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mercredi 28 août 2024

À propos de Maurice Barrès et son "crime à la sûreté de l'Esprit"

 Naguère admirateurs de Maurice Barrès, André Breton, Louis Aragon, Philippe Soupault et quelques autres lui intentèrent publiquement un "procès" symbolique, longuement annoncé dans la presse, pour "attentat à la sûreté de l'esprit". Il eut lieu à la salle des sociétés savantes, le 13 mai 1921. L'acte d'accusation et les témoignages parurent dans le numéro 20 de la revue du groupe, Littérature, qu'ils occupent tout entier en août 1921.
La note figurant dans Littérature avant l'acte d'accusation de Breton rend compte de l'appareil judiciaire déployé pour cette séance dont le sérieux tranche avec les habituelles manifestations dada ; on sait maintenant avec quel soin elle fut préparée : demandes de témoignages, qui furent adressées mêmes aux personnalités les plus hostiles à Dada, fréquentation du Palais de Justice, afin de rendre plus vraisemblable et plus percutante la parodie des formes qu'on se proposait.
Les journaux ont rapporté avec plus ou moins de détails le déroulement de la séance.
Derrière le légitime écœurement d'une génération devant l'attitude de l'homme Barrès pendant la guerre, se trame l'histoire d'un mouvement fait de tensions (Soupault récuse l'idée même de jugement, Aragon voulut défendre l'accusé, etc), d'ambiguïtés et d'humour. 

 

 

Mort il y a cent ans, qui était Maurice Barrès ?

SOURCE:  https://www.philomag.com/articles/mort-il-y-cent-ans-qui-etait-maurice-barres

dulé par les écrivains de son temps, Maurice Barrès est aujourd’hui tombé dans un relatif oubli. Chantre du nationalisme français et figure de proue de l’antidreyfusisme, ses mauvais combats auront, malgré des prises de position fluctuantes, indéniablement entaché son œuvre littéraire. Qui était réellement ce sulfureux mentor des lettres françaises ?

Disparu le 4 décembre 1923, Maurice Barrès a été l’un des écrivains les plus importants et influents de son temps. François Mauriac, André Breton, Pierre Drieu La Rochelle, Louis Aragon, jusqu’à Marcel Proust ou encore André Malraux… tous reconnaissent son génie littéraire et, pour beaucoup, vantent la générosité de l’écrivain dans ses recommandations et ses appuis. On a coutume, pour le présenter, de distinguer deux, voire trois Barrès : celui de la trilogie romanesque Le Culte du moi (1888-1993) d’une part, puis du Roman de l’énergie nationale (1897-1902), d’autre part, et enfin de l’essai Les Diverses Familles spirituelles de la France (1917).

Le moi contre les barbares

La première trilogie, composée des romans Sous l’œil des barbares (1888), Un homme libre (1889) et Le Jardin de Bérénice (1891), lui assure un succès fulgurant. Elle impose comme « prince de la jeunesse » celui qui déclarait « j’écris pour les enfants et les tout jeunes gens » (Un homme libre). Dans une fibre mi-nihiliste mi-romantique, parfois assez proche de l’anarchisme individualiste développé par Max Stirner dans L’Unique et sa propriété (1844) – que l’écrivain n’a, à notre connaissance, pas lu –, Barrès fait dans ces romans de l’entité du « moi » « l’unique réalité » (Sous l’œil des barbares), dont il s’agit d’assurer les possibilités de déploiement, ce qui suppose une défense contre autrui : « les barbares ». « Chacun, hors de moi, n’est que barbare », stipule ainsi le jeune homme, qui invite dans une sorte de solipsisme littéraire à un recentrement égotique sur sa propre individualité, à une pensée solitaire faisant signe vers l’épanouissement de sa propre sensibilité. Dans le second roman, il fixe à cet effet une méthode en trois principes : « Premier principe : nous ne sommes jamais si heureux que dans l’exaltation. Deuxième principe : ce qui augmente beaucoup le plaisir de l’exaltation, c’est de l’analyser. Troisième principe : il faut sentir le plus possible en analysant le plus possible. » Cette volonté d’analyse de soi le fait remonter à son territoire, la Lorraine, ainsi qu’à son passé et à ses ancêtres : « Chaque individu possède la puissance de vibrer à tous les battements dont le cœur de ses parents fut agité au long des siècles. » Ainsi, dès la période « anar » du jeune Maurice Barrès, on voit poindre, au-delà de l’individualisme égotique, le chantre de « la terre et [d]es morts » qui s’affirmera dans Le Roman de l’énergie nationale. À cette date-là, Barrès est d’ailleurs déjà engagé en politique. Comme Paul Déroulède, le fondateur de la Ligue des patriotes, il rêve d’un pouvoir à la fois populaire et autoritaire, sans pour autant vouloir rompre avec la République. Il se tourne à cet effet vers le populisme porté par le général Georges Boulanger, en allant, rappelle l’historien Michel Winock (À l’ombre de Maurice Barrès, dir. Antoine Compagnon, Gallimard, 2023), jusqu’à s’affirmer pour sa part socialiste, et se fait élire député boulangiste de Nancy en 1889. Le même Michel Winock relève que Barrès, qui nourrit un antiparlementarisme de plus en plus grand allant de pair avec le désir d’un régime présidentialiste, notamment à partir du scandale de Panama, en 1892, commence peu à peu à emprunter à Édouard Drumont son antisémitisme à des fins d’unification des exploités, allant jusqu’à signer une brochure Contre les étrangers, en 1893, puis diriger la revue nationaliste La Cocarde de 1894 à 95.

