Les
attaques israéliennes ont probablement fait bien plus que les 40 000
victimes déjà recensées, et plus encore risquent de périr.
Plus tôt ce mois-ci, le Lancet a publié un article
estimant que le nombre total de morts civiles palestiniennes causées
directement et indirectement par les attaques israéliennes depuis
octobre 2023 pourrait être près de cinq fois supérieur au bilan
officiel, et pourrait atteindre « jusqu’à 186 000, voire même plus."
Il a noté que « cela se traduirait par 7,9 % de la population totale de la bande de Gaza ».
Selon
l'article, le dernier décompte disponible de Palestiniens tués – 37 396
– est beaucoup trop faible, car on ne sait toujours pas combien
d'autres se trouvent sous les décombres, combien sont portés disparus
mais ne sont pas comptabilisés parmi les morts, et combien périront à
cause de la faim, de la déshydratation ou des maladies.
«
Même si le conflit prend fin immédiatement, il y aura encore de
nombreux décès indirects dans les mois et années à venir, dus à des
causes telles que les maladies reproductives, transmissibles et non
transmissibles », note-t-il.
Cependant,
même cette estimation du Lancet de près de 200 000 morts pourrait ne
représenter que la moitié du nombre réel de Palestiniens tués, selon
certains décomptes.
Le
Norvégien Mads Gilbert, qui a beaucoup travaillé depuis Gaza au fil des
ans – notamment à l'époque où Israël menait des guerres contre
l'enclave palestinienne – a récemment souligné les multiples conditions évitables qui contribuent à ces décès « indirects » , estimant le nombre de morts ou de décès imminents. le nombre de morts pourrait être supérieur à 500 000.
Comme causes de décès indirects, il détaille «
le manque de nourriture entrant à Gaza et la destruction de
l’agriculture, de la pêche, de la volaille, des fermes laitières, etc.
Le manque d’eau, qui entraîne déshydratation et infections.
La troisième composante du « triangle de la mort » concerne les maladies courantes, note Gilbert. «
Il y a peut-être au moins 10 000 patients atteints de cancer à Gaza.
L’armée israélienne a bombardé l’hôpital de Rantisi pour enfants
atteints de cancer et l’hôpital de l’amitié turque pour patients adultes
atteints de cancer. Ils n’autorisent pas l’entrée de médicaments contre
le cancer.
Gilbert
souligne que dans les températures élevées qui règnent actuellement à
Gaza, les ordures non ramassées, les pompes à eaux usées détruites et
les rues inondées d’eaux usées qui en résultent, « cela crée un enfer de parasites qui peuvent propager des maladies ».
Ensuite,
il y a les femmes enceintes qui accouchent dans des conditions
insalubres, le corps affaibli par la faim. Il estime que plus de 50 000
enfants sont nés à Gaza depuis le 7 octobre 2023, ajoutant que «
toutes ces femmes ont besoin d’eau potable et de bonne nourriture pour
pouvoir prendre soin de leurs enfants. Il y a une surmortalité massive
chez les femmes enceintes qui ont des accouchements difficiles et qui
ont besoin d’une césarienne.
Les près de 40 000 morts constituent déjà un chiffre effroyable, mais ces récentes estimations sont absolument horrifiantes .
Ayant
vécu trois ans à Gaza (entre fin 2008 et début 2013), j'ai vu (et vécu)
la brutalité du siège israélien, les graves coupures de courant (16 à
22 heures par jour lorsque j'y vivais) après la destruction par Israël.
la seule centrale électrique et l'impact de ces coupures de courant sur
les hôpitaux (fonctionnement des salles de dialyse et des urgences ;
incubateurs ; réfrigération pour les médicaments, etc.).
Les
pannes de courant ont eu un impact sur la capacité de traiter les eaux
usées, ou du moins de les rejeter dans la mer. Lorsque les eaux usées
s’accumulent en excès, elles se déversent dans les rues (y compris au
moins un cas horrible où cinq civils se sont noyés dans un village du nord de Gaza lorsque les eaux usées ont débordé).
Le confinement imposé par Israël restreint sévèrement
ce qui est autorisé à entrer à Gaza, notamment les médicaments, le gaz
de cuisine, le carburant, les produits alimentaires, le bétail, les
semences, les engrais et bien plus encore. De même, cela limite
considérablement les exportations, contribuant ainsi à détruire
l’économie.
Comme je l’ai écrit il y a quelques années, les pannes d’électricité, les pénuries de carburant et de gaz de cuisine, l’insécurité alimentaire dramatique , le retard de croissance des enfants, le chômage à 50 % et l’eau non potable à 96 % sont la réalité de Gaza depuis des années.
En fait, déjà en 2008, j’écrivais (depuis Gaza) sur le manque d’aide alimentaire autorisée dans l’enclave :
«
Les chiffres de l'ONU révèlent qu'en moyenne moins de cinq camions par
jour ont été autorisés à entrer, contre 123 en octobre et 475 en mai de
l'année dernière. Le 27 novembre, l’ONU a annoncé qu’elle était à court
de vivres et de produits de première nécessité à Gaza. »
À l’époque, il y avait déjà une grave pénurie de « 300 types de médicaments différents, dont 95 (y compris des médicaments contre le cancer) ne sont plus disponibles à Gaza ». 220 machines utilisées pour la dialyse et d’autres procédures vitales, comme les tomodensitogrammes, n’étaient pas utilisables.
De même, les attaques israéliennes incessantes contre les agriculteurs et les pêcheurs palestiniens
, tués et mutilés par des balles et des obus, les enlèvements de
pêcheurs et le vol de leurs bateaux, durent depuis plus d'une quinzaine
d'années, ce qui a de graves conséquences sur la capacité des
Palestiniens à se développer. ou attraper leur propre nourriture.
D'autres tactiques de l'armée israélienne incluent l'incendie des récoltes palestiniennes , l'abattage ou la destruction d'oliviers et la démolition de fermes dans toutes les régions frontalières. Le gouvernement israélien est allé jusqu’à calculer le nombre minimum de calories nécessaire pour que les Palestiniens ne meurent pas complètement de faim.
