelle le sociologue Jean Duvignaud dans son introduction d'Hérésie et subversion. Essais sur l'anomie (La Découverte, 1986): 
 
"Ces contraintes du métier permettent rarement de s'abandonner à la réflexion errante, de sortir de l'enclos. Si, après la dernière guerre, la sociologie s'est arrachée au silence où la confinait la spécialisation, si elle a pu enfin trouver un public, il semble qu'elle se soit enfermée dans son bunker." ("Introduction: l'écluse", p. 12)
 
 Les fondations en question ont fléché la sociologie dans son développement académique comme instrument de la guerre culturelle, pour la mainmise d'hégémon sur les cerveaux et notamment nuire au développement du marxisme: seule science interdisciplinaire capable de penser le changement dans la plupart des disciplines, dont la sociologie (les Études de genre tiennent lieu d'interdisciplinarité molle, et surtout de bouclier moral à l'industrie de la tuerie de masse).  
 
"Si nous nous y attachons d'un peu près, nous nous rendons compte que la connaissance sociologique ne possède pas les instruments qui lui permettent de comprendre et d'analyser le changement, les mutations sociales. On peut, certes, disserter sur les variations qui interviennent dans les variations de la trame de l'existence collective, en percevoir les déterminations. Ce n'est pas examiner ni analyser le changement, loin de là. Et il est important de rappeler que, si la sociologie est fille de la Révolution française et de l'immense interrogation que cette dernière a formulée concernant la réalité sociale, la plupart de réponses qui ont été apportées vont directement dans un sens opposé: Comte recherche les éléments "positifs" et permanents de la vie collective, Durkheim examine les multiples cristallisations des sociétés, Max Weber interroge les relations constantes qui s'établissent entre deux ordres d'activité contingentes. Seul Marx pose le problème du changement au centre de sa réflexion. Mais il ne nous a laissé aucun concept pour analyser la "révolution", dont il ne peut que sublimer l'apparition, n'ayant lui-même assisté qu'à des mutations avortées.
Et il faut bien constater que, dans la société industrielle moderne, le changement est devenu l'élément fondamental et essentiel de toute vie collective." ("Anomie et mutation sociale", pp. 35-36)
 
 Et v'là-t'y pas que la sociologie étatsunienne a justement une version du "changement" (qui rappelle furieusement la Pax americana d'"un ordre international fondé sur des règles" ou sinon je t'allume):
 
"Assurément, il serait injuste de dire que la sociologie n'a pas tenté de saisir et de comprendre le changement. Ce serait oublier qu'un domaine important de la recherche américaine, par exemple, et qui remonte à la publication en 1922 du livre de William F. Ogburn, Social Change, porte précisément ce nom. Mais, conformément à l'esprit général de la science américaine de cette période (mis à part C. Wright Mills), le changement est ici perçu comme une distance entre un modèle économique et social considéré comme supérieur et valable pour le genre humain tout entier et divers "retards culturels" observables. Qui ne voit que cette définition normative du changement se retourne contre le changement lui-même?". ("Anomie et...", p. 37)
 
 


 

Gaza, perle de l’Orient objet de toutes les convoitises ou, pour les occidentaux, un simple campement pilonné où survivent et meurent quelques millions de réfugiés palestiniens

 

SOURCE PRIMAIRE: https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/gaza-cette-perle-de-l-orient-objet-de-toutes-les-convoitises,7539

Gaza n’est-elle qu’un bout de terre, une enclave, une « bande » comme on la surnomme de nos jours (qita’ en arabe) ? Un simple campement pilonné où survivent et meurent quelques millions de réfugiés palestiniens, une « non-entité » ? Osons un retour sur le passé lointain — dont se réclament les nouveaux conquérants — pour raconter quelques épisodes de l’histoire de cette cité dont la splendeur remonte à l’Antiquité

Trait d’union entre la Méditerranée, l’Afrique et le continent asiatique, point de passage et de contact de plusieurs civilisations, célèbre pour ses vergers dont les produits étaient partout exportés, la cité de Gaza, pourtant maintes fois saccagée, a défié d’immenses conquérants, d’Alexandre le Grand à Napoléon.

« L’histoire de Gaza n’a rien à envier à celle de Bethléem et à Jérusalem », affirmait l’ancienne représentante de la Palestine en France Leïla Shahid sur France Culture en 2000, interviewée à l’occasion de l’exposition « Gaza Méditerranéenne », qui a eu lieu à l’automne de cette année-là à l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris. Des fouilles archéologiques ont en effet montré que la zone abritait des sites remontant à l’âge de bronze ancien — soit entre 3 000 et 1 300 ans av. J.-C. Et de préciser que l’appeler « bande de Gaza » est humiliant et réducteur. « Elle a été un port antique hors pair, sous le nom d’Anthédon.

