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jeudi 12 septembre 2024

Le récit du « jour de la Victoire » des Russes (ou l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale rarement évoquée en Occident)

 SOURCE SECONDAIRE: https://brigittebouzonnie.substack.com/p/le-recit-du-jour-de-la-victoire

Article rédigé 11 mai 2018 par Michael Jabara Carley pour le site Réseau Voltaire

Professeur d'histoire contemporaine à l'université de Montréal, Michael, Jabara Carley raconte ici le rôle de l'Union soviétique contre le nazisme. Puis il analyse la manière dont cette histoire a été volontairement déformée par les Anglo-Saxons et est malhonnêtement enseignée dans le monde occidental (l'Hégémon).

 Chaque année, le 9 mai, la Fédération de Russie commémore un événement historique majeur : le jour de la Victoire. Ce même jour de l’année 1945, le maréchal Georgy Konstantinovich Youkov, commandant du 1er front biélorusse, qui avait pris d’assaut Berlin, recevait l’acte de reddition inconditionnelle des Allemands. Au final, la Grande Guerre patriotique aura duré 1418 jours, d’un niveau inimaginable de violence, de destruction et de brutalité. De Stalingrad et du Caucase septentrional en passant par le Nord-Ouest de la périphérie de Moscou aux frontières occidentales de l’Union Soviétique, à Sébastopol au sud et jusqu’à Léningrad et la frontière finnoise au nord : le pays a été ravagé. On estime à 17 millions les pertes civiles — hommes, femmes et enfants — bien qu’il soit impossible de déterminer le chiffre exact. De nombreuses villes et villages ont été détruits ; des familles entières ont disparues sans personne pour se souvenir de leurs membres ou les regretter.



La plupart des citoyens russes ont perdu de la famille durant la guerre. Personne n’a été épargné.

Plus de dix millions de soldats russes ont péri dans les combats visant à repousser le terrible envahisseur nazi et dans l’offensive finale conduisant à l’occupation de Berlin à la fin d’avril 1945. Les soldats de l’Armée Rouge morts au combat, ont été abandonnés sans sépulture — ou dans des fosses anonymes — lors de la marche vers l’Ouest, faute de temps. La plupart des citoyens russes ont perdu de la famille durant la guerre. Personne n’a été épargné.

La Grande Guerre patriotique a débuté le 22 juin 1940 à 3h30 du matin, quand la Wehrmacht a envahi l’Union Soviétique sur le front qui s’étend de la mer Baltique à la mer Noire avec 3,2 millions de soldats, répartis en 150 divisions, accompagnés par 3 350 tanks, 7 184 pièces d’artillerie, 600 000 camions et 2 000 avions de guerre. Les armées finnoises, italiennes, roumaines, hongroises, espagnoles, et slovaques, entre autres, ont rejoint l’armée allemande. Le Haut Commandement allemand a estimé que l’opération « Barberousse » aboutirait à la capitulation de l’Union Soviétique dans un délai de 4 à 6 semaines. À l’ouest, les états majors états-uniens et britanniques validaient ces prédictions. De surcroit, quelle armée pouvait se targuer d’avoir défait la Wehrmacht ? L’Allemagne nazie était un colosse invincible. La Pologne avait été balayée en quelques jours. La tentative franco-anglaise visant à défendre la Norvège avait été un fiasco. Quand la Wehrmacht a attaqué à l’ouest, la Belgique se hâta de quitter la zone de combat. La France a rendu les armes en quelques semaines. L’armée britannique a été éconduite de Dunkerque, nue, sans armes ni véhicules. Au printemps 1941, La Yougoslavie et la Grèce ont été éliminé à moindre coût pour les Allemands.



Les pertes au sein de l’Armée Rouge ont été colossales, deux millions de soldats morts au bout de 3 mois et demi de combat.

L’armée allemande a balayé toute résistance en Europe jusqu’à ce qu’elle atteigne la frontière soviétique. L’Armée Rouge a été prise par surprise, partiellement mobilisée, car le dictateur soviétique Joseph Staline n’a pas pris au sérieux les avertissements de ses propres services de Renseignement, ou ne voulait pas provoquer l’Allemagne hitlérienne. Au final, ce fut une catastrophe. Mais contrairement à la Pologne ou à la France, l’Union Soviétique ne s’est pas rendue au bout de 4 à 6 semaines. Les pertes au sein de l’Armée Rouge ont été colossales, deux millions de soldats morts au bout de 3 mois et demi de combat. Les États baltes étaient perdus. Smolensk est tombée, puis Kiev : défaite la plus cuisante de toute la guerre. Léningrad était encerclée. Un vieil homme a demandé aux soldats « D’où vous retranchez-vous ? » Le chaos régnait partout. Mais, dans des lieux comme la forteresse de Brest-Litovsk, ainsi que dans des centaines de bois, de champs, de jonctions routières, de villes et de villages anonymes, l’Armée Rouge s’est battue jusqu’au bout. Elle a réussi à éviter l’encerclement et a pu rejoindre ses propres lignes ou bien disparaître dans les forêts ou les marais de Biélorussie et du nord de l’Ukraine, s’organisant en unités de résistance pouvant mener des raids contre l’arrière-garde allemande. À la fin de 1941, les pertes militaires soviétiques s’élevaient à 3 millions (la majorité étant des prisonniers de guerre, tués par des mains allemandes) ; 177 divisions ont été anéanties. Pourtant, L’Armée Rouge continuait de se battre, faisant même reculer les Allemands à Ielnia, au sud-est de Smolensk, à la fin du mois d’août. La Wehrmacht a pu ressentir la morsure d’une Armée Rouge ébranlée mais pas abattue. Les forces allemandes recensaient, en moyenne, dans leurs rangs, 7 000 victimes par jour : une nouveauté pour eux.