En 2010, j'ai écrit sur
la destruction systématique des puits et des citernes par Israël du
sud-est au nord, en rendant visite aux agriculteurs et en étant témoin
de la destruction. Beaucoup ont essayé d'irriguer leurs terres via une
charrette à âne avec des cruches d'eau. Depuis plus d'une décennie, 95 %
de l'eau de l'unique aquifère de Gaza est impropre à la consommation humaine .
Ajoutez
les nombreuses guerres israéliennes contre Gaza au siège incessant, et
vous verrez comment Israël a depuis longtemps préparé le terrain pour
les maladies chroniques, les retards de croissance, l’anémie et bien
d’autres maladies et afflictions – bien avant le 7 octobre 2023.
Rappelez-vous qu'en octobre, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, avait déclaré : «
J'ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas
d’électricité, pas de nourriture, pas de carburant, tout est fermé. Nous
combattons les animaux humains et nous agissons en conséquence.
Rappelez-vous également comment les forces israéliennes ont tiré à plusieurs reprises sur
des Palestiniens affamés alignés pour que la maigre aide alimentaire
soit entrée à Gaza, le pire massacre de ce type en février, tuant au
moins 115 civils et en blessant plus de 750.
Quelques
mois avant l'avertissement du Lancet, en mars dernier, Ralph Nader
avait également remis en question ce qu'il pensait être une grave
sous-estimation du nombre de Palestiniens tués à Gaza, écrivant : «
À partir de récits de personnes sur le terrain, de vidéos et de
photographies d'épisodes meurtriers après épisodes, ainsi que de En
raison du nombre de décès résultant du blocage ou de la destruction des
biens essentiels à la vie, une estimation plus probable, à mon avis, est
qu'au moins 200 000 Palestiniens doivent avoir péri à l'heure actuelle
et le bilan s'accélère d'heure en heure.
Plus récemment, le Dr Ahmad Yousaf, médecin de Med Global qui travaille à Deir al-Balah, au centre de Gaza, a déclaré dans une interview :
«
Cette unité de soins intensifs est pleine de patients diabétiques qui
contractent une maladie très traitable, mais ils meurent de la chose la
plus simple : parce que l'insuline n'est pas disponible, parce qu'ils ne
sont pas autorisés à l'apporter et qu'il n'y a plus de réfrigération.
Comme beaucoup d'amputés à cause d'un traumatisme, il existe des amputés
atteints de diabète incontrôlé.
«
Les chiffres sont beaucoup plus élevés, je dirais facilement quatre,
cinq, six fois plus élevés. Sans parler de ceux qui mourront dans les
décennies à cause à la fois du traumatisme psychiatrique et des
handicaps physiques associés à ce qui s'est passé au cours des neuf
derniers mois.
Les Palestiniens torturés à mort dans les prisons israéliennes devraient également être inclus dans le décompte des morts « indirectes » , car Israël a enlevé plus de 4 000 Palestiniens de Gaza, dont des enfants, des journalistes, des médecins et des femmes (cela s'ajoute aux près de 10 000 Palestiniens non-Gaza). en détention israélienne).
Pratiquement
aucune couverture dans les médias canadiens traditionnels, et peu de
couverture aux États-Unis. En fait, sans surprise, le titre du New York Times efface Israël comme la raison derrière ces décès, avec son titre : « Les combats ne sont pas le seul tueur de Gazaouis au milieu de la guerre, disent les chercheurs », et écrit par ailleurs qu'Israël se dégage de toute responsabilité dans la famine. cela a délibérément provoqué à Gaza.
Il
vaut toujours la peine de souligner l’hypocrisie de la presse
occidentale et des réactions des têtes parlantes lorsque Israël commet
des atrocités, par rapport à l’Occident qui prétend que la Syrie, la
Russie ou un autre État aurait fait quelque chose de similaire. Pendant
ce temps, Israël continue de massacrer les Palestiniens dans ce qui
était censé être des « zones de sécurité »,
notamment les récents bombardements répétés du camp de réfugiés
d’al-Masawi (avec au moins 1,5 million de Palestiniens déplacés), tuant au moins 71 civils et en blessant près de 300 autres. Ensuite, Israël a bombardé à nouveau ce même camp quelques jours plus tard.
Il
est ahurissant que ce massacre de civils palestiniens se poursuive,
avec quelques crispations et de légères condamnations. Comme l’a écrit
Ralph Nader : «
Il est très important que le bilan global jusqu’à présent, et ce n’est
pas fini, soit trois, quatre, cinq, six fois plus élevé. C’est important
pour souligner l’urgence d’un cessez-le-feu permanent.
Issu
du siècle des lumières, le libéralisme se présente comme une
philosophie politique qui prône des valeurs telles que la démocratie, la
laïcité, l’égalité entre les sexes, l’égalité raciale, la liberté
d’expression, la liberté de la presse, la liberté du choix religieux ou
encore une forme d’internationalisme. Mais par delà les apparences,
connaît-on vraiment l’histoire du libéralisme ? Cette doctrine qui
domine sans partage est-elle aussi bienveillante que ses aficionados le
prétendent ?
Convaincu
de la nécessité d’un nouvel éclairage, le philosophe italien Domenico
Losurdo a publié en 2014 une « Contre-histoire du libéralisme ». Dans
cet ouvrage, le philosophe revient sur trois siècles de libéralisme.
Chapitre après chapitre, Losurdo nous détourne des idées très largement
répandues qui laissaient entendre que le libéralisme garantit à
l’ensemble de la communauté humaine des droits fondamentaux. Pour lui,
l’esclavage, le colonialisme, les génocides, le racisme et le mépris de
classe font partie intégrante de l’histoire du libéralisme.
Losurdo insiste avec force, méthode et détermination. Sans établir de
parallélisme simpliste, il parvient à nous démontrer que les théories du
“troisième Reich” étaient déjà en gestation dans la matrice libérale.