Elle exportait vers le reste du monde : Rome, Carthage, Byzance, Athènes. « Tout ce que le commerce de l’Orient apportait », sans oublier « ses magnifiques vignobles ». L’exposition de l’IMA permettait alors d’admirer « les amphores, certes d’époque tardive, qui contenait le vin exporté vers le monde ».

Les tunnels d’Alexandre le Grand

Or, voici que dans son entreprise de conquête du monde, Alexandre le Grand a voulu s’emparer de ce port méditerranéen. À l’époque, en 332 av. J.-C., raconte le spécialiste de l’histoire ancienne et de la Méditerranée orientale Maurice Sartre.

« Gaza était la dernière citadelle perse sur le chemin de l’Égypte » et occupait une place hautement stratégique. « Après avoir bataillé pour s’emparer de Tyr (aujourd’hui au Liban), Alexandre a dû assiéger pendant deux ou trois mois Gaza ». Les biographes du Macédonien relatent de façon détaillée son entreprise pour faire plier la cité défendue par sa population. Comment ?

Il avait fait creuser des tunnels non pas pour faire arriver des vivres ou des armes comme les Gazaouis d’aujourd’hui, mais pour saper les murailles de la ville, qui étaient puissamment défendues. Il s’empara de la ville, au bout de deux à trois mois de siège, à la fin de l’année 332. Le butin fut considérable.

Surtout en encens et en myrrhe, relate Maurice Sartre.

Dans son livre sur Gaza, l’historien Jean-Pierre Filiu précise que « le pillage de Gaza remplit dix navires de butin à destination de la Macédoine ». La richesse de la ville antique est telle que Plutarque, le grand historien de la Rome et de la Grèce antiques, qualifie Gaza de « aromatophora », la dispensatrice des parfums. Une belle illustration du rôle économique de ce territoire qui continuera d’être le débouché des produits d’Arabie du Sud et du Yémen, puisque l’encens et la myrrhe viennent essentiellement de cette région. « Gaza reste le débouché des Arabes sur la Méditerranée », poursuit l’historien.

Promue au rang de colonie romaine

Zone de production et zone de transit de marchandises, ces activités ont fait de cette nouvelle polis (cité organisée à la grecque) « la fortune de la Gaza hellénistique et romaine jusqu’au moment de la conquête musulmane », rappelle encore Maurice Sartre. Après la conquête d’Alexandre, Gaza devient pendant presque un millénaire une grande ville grecque, centre économique et intellectuel, avec tous les attributs et dotée d’institutions comme Athènes ou Sparte. Dans les années 1990, des fouilles y ont mis au jour de belles maisons, peintes dans le style grec du IIe siècle av. J.-C. comme à Délos, Ephèse ou dans d’autres villes grecques de cette époque, note le spécialiste de l’Antiquité.

Par deux fois, la ville sera envahie et annexée à un royaume juif vainqueur des successeurs d’Alexandre, poussant sa population à la fuite « parce qu’ils ne voulaient pas devenir juifs ». Plus tard, elle a été incorporée au royaume d’Hérode, mais « cet État était tout sauf juif », plutôt cosmopolite. Plus tard, elle sera incorporée par Rome à la province de Syrie. Pour preuve de son rayonnement et de sa prospérité, Gaza est promue au rang de colonie romaine au IIIe siècle, ce qui permit d’octroyer la citoyenneté romaine à toute sa population.

Y parlait-on l’hébreu ?

Les populations sont très mêlées (Arabes, Phéniciens, Syriens, Grecs) mais réunies par l’usage de la langue. Non pas qu’il n’y ait eu plusieurs langues en usage, mais la langue parlée au quotidien, c’est l’araméen, comme dans toute la Syrie antique. Ce qui ne veut pas dire que l’hébreu a disparu, beaucoup de gens le connaissent, mais la langue de circulation et de communication est l’araméen, bien que le grec lui fasse concurrence.

Le grec était devenu la langue des élites et de l’administration grecque puis romaine, lit-on encore dans le livre d’entretiens entre Maurice Sartre et Jean-Noël Jeanneney, qui se veut comme un « tableau contrasté » des deux époques, l’Antiquité et le monde d’aujourd’hui.