A certains endrois comme la forteresse de Litovsk, les soldats de l’Armée Rouge se sont battus jusqu’au dernier.

Sur les traces de la Wehrmacht, les escadrons de la mort SS (Einsatzgruppen) éliminaient les Juifs, les Tziganes, les communistes, les prisonniers de guerre soviétiques ou n’importe quel individu se trouvant sur leur chemin. Ils ont bénéficié de l’assistance de collaborateurs nazis, baltes et ukrainiens, pour ces crimes de masse. Les femmes et enfants soviétiques étaient dépouillés de leurs vêtements et alignés sur le peloton d’exécution. En plein hiver, les soldats allemands abattaient les villageois ou les forçaient à sortir de leur maison, tout de haillons vêtus, leur confisquant leur foyer, vêtements d’hiver et nourriture.

À l’ouest, ceux qui avaient prédit une débâcle russe, les sempiternels soviétophobes, n’eurent pas l’air malin et durent revoir leurs prévisions. L’opinion publique comprit qu’Hitler avait mis là le pied dans un bourbier ; aucune commune mesure avec la campagne de France. Bien que la résistance soviétique bénéficiait du soutien du citoyen anglais, le gouvernement britannique, lui, ne fut pratiquement d’aucune aide. Certains membres de l’exécutif étaient même réticents à considérer l’Union Soviétique comme un allié. Churchill a interdit à la BBC de diffuser le dimanche soir, l’hymne national soviétique, l’Internationale, en compagnie des autres hymnes alliées.



L’opinion publique comprit qu’Hitler avait mis là le pied dans un bourbier ; aucune commune mesure avec la campagne de France.

L’Armée Rouge tout en battant en retraite continuait désespérément de se battre. Ce n’était pas une guerre ordinaire, mais un combat d’une violence exceptionnelle contre un envahisseur cruel, pour la défense de sa maison, de sa famille, de son pays, et de sa vie elle-même. En novembre, l’Armée Rouge, largua un pamphlet au dessus des lignes allemandes citant Carl von Clausewitz, le stratège militaire prussien : « Il est impossible d’occuper la Russie ou de la conquérir ». Bien que tentative d’intimiditation, vu les circonstances ; cette assertion n’était pas moins vraie. Finalement, aux portes de Moscou, en décembre 1941, l’Armée Rouge, sous le commandement de Gueorgui Joukov repoussa une Wehrmacht épuisée, environ trois cents kilomètres plus au sud. Le mythe de l’invincibilité nazie volait en éclat. « Barberousse » était trop ambitieux, l’offensive éclair (blitzkrieg) avait échoué, et la Wehrmacht subissait son premier échec sur le plan stratégique. À Londres, Churchill accepta, à contrecœur, de laisser jouer l’hymne soviétique par la BBC.



Le mythe de l’invincibilité nazie volait en éclat.

En 1942, l’Armée Rouge continuait de subir des défaites et d’énormes pertes, dans la mesure où elle était livrée à elle-même. Cependant, en novembre de cette année, à Stalingrad, sur la Volga, l’Armée Rouge lança une contre offensive qui se conclut par une victoire historique et par la retraite de la Wehrmacht, en ce printemps 1942, à sa position d’origine ; exception faite pour le 6e corps d’armée allemande, pris au piège dans le chaudron de Stalingrad. Là, 22 divisions allemandes, parmi les meilleures, furent détruites. Stalingrad fut le Verdun de la Seconde Guerre mondiale. « Mais c’est un véritable enfer ! » ; « Non… C’est dix fois pire ! ». À la fin de la campagne hivernale de 1943, du côté de l’Axe, les pertes se démultipliaient : une centaine de divisions allemandes, italiennes, roumaines, hongroises étaient anéanties ou ravagées. Le président des États-Unis, Franklin Roosevelt, reconnut que le conflit venait de basculer : la dernière heure de la grande Allemagne avait sonné.



Des femmes au front lors de la bataille de Stalingrad.

Février 1943. Pas une seule division britannique, états-unienne ou canadienne ne se bat en Europe contre la Wehrmacht, seize mois avant le débarquement en Normandie. Les Britanniques et les États-uniens combattaient alors 2 ou 3 divisions allemandes en Afrique du Nord : un divertissement comparé au front russe. L’opinion publique occidentale savait qui portait à lui seul tout le fardeau de la guerre contre la Wehrmacht. En 1942, 80 % des divisions de l’Axe étaient engagées dans le combat contre l’Armée Rouge. Au début de 1943, il y avait 207 divisions allemandes postées sur le front est. Les Allemands jouant leur va tout, lancèrent une dernière offensive contre la « citadelle » de Koursk en juillet 1943. L’opération sera un échec. L’Armée Rouge lancera une contre offensive à travers l’Ukraine conduisant à la libération de Kiev en novembre. Plus au nord, Smolensk avait été libérée un mois auparavant.

L’état d’esprit des Soviétiques était admirable, ainsi que leur Armée Rouge. Le correspondant de guerre Vasilii Semenovich Grossman en a capturé l’essence dans son journal intime, Nuit, tempête de neige. Il écrit en 1942, « Les véhicules, l’artillerie, avancent en silence. Soudain, une voix rauque se fait entendre. "Hé, quel est le chemin pour se rendre à Berlin ?". Éclat de rire. »



L’opinion publique occidentale savait qui portait à lui seul tout le fardeau de la guerre contre la Wehrmacht.