En nous
inspirant du décryptage minutieux de Losurdo, il nous a semblé utile de
revenir sur l’histoire du libéralisme. Tout d’abord en essayant de
reprendre à notre compte la méthodologie du philosophe italien qui
pointe notamment les contradictions du libéralisme. Puis en nous
permettant de recouper les affirmations de Losurdo avec d’autres
sources. Enfin, en essayant de comprendre où nous a conduits le
libéralisme en 2019, nous essayerons de mieux cerner où il pourrait nous
emmener, alors même qu’il est toujours de bon ton de diaboliser les
révolutions et la lutte des classes.
John Locke : le père du libéralisme
John
Locke (1632 – 1704) était un philosophe et médecin anglais, largement
considéré comme l’un des plus influents penseurs du libéralisme. Locke
pense que la nature en soi fournit peu de valeur à la société, ce qui
implique que le travail consacré à la création de biens leur confère
leur valeur. Partant de ce postulat, Lockea élaboré une théorie du travail fondée sur
la propriété. Pour lui elle est un droit fondamental lié à la nature
intrinsèque de l’être humain, au même titre que la vie ou la liberté.
Si, au départ, la terre appartient aux hommes de façon égale, elle leur a
été donnée par Dieu et ceux-ci se l’approprient en y apportant la
valeur ajoutée de leurs efforts.Il estime
également que la propriété précède le gouvernement et que le
gouvernement ne peut « disposer des biens des sujets de manière
arbitraire ». A la question « de quel droit un individu peut prétendre
posséder une partie du monde ?”, Locke répond que “les personnes se
possèdent elles-mêmes et donc possèdent également leur propre travail.”
L’esclavage comme fondement
Mais le droit pour Locken’est finalement pas universel,puisqu’il s’obtient par la volonté divine.
De ce fait il ne s’applique pas de la même manière à l’ensemble des
individus qui forment la communauté humaine. Dans son système les
pauvres doivent être blâmés pour leur pauvreté. Une recommandation qu’il argumente clairement dans un rapport intitulé « Fondements des politiques de la pauvreté ».Locke suggère des réformes axées sur la discipline inculquant des caractéristiques qu’il considère positives telles que le travail acharné. Il affirme que, pour «restreindre efficacement les vagabonds inactifs», les pauvres devraient être mis au travail. Les
vagabonds pourraient être contraints de servir dans l’armée et la
marine. Ils seraient astreints à des travaux durs, et en cas de délits, à
des peines sévères aux travaux obligatoires dans des plantations.
Lockefut l’un des principaux investisseurs de la Royal African Company, pilier du développement de la traite négrière. Dans une carrière aux fortunes diverses, Lockefut intimement impliqué dans les affaires américaines.Il participa à la rédaction des Constitutions fondamentales de la Caroline (divisée entre le nord et le sud en 1729) qui
stipule entre autre que les citoyens de la Caroline exercent un pouvoir
et une autorité sans limites sur leurs esclaves noirs. “Les Indiens vivent de cueillette, de chasse et de pêche, et non d’agriculture ou d’élevage intensif”
argumente Locke. En bon colonialiste libéral il soutient que la terre
appartient à celui qui la cultive et non à celui qui l’occupe. Les
terres américaines peuvent donc faire l’objet d’une appropriation sans
consentement.
Les « Workhouses » : l’univers concentrationnaire pour les pauvres
De 1601 à 1948 au Royaume-Uni, les workhouses
furent des sortes de camps de travail, dans lesquels les personnes
dites incapables de subvenir à leurs besoins se virent contraintes
d’accepter des conditions de vie qui peuvent, comme nous allons le voir,
aisément s’apparenter à de l’esclavage. Les malheureux qui survivaient
dans une workhouse étaient marqués sur la manche de leur uniforme du
«P» qui voulait dire «pauper». Comme dans les camps de concentration,
les détenus, puisqu’au fond il s’agit bien de cela, étaient soumis à une
discipline inflexible qui reposait sur un travail épuisant. Les indigents, pour
reprendre un terme cher à John Locke, y travaillaient jusqu’à 18 heures
par jour. Par l’effet combiné de la sous-alimentation, du travail
éreintant (dès l’âge de 4 ans), du manque de vêtements, de la
surpopulation et des épidémies, on dénombre 280 000 morts dans les
workhouses irlandaises durant la grande famine qui sévit au milieu du
19e siècle en Irlande. Le roman de Charles Dickens “Oliver Twist” critique sévèrement la violence institutionnelle des workhouses. Dans la scène où Oliverdemande
une petite ration supplémentaire, Dickens détaille parfaitement le
caractère inhumain des maisons de travail. Dickens commente aussi
sarcastiquement la mesure notoire consistant à séparer les couples
mariés lors de l’admission à la maison de travail.
Jeremy Bentham : une conception libérale à deux faces
Jeremy
Bentham plaide en faveur des libertés individuelles et économiques, de
la séparation de l’Église et de l’État, de la liberté d’expression, de
l’égalité des droits pour les femmes, de la décriminalisation des actes
homosexuels, et il appelle à l’abolition de l’esclavage. L’axiome
fondamental de son discours repose sur le principe selon lequel c’est le
plus grand bonheur du plus grand nombre qui mesure le bien et le mal.
Cependant Losurdo remarque que s’il y a le Benthamaux
allures progressistes, il y a également un autre Bentham aux
aspirations beaucoup plus anti-sociales qui ne tarit pas d’éloges à
l’égard des workhouses. Des manufactures qu’il entend faire évoluer en «
maisons d’inspection » de type panoptique. Un concept dont il est à l’origine qui permet le contrôle des détenus par un nombre de surveillants limité. Bentham justifie sa proposition ainsi : « Les
soldats portent des uniformes ; pourquoi les pauvres n’en
porteraient-ils pas ? Ceux qui défendent le pays les portent ; pourquoi
ceux que celui-ci maintient en vie ne devraient-ils pas le faire ? Non
seulement la force de travail qui réside en permanence, mais aussi les
travailleurs occasionnels, devraient porter l’uniforme quand ils sont
dans la maison, pour le bon ordre, pour la facilité d’être distingués et
reconnus, et aussi pour la propreté« . Ce
court mais explicite extrait résume très bien l’ambiguïté de la
philosophie de Bentham qui d’un côté chante les louanges de la liberté
et de l’autre argumente par l’entremise d’une autre facette de sa
doctrine dite « utilitariste » la nécessité d’embastiller les pauvres avec pour seul motif qu’ils sont pauvres.