La terre et les morts

Le nationalisme barrésien va s’affiner peu à peu, trouvant dans l’affaire Dreyfus l’une des grandes occasions de son déploiement. Dans l’ouvrage collectif dirigé par Antoine Compagnon, l’historien Grégoire Kauffmann, critiquant la thèse de l’historien Zeev Sternhell selon laquelle Barrès serait le père de tous les fascismes (Maurice Barrès et le nationalisme français, 1972) relève que le roman Les Déracinés, contrairement à ce qu’affirme Sternhell, n’a pas réellement pu être influencé par l’affaire, celle-ci ne commençant à proprement parler qu’à la fin 1897 (alors que le roman paraît en avril de cette année), lorsque la culpabilité du capitaine est contestée par les premiers dreyfusards. Il n’empêche que Barrès était déjà un antisémite zélé, lui qui, en 1986, a fait partie d’une commission chargée de départager les candidats à un concours organisé par le journal antisémite La Libre Parole, fondé par Drumont, « sur les moyens pratiques d’arriver à l’anéantissement de la puissance juive en France ».

Alors que le jeune Léon Blum, qui l’a lu et l’admire, lui rend visite lorsque l’affaire explose, en espérant le rallier au dreyfusisme, il se voit éconduit par celui qui commence à fustiger les « intellectuels », un terme qu’il popularise, dans leur défense de cet individu contre l’institution millénaire qu’est l’armée. Ce sera le prélude à la terrible sentence de celui qui s’impose comme le maître à penser de l’antidreyfusisme : « Que Dreyfus est capable de trahir, je le conclus de sa race » (Ce que j’ai vu à Rennes, 1904).

On semble bien loin du Barrès individualiste du culte du moi. Première pièce de la trilogie Le Roman de l’énergie nationale (avec L’Appel au soldat, publié en 1900, et Leurs Figures, en 1902), le roman Les Déracinés, plus grand succès de l’auteur, portait déjà les indices d’un tel glissement puisqu’il raconte la création d’un Moi-Individu qui, pour se défendre et s’affirmer contre tout ce qui n’est pas Soi, évolue vers un Moi-Nation. Le lien social devient envisagé de manière organique, à tel point que l’auteur y a cette phrase : « L’individu n’est rien, la société est tout. » Malgré tout, on n’y relève pas de culte de la force ou du chef, fondamentaux constitutifs du fascisme.