Les soldats n’étaient pas toujours braves. Parfois, ils désertaient. « Un chef de bataillon armés de deux revolvers se mit à hurler, "Où courez-vous comme ça, sales fils de ***. En avant marche, pour la Mère patrie, pour Jésus-Christ, bande d’enc*** ! Pour Staline, merdeux !..." » Ils retournèrent à leur poste. Ces types furent chanceux ; l’officier aurait pu les abattre. Ça arrivait parfois. Un soldat s’est porté volontaire pour exécuter un déserteur. « Avez-vous ressenti de la pitié pour lui ? » demanda Grossman. « Comment peut-on parler de pitié ?! » répondit le soldat. À Stalingrad, sept Ouzbeks ont été accusés d’auto-mutilation. Ils ont tous été exécutés. Grossman lit une lettre retrouvée dans la poche d’un soldat soviétique mort. « Tu me manques beaucoup. Viens me rendre visite, s’il te plait… À l’instant où j’écris ces mots, mes larmes coulent sur le papier. Papa, s’il te plait, viens me voir... »

Les femmes ont combattu aux côtés des hommes en tant que snipers, armurières, conductrice de tanks, pilotes, infirmières, dans les mouvements de résistance. Elles ont aussi apporté de l’aide aux armées postées en Russie. « Les villages sont devenus le royaume des femmes » écrit Grossman « Elles conduisaient des tracteurs, gardaient les entrepôts, les écuries… Les femmes assumaient une énorme charge de travail. Elles prenaient toutes sortes de responsabilités, expédiaient du pain, des avions, des armes et des munitions au front. » Quand les combats ont fait rage sur la Volga, elles n’ont pas reproché à leurs hommes d’avoir céder tant de terrain. « Un regard mais pas un mot » écrit Grossman, « … pas une pointe d’amertume. » Bien que parfois, dans les villages près du front, ce soit arrivé.



La fin de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de temps.

Pendant ce temps, les alliés occidentaux attaquèrent l’Italie. Staline a longtemps exigé un second front en France, mais Churchill s’y opposa. Il voulait attaquer l’Axe en son point faible, non pas pour aider l’Armée Rouge, mais pour contrecarrer son avancée dans les Balkans. L’idée était de traverser rapidement le nord de la péninsule italienne, puis les Balkans, afin de de stopper la progression de l’Armée Rouge. Cependant, Berlin se trouvait au nord-nord est. Le plan de Churchill était un fiasco ; les Alliés occidentaux ne sont pas entrés dans Rome avant juin 1944. Il y avait approximativement 20 divisions allemandes en Italie se battant contre des forces alliées plus conséquentes. À l’est, il restait encore plus deux cents divisions de l’Axe, soit dix fois plus qu’en Italie. Le 6 juin 1944, quand l’opération Overlord débuta en Normandie, l’Armée Rouge stationna sur les frontières polonaises et roumaines. Une quinzaine de jours après le débarquement en Normandie, l’Armée Rouge lança l’opération Bagration, une offensive massive qui aboutit à une percée en plein milieu de la ligne de front allemande à l’est et à une avancée de plus de 500 kilomètres vers l’ouest, pendant que les alliés occidentaux restaient bloqués dans la péninsule du Cotentin, en Normandie. L’Armée Rouge était irrésistible. La chute de l’Allemagne nazie n’était plus qu’une question de temps. Quand le conflit prit fin en mai 1945, il s’avéra que l’Armée Rouge avait été responsable de 80 % des pertes de la Wehrmacht et plus si on considère la période qui précède le débarquement en Normandie. « Ceux qui n’ont pu vivre la rudesse de l’été 1941 » écrit Vasily Grossman, « ne pourront apprécier complétement la joie procurée par cette victoire ». Les troupes comme le peuple chantaient de nombreux hymnes pour garder le morale. Sviashchennaia voina, « sacrée guerre » était une des plus populaires. Les Russes se lèvent toujours lorsqu’ils l’entendent.

Une polémique persiste chez les historiens. Quel est le moment clé de la guerre en Europe ? Certains proposent le 22 juin 1941, le jour où la Wehrmacht a franchi la frontière soviétique. D’autres mettent le doigt sur les batailles de Moscou, Stalingrad ou Koursk. Durant la guerre, l’opinion publique occidentale semblait plus acquise à la cause de l’Armée Rouge que certains dirigeants occidentaux, comme Winston Churchill. Roosevelt, lui, qui était un dirigeant politique bien plus pragmatique, a volontiers reconnu le rôle prépondérant joué par les Soviétiques dans la guerre contre l’Allemagne nazie. L’Armée rouge, déclarait-il à un général dubitatif en 1942, a tué plus de soldats allemands et détruit plus de chars allemands que tout le reste de la coalition alliée réunie. Roosevelt savait que l’Union Soviétique était la clé de voûte de la grande coalition contre l’Allemagne nazie. J’appelle FDR (Franklin Delano Roosevelt) : le parrain de la « grande alliance ». Néanmoins, les principaux détracteurs de l’Union soviétique restaient tapis dans l’ombre attendant le bon moment pour refaire surface. Plus la victoire sur l’Allemagne nazie semblait assurée, plus les opposants à la grande alliance se faisaient entendre.