La grande famine irlandaise
L’événement est parfois appelé “famine de la pomme de terre irlandaise”. La cause immédiate de cette famine fut une maladie nommée “mildiou”, un parasite microscopique qui infectait
les cultures de pommes de terre. Plusieurs sources considérées
sérieuses, évaluent entre 1846 et 1851 à un million le nombre total de
victimes. A ce chiffre s’ajoutent deux millions de réfugiés qui migrèrent
dans des conditions périlleuses vers des pays anglophones. Dans la même
période (la seconde moitié du XIX siècle), la Grande-Bretagne est la
première puissance économique mondiale. Son PIB progresse de 600%
lors du décollage de son économie de 1700 à 1860. Pendant que les gens
mouraient de faim en Irlande, les exportations de céréales se
poursuivaient partout en Europe.
Pourquoi les anglais ne sont-ils pas vraiment intervenus ?
1/ L’impact du fléau était exacerbé par la politique économique du sacro-saint « laisser-faire »
cher à la mouvance libérale. Il n’était pas question pour les
capitalistes britanniques de contrarier les flux de capitaux engendrés
par l’exportation de denrées alimentaires.
2/ Dans le protestantisme libéral, il y avait un présupposé métaphysique
qui affirmait que Dieu voulait punir les irlandais du fait de leur
obédience religieuse (catholique). Tout au long de la famine, Charles
Edward Trevelyan, secrétaire adjoint au Trésor, était en charge de
l’action des pouvoirs publics anglais. Les idées préconçues de l’élite
anglaise se révèlent formellement dans une lettre où Trevelyan écrit
qu’il voyait dans cette famine le jugement de Dieu qui selon lui
infligeait cette calamité afin de donner une leçon aux Irlandais. C’est
pourquoi elle ne devait pas être trop atténuée pensait-il.
3/ Du point de vue de la bourgeoisie anglaise, les irlandais étaient des
arriérés, des paresseux, abonnés à la sournoiserie sans que l’on puisse
faire quelque chose. Entre autres, le journal libéral The Timestirait à boulets rouges sur le peuple irlandais, pour dénoncer : «
une oisiveté rusée, calculatrice, cupide, un refus absolu de tout
effort personnel et la maladie morale d’une vaste population plongée
dans l’agréable bourbier de l’indigence volontaire… ».
Génocide ou pas ?
Le journaliste et historien John Mitchelfut l’un des premiers à accuser les Britanniques de génocide. Il écrit : « Certes le Tout-Puissant nous a frappés du mildiou mais ce sont les Britanniques qui ont provoqué la famine. » The Famine Plot(le
complot de la famine) est un essai écrit par l’historien irlandais Tim
Pat Coogan publié en 2012. Coogan y accuse ouvertement les Anglais
d’avoir commis un « holocauste ». L’historien de l’économie irlandaise Cormac O’Grada
pense qu’une attitude moins doctrinaire à l’égard de la lutte contre la
famine aurait permis de sauver de nombreuses vies. Professeur
d’histoire moderne irlandaise à la Queen’s University Belfast, Peter
Gray dans son ouvrage « L’Irlande au temps de la grande famine » conclut que l’attitude britannique peut être qualifiée de « négligence coupable ».
Rappelons que s’abstenir de porter secours à une personne ou à un groupe de personnes en détresse s’appelle en droit la “non-assistance à personne en danger”. Mais il y a plus grave : le laisser-faire coupablemotivé par des préjugés raciaux constitue l’une des bases de l’idéologie fasciste. La grande famine accompagnée du scandale de la non-intervention britanniqueest l’un des premiers indices qui tend à montrer que le libéralisme fut bien le poisson-pilote des idéologies fasciste et nazie.
Du « darwinisme social » au concept de « race aryenne »
Nous savons tous globalement qu’Hitleret
les dignitaires du parti nazi étaient obsédés par la «pureté raciale».
Ils ont ainsi utilisé le mot «aryen» pour décrire l’idéal d’une «race
allemande pure». Selon eux, les aryens avaient un sang pur, la peau
pâle, les cheveux blonds et les yeux bleus. Et à contrario les non-aryens étaient considérés comme impurs voire même quasi-diaboliques. Hitler croyait que la supériorité aryenne était particulièrement menacée par les Juifs. Alors certes, si le national-socialismequi
conteste comme nous venons de le rappeler le principe universel
d’égalité entre les hommes, a développé ses propres spécificités, il fut
aussi un réceptacle des théories racistes forgées au cours des
décennies précédentes.
Il en va ainsi des idées développées un siècle plus tôt parHerbert Spencer, qui fut la “tête de gondole” du darwinisme social. Spencer était rédacteur en chef de la revuelibérale The Economist, l’autre grand journal libéral anti-irlandaisavec The Timesqui
encouragea la non-assistance durant les années de la grande famine. Le
darwinisme social, qui n’a pas grand chose à voir avec le darwinisme,
donnera naissance à l’eugénisme représenté en premier lieu par Francis Galton. Pour ce dernier, il s’agissait de préserver les élites nationales à tout prix. Des élites qui risquaient bel et bien de disparaître au profit des pauvres dont le nombre augmentait de génération en génération, prévenait Galton.
Le premierCongrès international
de “l’eugénique” se déroule à Londres en 1912. Il est organisé par la
British Eugenics Society Education qui compte parmi ses membres
imminents une collection de hauts responsables politiques britanniques.
Nous retrouvons entre autres : Arthur Neville Chamberlain, qui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1937 à 1940. Winston Churchillqui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955. Et l’économiste John Keynes
qui est considéré comme la figure de proue du « social-libéralisme ».
Dans des circonstances où les pays anglo-saxons et en particulier les
américains sont fortement représentés, ce congrès est inauguré parLord Balfour.