Offerte à Cléopâtre

À cause de son emplacement au carrefour de trois mondes, Gaza a depuis toujours été un enjeu des puissances régionales, des rivalités parfois à l’intérieur des mêmes dynasties. Considérée comme joyau, elle fut offerte à Cléopâtre par son époux, nouveau maître de l’Égypte, le général romain Marc-Antoine. Mais la défaite en – 31 av. J.-C. des armées de ce dernier entraîna brièvement le retour de Gaza dans le royaume d’Hérode, à la veille de l’ère chrétienne, avant qu’elle n’entre pour environ six siècles dans l’empire romain.

Soumise ou contrôlée par les Égyptiens (dans leurs campagnes contre la Syrie), les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Grecs d’Égypte et Rome, et les Arabes (ces derniers depuis l’Antiquité, car Gaza occupait une place stratégique sur la route des caravanes), la cité a subi les contrecoups de son statut de territoire tampon.

Son nom apparaît dans les années 1450 avant notre ère, sous son appellation arabe Ghazza, durant le règne du pharaon Thoutmôsis II, mais son histoire et son identité seront marquées deux siècles plus tard par l’invasion des « peuples de la mer », venus de la Crète, qui s’établissent autour de wadi (vallée) Gaza. Cette région côtière porte le nom de Philistie, d’où la Palestine, et en arabe Filastine. Ces peuples sont eux-mêmes un mélange de Crétois, de Grecs mycéniens, et d’autres venus des rivages de la Méditerranée orientale. Soit « des réfugiés déjà ! pour faire souche dans cette région », explique Maurice Sartre, qui ajoute que « cette zone résiste constamment à la pression du royaume de Jérusalem ». Ainsi, « contrairement à ce que pourraient penser certains, Gaza n’a pratiquement jamais appartenu aux Hébreux, ni ne leur a été soumise à quelque époque que ce soit ».

Aux époques hellénistique puis romaine, Gaza est ornée d’édifices officiels et de temples dédiés à des dieux divers dont le principal est Zeus Marnas (dont l’origine est araméenne et sans doute crétoise). Son effigie orne les pièces de monnaie frappées à Gaza qui circulent du temps de l’empereur romain Hadrien qui la visite en 129-130, et en l’honneur de qui sont organisés des concours.

Plus de six siècles plus tard, les défenseurs romains de Gaza, où habitait une importante population arabe, mais aussi juive, sont vaincus par les soldats musulmans dans les années 630. La région connaîtra bien plus tard d’autres invasions : les croisades, les Mongols, le règne fatimide, le prise de Gaza par Saladin en 1187, le règne des Mamelouks, l’empire Ottoman, jusqu’aux temps modernes.

Un patrimoine menacé

En janvier, une vidéo postée sur Instagram par Eli Escusido, directeur des Antiquités israéliennes, montrant des soldats israéliens dans le dépôt d’antiquités de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem (Ebaf), suscite l’indignation et des rumeurs de pillages. Le dépôt de l’Ebaf, sous la responsabilité de la France, contient des vestiges issus de 28 années de fouilles à Gaza. Si le bâtiment et ce qu’il abrite n’ont pas été détruits par les bombardements, ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres.

Au 10 juin 2024, l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) a constaté par images satellitaires les dommages causés sur 50 sites depuis le 7 octobre

Anthédon est détruit ; le palais historique Al-Bacha de la vieille ville de Gaza, qui abritait un musée et une école, a été bombardé puis aplati par des bulldozers. Les trésors archéologiques qui s’y trouvaient ont-ils été sortis avant sa destruction ? Nul ne le sait.

Le 26 juillet, conscient de la menace qui pèse sur ce patrimoine, l’Unesco inscrit le monastère de Saint Hilarion (IVe siècle), situé dans le centre de la bande de Gaza, sur la liste du patrimoine mondial en même temps que celle du patrimoine mondial en péril lors d’une procédure d’urgence. « Cette décision vient reconnaître à la fois la valeur universelle exceptionnelle de ce site et le devoir de le protéger face aux dangers imminents », explique l’organisation dans un communiqué.

Détruire le patrimoine de la bande de Gaza, c’est aussi vouloir effacer son histoire millénaire. Laissons le dernier mot à Maurice Sartre qui nous aura servi de guide : « Gaza se trouve au commencement de l’histoire de la Palestine, elle est au cœur même de la Falestîne, Philistie. »

dimanche 7 juillet 2024

Les Tropiques d'Annie Lacroix-Riz

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