Les États-uniens peuvent être un peu « soupe au lait » lorsque l’on évoque le rôle essentiel joué par l’Armée rouge dans la destruction de la Wehrmacht. « Que faites-vous du prêt-bail ? » répondent-ils, « sans notre soutien logistique, l’Union soviétique n’aurait pas battu les Allemands. » En réalité, la plupart du matériel fourni dans le cadre du prêt-bail n’arriva en URSS qu’après Stalingrad. Les soldats de l’Armée Rouge, facétieux, aimaient appelés les boites de conserve, reçues par le biais du prêt-bail, « le deuxième front » dans la mesure où le vrai se faisait un peu tardif. En 1942, l’industrie soviétique produisait déjà bien plus d’armes que l’Allemagne nazie. Le T-34 était-il un char états-unien ou russe ? Staline a toujours su être reconnaissant envers le gouvernement US pour les Jeeps et les camions Studebaker. Ils ont accru la mobilité de l’Armée rouge. Vous avez fourni l’aluminium, aiment à répondre les Russes, nous avons fourni… le sang. Des rivières de sang...



Tout un chacun, en Europe et aux États-Unis, savaient très bien à qui attribuer le succès contre la Wehrmacht.

À peine la guerre fut-elle terminée que le Royaume-Uni et les États-Unis commencèrent à envisager une autre guerre, cette fois contre l’Union Soviétique. En mai 1945, le haut commandement britannique élabore le plan « unthinkable » (impensable), une offensive top-secrète, avec le renfort des prisonniers de guerre allemands, contre l’Armée Rouge. Les salauds ! Les ingrats ! En septembre 1945, les États-uniens envisagèrent l’utilisation de 204 bombes atomiques afin de rayer l’Union Soviétique de la carte. Le président Roosevelt venait de décéder en avril et en quelques semaines les États-uniens soviétophobes appliquaient déjà une politique diamétralement opposée. La Grande Alliance n’était qu’une trêve au milieu de la guerre Froide, qui avait pour origine la prise du pouvoir par les Bolcheviks en novembre 1917 ; cette dernière redevenait d’actualité en 1945 maintenant le conflit terminé.

À ce moment là, les gouvernements états-uniens et britanniques avaient toujours l’opinion publique contre eux. Tout un chacun, en Europe et aux États-Unis, savaient très bien à qui attribuer le succès contre la Wehrmacht. Il n’était pas possible d’adopter à nouveau, comme si de rien n’était, la stratégie éculée de la haine envers l’Union Soviétique sans faire oublier le rôle prépondérant de l’Armée Rouge dans la victoire commune contre l’Allemagne hitlérienne. Les Occidentaux ont donc ressorti le dossier sur le pacte de non-agression d’août 1939 entre Hitler et Staline en omettant volontairement de mentionner certains faits antécédents, comme l’opposition franco-anglaise à la proposition soviétique d’un traité de sécurité collective contre l’Allemagne nazie et, surtout, la trahison envers la Tchécoslovaquie, livrée aux Allemands (Accords de Munich, 1938). Comme des cambrioleurs en pleine nuit, Londres et Washington s’attribuèrent le crédit de la victoire contre l’Allemagne nazie.

Déjà en décembre 1939, les Britanniques prévoyaient de publier un livre blanc attribuant la responsabilité de l’échec des négociations (printemps-été 1939) à Moscou en vue d’une alliance entre Anglais, Français et Soviétiques. Les Français se sont opposés à ce projet car le livre blanc risquait de permettre à l’opinion publique de prendre conscience du caractère effectif de la résistance soviétique contre le nazisme, ce qui n’a pas été le cas côté anglais ou français. Ainsi, le livre blanc a terminé sur une étagère. En 1948, Le département d’État états-unien a diffusé une série de documents attribuant la responsabilité de la Seconde Guerre mondiale à Hitler et Staline. Moscou a riposté en publiant à son tour des documents mettant en évidence les liens étroits entre le monde occidental et le régime nazi. Beaucoup d’énergie fut déployée pour que l’on se souvienne de l’Union Soviétique comme signataire du pacte de non-agression et non comme le principal responsable de la destruction de la Wehrmacht.



Les Occidentaux ont ressorti le dossier sur le pacte de non-aggression d’août 1939 entre Hitler et Staline.

Qui n’a pas vu un de ces films hollywoodiens dans lesquels le débarquement en Normandie est présenté comme un tournant de la guerre ? « Que serait-il advenu si le débarquement avait échoué ? » entend-on souvent « Oh…, pas grand-chose... » est la réponse qui convient. La guerre aurait duré plus longtemps, et l’Armée Rouge, venant de l’Est, aurait planté ses étendards sur les plages de Normandie. Puis, il y a les films qui présentent la campagne de bombardement de l’Allemagne par les alliés comme le facteur décisif dans la victoire de ces derniers. Dans les films hollywoodiens sur la Seconde Guerre mondiale, l’Armée Rouge est invisible. C’est comme si les États-uniens (et les Britanniques) se couronnaient de lauriers qu’ils ne méritaient pas.

J’aime posé cette question à mes étudiants lorsque l’on aborde la Seconde Guerre mondiale : qui a entendu parler de l’opération Overlord ? Tout le monde lève le main. Puis je demande : qui a entendu parler de l’opération Bagration ? Quasiment personne ne se manifeste. Je demande, facétieux, qui a gagné la guerre contre l’Allemagne nazie et la réponse est évidemment : « les Américains ». Seuls quelques étudiants, en général ceux qui ont eu d’autres cours avec moi, répondent : l’Union Soviétique.