Le second Congrès aura lieu à New York en 1921. D’ailleurs bien avant
l’Allemagne, les Etats-Unis étaient à la pointe dans le domaine de
l’eugénisme. Ils furent même les premiers à mettre en place unelégislation eugénique.
L’Etat de l’Indiana pratique dès 1899 des stérilisationssur
des criminels volontaires et sur des arriérés mentaux. Cet Etat vote en
1907 une loi prévoyant la stérilisation des dégénérés. En 1914, trente
états promulguent des textes annulant le mariage de ceux qu’on classe en
termes d’idiots. (Actuellement dix-neuf Etats ont toujours cette
législation dans leurs textes). Le courant eugéniste américain vise
également les immigrants, particulièrement ceux venant d’Europe de l’Est
et du Sud. Ces derniers sont désignés comme appartenant à une race
inférieure à celle des anglo-saxons. Le mouvement eugéniste gagne
ensuite petit à petit l’Europe. Les pays scandinaves sont les premiers
à voter des lois de stérilisation envers les épileptiques et les
retardés mentaux. Les lois de stérilisation furent abrogées tardivement,
d’abord au Danemark (1967) et en Finlande (1970), puis en Suède (1976)
et en Norvège (1977).
Dans ce contexte, notons deux citations
“Je
souhaiterais beaucoup que l’on empêcha entièrement les gens de
catégorie inférieure de se reproduire, et quand la nature malfaisante de
ces gens est suffisamment manifeste, des mesures devraient être prises
en ce sens. Les criminels devraient être stérilisés et il devrait être
interdit aux personnes faibles d’esprit d’avoir des descendants”. Théodore Roosevelt
“La
multiplication contre nature et de plus en plus rapide des faibles
d’esprit et des malades psychiatriques, à laquelle s’ajoute une
diminution constante des êtres supérieurs, économes et énergiques,
constitue un danger pour la nation et pour la race qu’on ne saurait
surestimer… Il me semble que la source qui alimente ce courant de folie
devrait être coupée et condamnée avant que ne s’écoule une nouvelle
année.” Winston Churchill
Collusion entre l’idéologie pangermanique et l’eugénisme libéral
En popularisant le concept de « race aryenne », Houston Stewart Chamberlain
est indéniablement l’idéologue qui servit de trait d’union entre
l’eugénisme anglo-saxon et le pangermanisme qui défendait le Volkstum
(le rassemblement de tous les hommes de même langue, de même culture).
Inspiré par le darwinisme social et la théorie de l’aristocrate français
Arthur de Gobineauqui
établissait une dichotomie au sein de la même race (d’un côté la
noblesse aryenne et de l’autre les citoyens de race inférieure),
Chamberlain publie en 1899 “Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts” (La Genèse du XIXème siècle). Cet ouvrageconstitue
une « histoire raciale » pseudo-scientifique de l’humanité, qui annonce
la guerre imminente pour la domination mondiale au XXème siècle entre
les Aryens d’un côté, contre les Juifs, les Noirs et les Asiatiques de
l’autre côté. Très élogieux, l’Empereur allemandGuillaume II lui écrit : « Je
sentais d’instinct que nous, les jeunes, avions besoin d’une autre
formation, pour servir le nouveau Reich ; notre jeunesse opprimée
manquait d’un libérateur tel que vous !…» Pour les pays anglo-saxons, Théodore Roosevelt, le 26e président des États-Unis,dans un article de l’Outlook, souligne avec prudence un parti pris extrême de l’auteur, mais ajoute malgré tout que l’ouvrage « représente une influence avec laquelle il faut désormais compter, et compter sérieusement ».
Naturalisé Allemand en 1916, Chamberlain recevra la Croix de fer peu de
temps après, et apportera son soutien en 1923 à Adolf Hitler (un
admirateur de la première heure). Il convient de noter que l’Institut Kaiser-Wilhelmd’anthropologie,
d’hérédité humaine et d’eugénisme qui dans les années 1930 promeut
l’eugénisme et l’hygiène raciale en Allemagne nazie, sera jusqu’en 1939
financé par la Fondation Rockefeller qui était également partie prenante dans les programmes américains et scandinaves.
Une
concordance idéologique que l’on retrouve en 1905 quand Francis Galton
(anobli en 1909) s’associe à Alfred Ploetz le théoricien allemand à
l’origine de «l’hygiène raciale». Les deux hommes créèrent avec d’autres
la Société allemande d’hygiène raciale (Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene).
Cette organisation sera affiliée à la “British Eugenics Education
Society” de Galton. Une coopération qui permettra l’implantation de
succursales en Suède, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Par la suite, la
“Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene” exercera une influence directe
sur des lois comme la « Loi pour la prévention de la descendance
héréditaire malade », qui faisaient partie intégrante de l’Action T4 « euthanasie », un programme du régime nazi supervisé directement par Adolf Hitler.
Alexis de Tocqueville : une icône de la bourgeoisie libérale française…
Il
est la référence incontournable des chantres français (actuels et
passés) de l’«anti-antiaméricanisme». Les mêmes sont aussi les chantresde l’«anti-socialisme».
Parmi eux : Raymond Aron, François Furet, ou plus récemment
Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut. Né en 1805, Tocqueville,
juriste qui fut tour à tour diplomate, homme politique et historien, est
surtout connu aux États-Unis pour son œuvre « De la démocratie en Amérique« .
Selon ses dires, l’échec de la Révolution française est le fait d’un
attachement trop important aux idéaux des lumières définis en grande
partie auparavant par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat socialdans
lequel Rousseau explicite que la démocratie doit maintenir sa pureté.
Tocqueville était quant à lui un libéral classique qui en conséquence
prônait la nécessité d’un gouvernement parlementaire. En 1835,
Tocqueville entreprit un voyage en Irlande. Il y observe les conditions
épouvantables dans lesquelles vivaient la plupart des fermiers
catholiques. De plus Tocqueville décrit les Workhouses comme « l’aspect le plus hideux et le plus dégoûtant de la misère ».