C’est une radicalisation du motif de l’individu, entendu comme le prolongement des ancêtres entrevu dans Un homme libre, qui se précise dans ces années-là. Celui-ci trouve notamment à se confirmer dans son célèbre discours du 10 mars 1899 à la Ligue de la patrie française, qu’il vient de rejoindre, intitulé La Terre et les morts, dans lequel Barrès insiste sur la nécessité de « restituer à la France une unité morale, de créer ce qui nous manque depuis la Révolution : une conscience nationale », puis dans son essai Scènes et doctrines du nationalisme (1902). Ce sont aussi des années durant lesquelles l’auteur s’oppose à la laïcité portée par la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, défendant, bien qu’il ne soit pas lui-même catholique pratiquant, la nécessité d’un retour au christianisme comme élément unificateur de la nation française. Tout l’enjeu est de redonner à la France une âme. Le nationalisme, qui passe par la décentralisation et le régionalisme, et l’amour de la patrie doivent être les principes permettant d’arrimer l’individuel, qui a toujours une histoire singulière avec son milieu d’origine, au collectif. Pour l’écrivain Emmanuel Godo, qui vient de faire paraître Maurice Barrès. Le grand inconnu 1862-1923 (Tallandier, 2023), la mort de ses parents (son père en 1898 et sa mère en 1901) expliquerait davantage cette prise de conscience nationaliste que l’affaire Dreyfus en elle-même, dans une volonté pour l’auteur de se ressaisir, comprendre d’où il vient ainsi que ce qu’il doit à ses ancêtres.

Un troisième Barrès ?

Grand écrivain de la revanche contre l’Allemagne, Barrès a publié une autre trilogie romanesque, Les Bastions de l’Est, composée d’Au service de l’Allemagne (1905), Colette Baudoche (1909, qui a connu un grand succès) et Le Génie du Rhin (1921). Durant la Première Guerre mondiale, il est ainsi un acteur majeur de la propagande de guerre, chantre du jusqu’au-boutisme, ce qui lui vaudra le sobriquet de « rossignol des carnages » par l’écrivain Romain Rolland. Il se fait le soutien journalistique des Poilus, qui lui écrivent des lettres, dans le quotidien L’Écho de Paris. Peu avant la fin de la guerre, il atténue son antisémitisme, rendant hommage au patriotisme des Juifs français dans Les Diverses familles spirituelles de la France (1917), un essai dans lequel il érige ces derniers au rang d’élément du génie national, au côté des traditionalistes, des protestants et des socialistes (il faut d’ailleurs mentionner qu’il fut le premier à se rendre au chevet de Jaurès assassiné, en 1914). De la même manière, il choquera les milieux traditionalistes et catholiques avec Un Jardin sur l’Oronte (1922), une histoire d’amour sulfureuse entre un croisé et une musulmane. Des éléments qui, sans l’absoudre de ses terribles combats, montre peut-être, comme veulent le croire plusieurs auteurs de la monographie À l’ombre de Maurice Barrès, que l’homme a su évoluer et se tenir éloigné d’une forme de fanatisme, et qu’esthète avant tout, il n’a pas eu beaucoup de convictions définitives. C’est en tout cas en partie au motif de ce caractère changeant que les dadaïstes ont organisé, en 1921, un procès fictif, présidé par André Breton, contre Maurice Barrès, accusé de « crime contre la sûreté de l’esprit », durant lequel les différentes parties, disant déplorer l’évolution de l’auteur depuis Le Culte du moi, l’ont condamné à vingt ans de travaux forcés.

Finalement, est-ce son caractère sulfureux ou au contraire son aspect indécis et changeant qui auront eu raison de sa mémoire, le faisant tomber dans l’oubli ? Pour Antoine Compagnon, qui rappelle qu’on pouvait jusqu’en 1966 facilement se procurer ses œuvres, la question est à poser en ces termes. Car des auteurs bien plus radicaux et constants dans leur abomination tels que Drieu La Rochelle ou Louis-Ferdinand Céline n’ont pour leur part pas été oubliés et ont même eu droit à une consécration par la Pléiade. Finalement, nous dit Compagnon, Barrès est à la fois jugé infréquentable et trop lisse pour pouvoir incarner la figure – paradoxalement attirante s’il en est – du « mal absolu » : « Barrès ne fut pas assez odieux, pas assez haïssable, mais trop divisé, trop compliqué, pour que nous en fassions l’incarnation du mal absolu. »

SUITE AVEC UN ARTICLE DE LA DROITE INTELLECTUELLE ESTHéTICO-BIDON, qui ne tire pas les conséquences de la "décadence" en se faisant hara-kiri (c'est du Mishima syndical!).