Difficile pour la vérité de se frayer un chemin vers la lumière dans un monde occidental où les « fakes news » (mensonges) sont la norme. L’OSCE (l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) et le Parlement européen attribuent la responsabilité de la guerre à l’Union Soviétique, sous-entendant la Russie et le président Vladimir Poutine. Hitler est quasiment omis dans ce tohu-bohu d’accusations sans fondements. Soutiennent cette version malhonnête des faits historiques : les États baltes, la Pologne et l’Ukraine, vociférant leur haine de la Russie. Les Baltes et les Ukrainiens célèbrent aujourd’hui, comme gloire nationale, les collaborateurs nazis et leurs agissements. En Pologne, la pilule est dure à avaler pour certains ; ils se souviennent trop bien des collaborateurs nazis ukrainiens qui ont assassiné des dizaines de milliers de Polonais en Volhynie. Malheureusement, de tels souvenirs n’ont pas empêché les hooligans polonais de vandaliser les monuments aux morts de l’Armée Rouge, ainsi que de profaner les cimetières de guerre soviétiques. Les nationalistes polonais ne veulent pas se souvenir de l’Armée Rouge libérant la Pologne de l’Allemagne nazie.



Les vétérans, de moins en moins nombreux chaque année, continuent de porter des uniformes qui ne leur vont plus guère ou des treillis usés, parsemés de médailles et de récompenses diverses.

En Russie, cependant, la propagande mensongère des Occidentaux n’a aucun effet. L’Union Soviétique, ainsi que la Fédération de Russie, a produit ses propres films sur la Seconde Guerre mondiale, les plus récents sur la défense de la forteresse de Brest-Litovsk et de Sébastopol, et sur la bataille de Stalingrad. Le 9 mai, chaque Russe a une pensée pour les les millions de soldats qui se sont battus et ont perdu la vie ainsi que pour les millions de civils qui ont souffert et sont morts entre les mains de l’envahisseur nazi. Les vétérans, de moins en moins nombreux chaque année, continuent de porter des uniformes qui ne leur vont plus guère ou des treillis usés, parsemés de médailles et de récompenses diverses. « Traitez-les avec tact et respect » écrit Youkov dans ses mémoires : « C’est le moins que vous puissiez faire après ce qu’ils ont fait pour vous entre 1941 et 1945. » Lorsque je les observais en ce jour de commémoration, il y a quelques années, je me demandais comment ils ont pu composer avec la menace de mort permanente, la désolation et toutes ces épreuves.



Une marche des « immortels » à Moscou.

De nos jours, chaque année en ce 9 mai, le régiment des « immortels » défile. Les Russes, aux quatre coins du pays et à l’étranger, marchent ensemble en portant des photographies grand format de membres de leur famille, hommes ou femmes, qui se sont battus pendant la guerre. « Nous ne vous oublions pas » , ils semblent dire « et ne vous oublierons jamais. »

Michael Jabara Carley

Traduction Jean-Marc Chicot      Source Strategic Culture Foundation (Russie)

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AJOUTS PERSONNELS

 

Deux jour après le lancement de l'opération Barbarossa par les nazis allemands et leurs alliés européens, le 24 juin 1941, Harry s. Truman (futur président des USA), déclarait:

"Si nous voyons l'Allemagne gagner, nous devrions aider la Russie et, si la Russie est en train de gagner, nous devrions aider l'Allemagne, pour que le plus grand nombre périsse des deux côtés."



Si l'on veut comprendre, a minima, la guerre à l'Est, voir le film d'Elem KLIMOV, Requiem pour un massacre, de 1985. L'action se déroule sur le territoire de la Biélorussie soviétique en 1943. En France, on connait le massacre d'Oradour-sur-Glane, commis par la division SS Das Reich. Elle a opéré avec d'autres en Biélorussie, où il eut 600 villages massacrés de la sorte...600 Oradour-sur-Glane.

mercredi 11 septembre 2024

Divertissement militarisé : quand les blockbusters hollywoodiens se laissent séduire par le Pentagone

 

Des experts expliquent comment 2 500 films et émissions ont été instrumentalisés pour promouvoir la guerre.

Source : Responsible Statecraft, Hekmat Aboukhater
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

« Le moyen le plus facile d’instiller de la propagande dans l’esprit de la plupart des gens est de la faire passer par le biais d’un film de divertissement, parce qu’alors ils ne se rendent pas compte qu’ils sont soumis à de la propagande », expliquait Elmer Davis, un célèbre animateur de la chaîne CBS, qui venait d’être nommé directeur de l’Office of War Information (OWI), un programme du Pentagone créé le 13 juin 1942, six mois après Pearl Harbor [Le Bureau d’information de guerre (OWI) des États-Unis est un service fédéral des États-Unis créé peu après l’entrée du pays dans la Seconde Guerre mondiale et dissous peu après. Il est chargé de la propagande américaine sur trois fronts : intérieur, extérieur, militaire, NdT].

Plus tard, en 1953, alors que la Guerre froide battait son plein, le président Dwight D. Eisenhower a commenté le partenariat naissant entre Hollywood et le Pentagone en déclarant : « La main du gouvernement doit être habilement dissimulée et […] entièrement éliminée », ajoutant que ce partenariat devait « se faire par le biais d’accords avec une multitude d’entreprises privées du domaine du divertissement, de la dramaturgie, de la musique et autres. »

Ainsi, le président qui a inventé l’expression « complexe militaro-industriel » a été en fait l’un des premiers grands promoteurs de ce que l’on appellera plus tard le complexe militaro-divertissant ou l’industrie du militainment [spectacle de loisir militaire, NdT].

Aujourd’hui, cette industrie de la militarisation à grand spectacle est florissante. De Top Gun à la franchise Marvel, en passant par des émissions comme Extreme Makeover, le Pentagone a réussi à influencer les récits de plus de 2 500 films et émissions de télévision. Personne ne le sait mieux que Roger Stahl, directeur du département d’études en communication de l’université de Géorgie et auteur de Militainment Inc. Avec Matthew Alford, conférencier à l’université de Bath et candidat du Parti des travailleurs, Tom Secker, journaliste d’investigation, et d’autres, Stahl a réalisé « Theaters of War », un documentaire concis de 87 minutes dans lequel il dissèque méthodiquement notre industrie moderne du militainment, montrant le mastodonte qu’elle est devenue.