… pas si bienveillante qu’elle en a l’air
L’indignation
à géométrie variable est une constante chez les libéraux. Si
Tocqueville a su se montrer souvent très critique envers la politique
sociale britannique, Losurdonous rappelle que « Tocqueville
propose d’appliquer le modèle de la colonisation américaine à l’Algérie
: il théorise la «guerre juste» faite aux «sauvages» voués à la
destruction, qui passe par des exactions à l’encontre des civils, et
l’instauration d’un apartheid garantissant la suprématie blanche ». Selon l’aristocrate français
«La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si
incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la
grande famille humaine, que l’homme placé chez nous, par ses vices et
son ignorance au dernier échelon de l’échelle sociale, est encore le
premier chez les sauvages».
Des crimesmultiples liés la colonisation française en Algérie que Tocqueville n’a jamais cessé de cautionner : «
J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je
n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât
les silos et enfin qu’ons’emparât
des hommes sans armes, des femmes et des enfants, ce sont là, suivant
moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra
faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrivait Tocquevilleavant d’ajouter « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays … ».
Les pratiques esclavagistes et génocidaires du pouvoir américain
Les
Anglais ont établi treize colonies de peuplement en Amérique du Nord aux
XVIIe et XVIIIe siècles. Elles accèdent à l’indépendance en 1783 et deviennent les États-Unis d’Amérique.Sur
les 36 premières années des Etats-Unis, il y a 34 années pendant
lesquelles les Présidents sont des propriétaires d’esclave, relate Losurdo.
Ce premier point constitue une différence fondamentale avec la
conception des protagonistes de la Révolution française à qui il est
reproché une approche trop abstraite de la question politique. Losurdo
nous dit : « mais c’est pour cela que la Révolution française a débouché sur cette idée abstraite qu’est l’abolition de l’esclavage« .
Cette idée abstraite mais surtout universelle ne pouvait évidemment pas
être le produit d’une caste d’esclavagistes qui avaient développé leurs
fortunes par le biais du trafic des Africains. Car ne l’oublions pas,
entre 11 et 12,7 millions d’entre eux
ont été arrachés à leurs terres entre le XVe et le XIXe siècle pour
être déportés par les grandes puissances européennes : Portugal,
Espagne, Angleterre, Hollande et France.
Bien
moins connue, la mise en esclavage des Amérindiens est l’une des autres
fautes morale du colonialisme européen en Amérique. Dans son premier
livre « Colonial North America« ,
l’historien Brett Rushforth jette un éclairage nouveau sur le bilan
total de l’esclavage des populations amérindiennes. Il établi qu’entre 2
et 4 millions d’autochtones ont été réduits en esclavage en Amérique du
Nord et du Sud. Dans son second livre, Rushforth réexamine en
particulier l’esclavage des Amérindiens par les colons français, aidés
en cela par certains de leurs alliés autochtones. Rushforth retrace
ainsi l’interaction dynamique qu’il y avait entre les systèmes
autochtones déjà existants et l’institution coloniale française basée
sur le continent américain. En Nouvelle-France, pas moins de 10 000Indiens ont été réduits en esclavage entre 1660 et 1760.
Dans « Contre-histoire du libéralisme« ,
Losurdo revient sur Thomas Jefferson, le 3e président des États-Unis
qui dans sa correspondance privée reconnaît volontiers l’horreur de la
guerre contre les indiens. Mais Losurdo précise qu’aux yeux de
Jefferson, « c’est justement le
gouvernement de Londres qui en est responsable car il a excité ces «
tribus » sauvages et sanguinaires : cette situation va nous obliger à
les poursuivre jusqu’à l’extermination… ».
George Washington proposait quant à lui la négociation de l’achat des
terres car pour le 1er Président des États-Unis, l’Indien était un «
sauvage » qu’il valait mieux éviter de « chasser » de son territoire,
car il y reviendrait à un moment ou à un autre. D’un autre côté, en
violation d’un traité en 1779 pendant la guerre d’indépendance, George
Washington, le commandant de l’armée continentale ordonne que les
territoires des Iroquois soient conquis et dévastés. Le non-respect des
engagements envers les indiens accompagne la marche de l’Histoire
américaine, nous rappelait l’historien américain Howard Zinnqui écrivait : «
les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités
avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans la moindre exception
».
En 1763,
la Grande-Bretagne, par la Proclamation royale, décida de réserver le
«Territoire indien» à l’ouest de la Nouvelle-Angleterre aux autochtones
et interdit même aux colons de s’y installer. Cette décision est en
grande partie à l’origine de la guerre d’indépendance. On
dénombre environ 65 conflits armés ayant opposé les peuples Indiens
d’Amérique du Nord aux Américains, dans une période allant de 1778 à
1890. La conséquence immédiate de ces guerres fut la politique de
déportation des populations indiennes vers des réserves. Guerres,
maladies et massacre des bisons pour affamer les indiens débouchèrent
sur un résultat sans appel. Entre le XVIème et le XIXème siècle, la
population des natifs américains est passée de plus de 20 millions
d’individus à seulement 250 000. Alors génocideou
pas ? Sont qualifiées de génocide les atteintes volontaires à la vie,
précise l’ONU. Dès lors, il suffit de relire simplement les aveux de
Jefferson pour s’en convaincre : « Cette situation va nous obliger à les poursuivre jusqu’à l’extermination ».