Responsible Statecraft s’est entretenu avec Stahl, Alford et Secker sur la façon dont nos écrans de télévision sont militarisés grâce à la supervision et au contrôle des scénarios, des accords de production hollywoodiens par le secteur du complexe militaro-divertissement [C’est la coopération entre les militaires et les industries du divertissement dans leur intérêt mutuel, en particulier dans des domaines tels que le cinéma, le multimédia, la réalité virtuelle et la réalité augmentée multisensorielle, NdT].

Ventes à la casse : Journées privilèges sur petit écran

« Des images et des histoires diffusées devant les Américains vont remplacer tout autre calcul concernant les dépenses des contribuables », a déclaré Stahl lorsqu’on lui a demandé quelle était pour le contribuable américain moyen la charge occasionnée par le prêt d’un système d’armement à un studio. Il a ajouté que « la question du coût est noyée sous […] la dimension émotionnelle. Et l’industrie du divertissement est là pour entretenir cet aspect émotionnel. »

Dans son documentaire, Stahl explique que par le biais de l’OWI auquel a succédé l’Entertainment Liaison Office, le ministère de la Défense conditionne le prêt de systèmes de défense au fait d’avoir un accès complet au scénario lors d’un nouveau film. Une fois le script vérifié et renvoyé annoté, avec des modifications de scénario voire même de l’intrigue, le studio peut soit accepter les modifications dans leur intégralité, soit perdre son accès aux jouets de l’armée. Cette relation biaisée est susceptible de déboucher sur une propagande éhontée.

À la moitié de « Theaters of War », les spectateurs voient apparaître ce qui semble être un spot publicitaire incrusté dans le film. Dans « The Fate of the Furious », le huitième volet de la franchise Fast & Furious, le rappeur et acteur Ludacris lit à haute voix un semblant de publicité de 30 mots vantant les mérites du char télécommandé Ripsaw de Textron Systems. Il s’avère que le texte de Ludacris n’a pas été écrit par un scénariste, mais par l’Entertainment Liaison Office. La scène s’est transformée en une publicité impossible à zapper, fournie au spectateur par l’armée américaine.

On retrouve des images de marketing dissimulé de ce type dans des centaines de superproductions, qu’il s’agisse de la franchise Transformers – l’un des personnages, Starscream, est un avion de chasse F-22 – ou des films Marvel, qui suscitent tant d’enthousiasme. Alors même que le public est soumis à d’évidentes publicités de vente, on constate que,dans certains cas, le Pentagone fait également la promotion de produits défectueux et inutiles.

L’avion de combat F-35 de Lockheed Martin a été qualifié de « champion poids lourd des armes futuristes mal conçues », coûtant aux contribuables américains plus de 2 000 milliards de dollars. Et pourtant, le documentaire « Secret access : Superpower 2011 » de History Channel brosse un tableau bien différent. Cette mini série présente le F-35 comme la seule voie possible pour maintenir la domination américaine sur le plan militaire, et dans « Man of Steel », Superman lui-même vole aux côtés d’une flottille de F-35 lors de sa bataille contre les impitoyables Kryptoniens. Selon Stahl, tout cela a été rendu possible grâce au Bureau de liaison pour le divertissement.

Tom Secker, journaliste d’investigation qualifié de « revendicateur vétilleux » par le Pentagone en raison de son barrage incessant en matière de FOIA [Freedom Of Information Act, loi d’accès à l’information, NdT], a fait part du contrat jusque-là inédit de l’accord de coopération pour la production de « Mission Impossible 7 : Dead Reckoning. »

En plus de permettre à l’équipe de Mission Impossible de tourner sur les bases militaires américaines des Émirats arabes unis, le contrat prévoit que le ministère de la Défense prête à l’équipe de production un V-22 Osprey fabriqué par Boeing, afin qu’il soit utilisé dans au moins deux scènes au cours desquelles l’avion sera filmé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

L’Osprey, surnommé le « faiseur de veuves », est un désastre qui a un coût de 120 milliards de dollars dont le déclassement est imminent, dans la mesure où il a déjà causé la mort de 62 membres des forces armées.

Selon Stahl, ces scènes sont intentionnellement conçues pour « forger un lien émotionnel entre le spectateur et les différents systèmes d’armes ». Un lien qui pourrait atténuer les effets d’un éventuel scénario au cours duquel le spectateur se rendrait compte de l’inutilité et du coût du F-35, de l’Osprey et d’autres systèmes tels que le programme LCS. [Littoral Combat Ships, programme de frégates, NdT]. Cela permet de « banaliser ces dépenses colossales », a-t-il ajouté.

En créant de telles scènes, dit Alford, « ils [le Pentagone] sont en mesure de montrer à quel point leurs nouveaux produits sont sexy, merveilleux, efficaces et pertinents ». Le public, quant à lui, sera moins enclin à voir le côté « brouillon, déplaisant et cruel » de ce secteur.

Promouvoir, blanchir et justifier les accords

Alors que le Pentagone expliquait autrefois les objectifs déclarés de son implication dans l’industrie du divertissement par la volonté de promouvoir « l’authenticité de la restitution des opérations militaires » et maintenir un « niveau de dignité acceptable » en ce qui concerne la présentation de l’armée, cette volonté s’est modifiée en 1988. En vertu des nouveaux objectifs, le partenariat vise à promouvoir « la perception par le public des forces armées américaines et du ministère de la défense », à améliorer « les programmes de recrutement et de soutien aux forces armées », ainsi qu’à respecter et à promouvoir « la politique du gouvernement américain ».

L’une des scènes les plus troublantes de « Theaters of War » est tirée du film de 2017 « The Long Road Home ». Dans une des scènes, un colonel affirme que l’opération de Sadr City menée en 2004 pendant la guerre d’Irak, qui a entraîné la mort de 22 militaires et de 940 Irakiens, était indispensable pour délivrer deux millions d’Irakiens de l’oppression d’un dictateur et pour leur offrir un « avenir meilleur. »

Cette affirmation ne tient pas compte d’une série de mensonges – comme l’existence d’armes de destruction massive ou les liens supposés de l’Irak avec Al-Qaida – qui ont conduit les États-Unis à fouler le sol irakien, pas plus qu’elle ne se demande si les États-Unis étaient dans l’obligation de protéger les populations contre les dictateurs du monde entier.

Cette scène et d’autres du même genre ont, selon Alford, un objectif implicite : « convaincre davantage les gens que les engagements militaires sont formidables » et qu’ils fonctionnent. Qu’il s’agisse du film Argo de Ben Afleck, qui banalise le rôle de la CIA dans l’éviction du Premier ministre iranien démocratiquement élu, Mohammad Mossadegh, en 1953, de Black Hawk Down, qui jette un voile de courage sur la débâcle désastreuse en Somalie, ou de Top Gun, qui, en 1986, redore l’image de l’armée après deux décennies d’une campagne calamiteuse au Viêtnam, toutes ces campagnes discrètes de militainment ont largement porté leurs fruits.

Plus récemment, dans la deuxième saison de Jack Ryan, l’adorable Jim de The Office fait appel à la CIA pour renverser un dictateur vénézuélien disposant de l’arme nucléaire, et ce, en espérant installer un populiste libéral magnanime. La saison a été diffusée à peu près au moment où Washington paradait avec Juan Guaido, le nouveau dirigeant du Venezuela.

Combien coûte l’industrie du militainment

En posant un diagnostic global du problème, Stahl a indiqué que le problème réside dans la « perception des intérêts du peuple américain », ajoutant qu’alors qu’ils se concentrent sur les subventions publiques et les programmes sociaux, ils sont « aveugles aux coûts de notre engagement militariste dans le monde » – un coût qui a été brièvement résumé à la fin du documentaire et qui atteint 8 000 milliards de dollars rien que pour la période post 11 septembre 2001.

Avec un sixième audit raté, un budget militaire qui frôle les 1 000 milliards de dollars et un nouveau système de missiles balistiques intercontinentaux, l’influence de l’industrie militaire est indéniablement inquiétante et plus présente que jamais.

Néanmoins, Theaters of War offre une lueur d’espoir : la transparence. Stahl, Alford, Secker et d’autres intervenants dans le film préconisent que chaque film ou spectacle avec lequel le Pentagone travaille soit accompagné d’un avertissement bien visible dès le début, et non enfoui dans le générique, précisant que le ministère de la Défense, la CIA ou toute autre agence gouvernementale a été impliquée dans la production. Les spectateurs sauront alors que ce qu’ils s’apprêtent à regarder est, au moins en partie, « un concept de propagande », comme le dit Elmer Davis.

Hekmat Aboukhater est collaborateur au programme « Démocratiser la politique étrangère » au Quincy Institute. Précédemment, Hekmat a travaillé au Département de la consolidation de la paix et des affaires politiques des Nations unies.

Source : Responsible Statecraft, Hekmat Aboukhater, 04-07-2024

lundi 2 septembre 2024

Invasion USA (1952)

 Alors que les impérialistes US, la United Fruit Company et la CIA en l'occurrence, vont bientôt s'abattre sur le Guatemala et sa réforme agraire (en 1954), les spin doctors de la Guerre froide culturelle ont choisi de mettre leurs concitoyens dans un état de paranoïa permanente, voir des Rouges partout, alors que le pays est protégé par deux océans, avec des bases militaires sur toute la planète (mais c'est jamais assez pour le complexe militaro-industriel, dont Eisenhower dénonce le pouvoir à la fin de son mandat présidentiel). 



Ce genre de film ne sortait pas en France dans les années 1950 (après les USA, il sortira en GB et en RFA), on aurait cramé les salles si c'était le cas. Après en 1985, avec la version où joue Chuck Norris, ça passe: le cuir français a été attendri par les bulldozers de la propagande. Dans les années 1980, les Français croient même que les Anglo-américains sont les grands vainqueurs du nazisme, alors que dans les années 1950 ils savaient bien que l'URSS avait fourni l'effort de guerre essentiel et le nombre de morts le dit suffisamment : 27 millions de soviétiques contre 300.000 pour les étasuniens.

bande-annonce de Invasion USA, avec Chuck Norris (1985)


 

Red Nightmare Freedom and You

 


vendredi 23 août 2024

Le "changement" en sociologie: une arme culturelle pour l'hégémon

La philanthropie des fondations  Rockefeller et Ford dans les sciences sociales françaises pour "améliorer le contrôle social dans l'intérêt de tous" c'est l'Otan culturelle avant la lettre. Cette petite phrase, on la trouve dans la première des deux recensions ci-dessous de l'ouvrage de Brigitte Mazon, Aux origines de l'École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain, 1920-1960 (préface de Pierre Bourdieu, postface de Pierre Morazé; Paris: les Éditions du Cerf, 1988).