Avant de refermer ce chapitre, n’oublions pas qu’il y a peu de temps,les lois ségrégationnistes étaient encore en vigueur : « Les Amérindiens doivent eux attendre 1924pour
bénéficier de la citoyenneté. Quant aux Afro-Américains, malgré
l’abolition de l’esclavage en 1865 et le vote dans la foulée des
Quatorzième et Quinzième amendements, qui garantissent théoriquement
leur citoyenneté, ils voient, au moins jusqu’aux années 1960, leur droit
de vote massivement restreint par des astuces juridiques comme les
tests d’alphabétisation ou la grandfather clause, qui impose d’avoir eu
un grand-père électeur pour être électeur soi-même ». A
cela ajoutons que les mariages «interraciaux» étaient interdits entre
blancs et noirs dans une majorité des États avant la Seconde Guerre
mondiale, et très souvent aussi entre blancs et Asiatiques ou blancs et
Amérindiens. (Slate, 25 août 2017)
Vous avez dit un continent pour une seule race…
En 2017, James Q. Whitman écrit : « Hitler American Model » que nous pouvons traduire par « Le modèle américain d’Hitler« . Dans cet ouvrage, Whitman
démontre qu’Hitler s’est tout particulièrement inspiré des politiques
ségrégationnistes mises en place aux États-Unis pour élaborer la
législation du 3e Reich. Même si Whitman souligne que “les États-Unis ne sont pas responsable de la politique allemande entre 1933 et 1945« , cet essainous aide à comprendre l’influence américainesur les pratiques racistes dans le monde entier. Whitman note ainsi qu’en 1942 le ministre nazi Hans Frankqualifiait d’« Indiens » les juifs d’Ukraine…
Philippe Burrin, enseignant
à l’Institut des hautes études internationales à Genève, rappelait
quant à lui en 2001 dans L’Express que dans un plan de recomposition
d’une nouvelle Europe « [Hitler affirmait
qu’]il y a une race allemande, à laquelle appartiennent non seulement
les Autrichiens, les Suisses allemands, les Luxembourgeois mais également tous les individus d’Europe qui ont pu avoir eu des ascendants allemands. […]
Ensuite, on agrège à cette masse allemande les populations parentes
dites «germaniques» comme les Scandinaves, les Hollandais, les Flamands,
pour former un peuple maître de quelque 100 millions de personnes. Pour que celui-ci puisse croître rapidement, il faut un «espace vital» : Hitler
a choisi les terres situées à l’est de l’Europe. Que fait-on des
«sous-hommes» qui s’y trouvent déjà ? Réponse logique : on les expulse,
ou bien on les transforme, comme jadis, en esclaves qui aideront aux
grands travaux d’aménagement, ou, pour ceux qui n’ont pas de
territoires, comme les Juifs et les Tsiganes, on les extermine « . En bref : une race supérieure, des expulsions, des esclaves et une extermination de masse. Comme un air de déjà-vu ?
Le « droit-de-l’hommisme »
Au
fil du temps, la rhétorique libérale a dû évoluer. Tout d’abord parce
que les grandes métropoles capitalistes ont vu leur leadership remis en
cause par l’autodéterminationchinoise
qui a inspiré beaucoup d’autres pays du tiers-monde. Ensuite, parce que
la narration droitière et racialiste du 18ème siècle est devenue
douteuse, voire même obscène après le procès de Nuremberg.Les libéraux ont donc judicieusement abandonné le racialisme désormais trop voyant et mal connoté au profit d’un discours emprunt de bonnes intentions appelé le plus souvent « droit-de-l’hommisme« ,
qu’il ne faut surtout pas confondre avec la « Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen” de 1789 qui stipule dans son premier article : « Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits« . Et de facto, le « droit-de-l’hommisme » allait immédiatement se caractériser par son jumelage avec un autreconcept qui allait connaître un succès immodéré : “l’ingérence humanitaire« . Cette fausse belle idée venue de la “gauche-caviar”fut popularisée par le “French doctor” Bernard Kouchner
dans les années 1980. Un alibi impérialiste qui a permis par exemple à
Sarkozy 1/ de s’emparer d’une plus grande part de la production libyenne
de pétrole. 2/ d’accroître l’influence française en Afrique du Nord 3/
d’améliorer la situation politique personnelle de Nicolas Sarkozy en
France 4/ de permettre à l’armée française de réaffirmer sa position
dans le monde, et 5/ de répondre à la volonté de Kadhafi de supplanter
la France comme puissance dominante en Afrique francophone. Ces 5 points
sont extraits d’un rapport
élaboré par les parlementaires britanniques. Pour des raisons quasi
identiques, un autre rapport britannique met en cause la façon dont Tony Blair a lancé son pays dans la guerre, et son soutien inconditionnel à George W. Bush.
Le « Choc des civilisations » ?
Le
libéralisme est une hydre à deux têtes et avec le temps, les discours
sur les bons sentiments n’ont plus satisfaits pleinement les libéraux du
style identitaire. Aussi, ces derniers ont préféré entretenir leur
paranoïa en se référant depuis 1993 au « Choc des civilisations« . La promotion de ce concept remonte à un article de la revue Foreign Affairs du Council on Foreign Relations, puissant cercle d’influence connu pour ses penchants néoconservateurs et néolibéraux. Le Choc des Civilisations
est avant tout une théorie forgée par l’américain Samuel Huntington qui
laisse planer l’idée d’une supériorité morale de l’Occident qui serait
menacée par une grande partie du Monde. L’un des problèmes avec la thèse
d’Huntington est qu’elle oublie les effets néfastes de plus de 300 ans
de culture libérale sur la grande majorité des hommes (esclavage et
génocide en particulier comme nous venons de le voir). D’autre part, les
Etats-Unis,
actuel vaisseau amiral de l’Occident, est de loin le pays le plus
guerrier des deux cents dernières années. Il convient aussi d’ajouter
que les tenants du « Choc des civilisations » pointent du doigt un
conflit entre la « civilisation occidentale » et la « civilisation
islamique » en omettant de préciser que tout en étant la principale
source de financement du terrorisme islamique, les pétromonarchies du
Golfe sont des alliés indéfectibles des États-Unis. Compte tenu de cet état de fait, nous retiendrons que pour les libéraux interventionnistes, le « Choc des civilisations” fut à l’origine de la Guerre préventive
qui était le point central de la doctrine Bush. Depuis lors, les
guerres sont humanitaires mais aussi préventives puisqu’elles sont
promues par les adeptes de deux pôles qui appartiennent malgré tout au
même entre-soi.
Socialisme – libéralisme : deux modèles que tout oppose
Pour se
soustraire à la critique, l’argumentation libérale consiste à dévier du
sujet en martelant régulièrement que les révolutions (non libérales) ont
fait des millions de victimes. Ce genre d’assertion univoque et souvent
dépourvu de contenu factuel a l’avantage de faire oublier qu’il y a
deux types d’acteurs dans une révolution. Les révolutionnaires bien sûr,
mais aussi les contre révolutionnaires. Rajoutons
à cette remarque que contrairement au libéralisme bourgeois qui lui est
au service d’une minorité de privilégiés, le socialisme se caractérise
par deux axiomes :
1/ la déclaration universelle des droits de l’homme,
2/ le concept de lutte des classes qui fut impulsé par Karl Marx et
Friedrich Engels. Ces deux idées ont en commun le non assujettissement à
l’influence politique et à la pression institutionnelle. Dès lors, il
n’est pas question dans le proto-socialiste et par la suite dans le
socialisme d’anéantir ou même de mettre à l’index une partie de la
population. Alors, évidemment qu’il y a eu des crimes dans les
révolutions mais il s’agit de déviances qui n’étaient pas prévues dans
les projets initiaux. Dans le libéralisme, les crimes que l’on découvre à
posteriori sont constamment justifiés à priori. Ce dernier point est
capital, puisqu’il établit clairement que le projet libéral est
historiquement réactionnaire et raciste alors que le socialisme propose
un idéal de liberté et de justice.
En conséquence,
la convergence des deux lignes, libéralisme et fascisme, se trouve
confortée par des points de vue qui peuvent paraître étonnamment
similaires. Le rapprochement idéologique est d’autant plus frappant
quand l’exemple choisi fait figure de symbole de la résistance à
l’Allemagne d’Hitler : Winston Churchill, célèbre pour ses bons mots et
la longévité de sa carrière politique. Son caractère opiniâtre face au
péril nazi lui a valu le surnom de « Vieux Lion ». Avec ses allures de
tonton débonnaire et bienveillant, Churchill, a su se forger une
réputation d’excellence par un travail acharné et soutenu.
Churchill, s’adressant au dictateur italien Benito Mussolini à Rome en 1927, déclara :
« Votre mouvement a rendu un service au monde entier. Si j’avais été
Italien, j’aurais été de tout cœur avec vous, de bout en bout dans votre
lutte triomphale contre les passions bestiales du léninisme. ». En
1943, les Indiens sont prêts à soutenir l’effort de guerre contre le
nazisme, à condition qu’on leur accorde l’indépendance. Le premier
ministre britannique rétorqua : « partir à la demande de quelques macaques ? »,
« Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion
bestiale. ». Sans ménagement, Sir Winston réquisitionnera massivement
les denrées. Le résultat pour les populations locales fut
catastrophique. On dénombra entre 3et 4,5 millionsde
victimes au Bengale selon plusieurs estimations considérées sérieuses.
Dans le Illustrated Sunday Herald du 8 février 1920, Churchill accuse
les Juifs d’être responsables de la révolution russe. A l’instar
d’Hitler dénonçant le danger d’une conquête judéo-bolchévique de
l’Europe, Churchill expliqua
en substance qu’une conjuration mondiale, motivée en grande partie par
de la jalousie, visait à renverser la civilisation en empêchant le
processus d’évolution traditionnel. En 1937, il déclara à la Chambre des
communes être « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxique contre les tribus non civilisées”. Ce jour-là,le
futur Premier ministre du Royaume-Uni apporta indiscutablement sa
caution au le projet d’extermination physique théorisé dans Mein Kampf
par Adolf Hitler au milieu des années 1920.
Conclusion
Les
promoteurs de cette idéologie qu’est le libéralisme développèrent dans
son premier âge une opposition farouche à l’absolutisme monarchique qui
régnait jusque là sur toute l’Europe. A l’origine de ce mouvement, nous
retrouvons des prétendants à plus de droits qui vont de la grande
bourgeoisie à la petite noblesse. Désireuse de bousculer l’ordre établi,
cette nouvelle autorité aux allures de méritocratie est parvenue au nom
de vertus autoproclamées (travail, effort, compétence et intelligence) à
s’émanciper des monarchies héréditaires et élitistes. Cependant, ce
simple renversement s’est opéré sans jamais remettre en cause la
totalité de l’ordre social.
Dominico
Losurdo nous rappelle que sur les traces des royautés ou des
aristocraties militaires, les sociétés libérales ont eu recours pour
optimiser leurs profits à l’esclavage, à l’«esclavage salarié»,
au sous-prolétariat, à la traite négrière et à l’élimination de
populations autochtones. Ces crimes furent justifiés au nom d’une
appartenance à une civilisation supérieure. Un étalage de faits qui nous
éclaire sur pourquoi et comment plusieurs siècles de monarchisme
combinés à plusieurs décennies de libéralisme ont débouchés dans la
première moitié du 20e siècle sur l’émergence du national socialisme et
de ses théories raciales. La contre-Histoire de Losurdo nous démontre de
manière indiscutable que tous les ingrédients qui façonnèrent l’idéologie nazie existaient déjà bien avant la naissance d’Hitler.
Nous
constatons que le fascisme circule toujours dans le réseau de tuyauterie
du libéralisme. Cela se traduit d’abord dans les discours paradoxaux
d’un« pôle droit-de-l’hommiste mondain » qui
d’un côté fustige les revendications des moins favorisés ici en Europe,
et d’un autre camoufle ses prétentions néocoloniales et
stratégiques sous un verbiage cynique et hypocrite qu’ils appellent
“ingérence humanitaire”. Le danger se précise lorsque nous comprenons
que de l’autre bord du même camp se trouvent lesidentitaires,
dont l’archaïsme redondant est marqué par le « choc des
civilisations », un concept qui ne repose sur aucun fondement
scientifique. Cette aliénation, favorisée par des débats hypermédiatisés comme celui du voile a fini par engendrer d’autres théories paranoïaques comme le mythe du « grand remplacement« .
C’est que malgré un « relooking » quasi permanent, le libéralisme est
avant tout réactionnaire et conservateur. En conséquence cette doctrine
met tout en œuvre pour nous faire oublier l’importance de la lutte des
classes dans la construction historique. Mais laissons à Jean Jaurès le
soin de conclure : « C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race :
l’humanité ».