 
L'ouvrage  de Brigitte Mazon reste dans les clous et le cercueil de l'Histoire bien riveté. Carrière or not carrière, that's the question. Comme le rappelle le sociologue Jean Duvignaud dans son introduction d'Hérésie et subversion. Essais sur l'anomie (La Découverte, 1986): 
 
"Ces contraintes du métier permettent rarement de s'abandonner à la réflexion errante, de sortir de l'enclos. Si, après la dernière guerre, la sociologie s'est arrachée au silence où la confinait la spécialisation, si elle a pu enfin trouver un public, il semble qu'elle se soit enfermée dans son bunker." ("Introduction: l'écluse", p. 12)
 
 Les fondations en question ont fléché la sociologie dans son développement académique comme instrument de la guerre culturelle, pour la mainmise d'hégémon sur les cerveaux et notamment nuire au développement du marxisme: seule science interdisciplinaire capable de penser le changement dans la plupart des disciplines, dont la sociologie (les Études de genre tiennent lieu d'interdisciplinarité molle, et surtout de bouclier moral à l'industrie de la tuerie de masse).  
 
"Si nous nous y attachons d'un peu près, nous nous rendons compte que la connaissance sociologique ne possède pas les instruments qui lui permettent de comprendre et d'analyser le changement, les mutations sociales. On peut, certes, disserter sur les variations qui interviennent dans les variations de la trame de l'existence collective, en percevoir les déterminations. Ce n'est pas examiner ni analyser le changement, loin de là. Et il est important de rappeler que, si la sociologie est fille de la Révolution française et de l'immense interrogation que cette dernière a formulée concernant la réalité sociale, la plupart de réponses qui ont été apportées vont directement dans un sens opposé: Comte recherche les éléments "positifs" et permanents de la vie collective, Durkheim examine les multiples cristallisations des sociétés, Max Weber interroge les relations constantes qui s'établissent entre deux ordres d'activité contingentes. Seul Marx pose le problème du changement au centre de sa réflexion. Mais il ne nous a laissé aucun concept pour analyser la "révolution", dont il ne peut que sublimer l'apparition, n'ayant lui-même assisté qu'à des mutations avortées.
Et il faut bien constater que, dans la société industrielle moderne, le changement est devenu l'élément fondamental et essentiel de toute vie collective." ("Anomie et mutation sociale", pp. 35-36)
 
 Et v'là-t'y pas que la sociologie étatsunienne a justement une version du "changement" (qui rappelle furieusement la Pax americana d'"un ordre international fondé sur des règles" ou sinon je t'allume):
 
"Assurément, il serait injuste de dire que la sociologie n'a pas tenté de saisir et de comprendre le changement. Ce serait oublier qu'un domaine important de la recherche américaine, par exemple, et qui remonte à la publication en 1922 du livre de William F. Ogburn, Social Change, porte précisément ce nom. Mais, conformément à l'esprit général de la science américaine de cette période (mis à part C. Wright Mills), le changement est ici perçu comme une distance entre un modèle économique et social considéré comme supérieur et valable pour le genre humain tout entier et divers "retards culturels" observables. Qui ne voit que cette définition normative du changement se retourne contre le changement lui-même?". ("Anomie et...", p. 37)
 
 


 

vendredi 9 août 2024

Películas de Yuli Raizman (de las pocas disponibles)

Mashenka, 1942
Subtítulos en inglés
 
La Caída de Berlín o simplemente Berlín, 1945
Fue premiado como mejor documental en el festival de Cannes 1946. Lo pudo ver Guy Debord en Cannes, o cuando salía en sala ya con la fama hecha (en una de sus fichas lo ví, BUSCAR!). Con la Guerra Fría en 1947, ver películas soviéticas supone ir a los ciné-clubs, a circuitos minoritarios.
 
 
O Comunista, 1957 (trailer)
 
                                    ....Y volver a ver el tan breve pero inmenso Yevgeni Urbansky

jeudi 18 juillet 2024

Roberto Conesa, policia cazarrojos

FUENTE: https://www.publico.es/politica/policia-cazarrojos-infiltro-pce-aniquilarlo-franquismo.html
 
El policía 'cazarrojos' que se infiltró en el PCE para aniquilarlo durante el franquismo. Roberto Conesa captó a militantes comunistas para que delatasen a sus compañeros. El historiador Fernando Hernández relata en 'Falsos camaradas' el duro golpe que sufrió el Partido en 1947.

"La mejor astilla es de la misma madera". Roberto Conesa, policía de la Brigada Político Social y enemigo número uno del PCE, tenía claro que para desarticular las organizaciones de izquierda durante el franquismo no bastaba con infiltrarse en ellas, sino que también era necesario captar a sus militantes. Sus confesiones a la revista Cambio 16 en 1977 revelan el modus operandi de un agente que estudió a conciencia la psicología de los insurrectos y que se empapó de la terminología revolucionaria para pasar por uno de ellos.

También desplegaba sus técnicas en los interrogatorios de los detenidos en la temida Dirección General de Seguridad, en la Puerta del Sol, donde podía pegarle un puñetazo a una mujer y luego pedirle perdón, decirle que la quería porque era una "desgraciada" e insistirle en que su pareja la engañaba, caso de Eva Forest, quien tras el chantaje emocional sentía la gelidez del cañón de una pistola en la sien. El marido, la esposa, los hijos… Roberto Conesa carecía de escrúpulos y aludía a los más seres más queridos de los arrestados para que cantasen.

"Vas en busca de otras piezas. Vas a bajar la pieza como el buen cazador. Luego, que la coma otro. Vas siguiendo el rastro para que el detenido sirva de cimbel", declaraba a Cambio 16 en referencia al método que empleaba para que unos militantes delatasen a otros, aun a riesgo de que muriesen durante las torturas, "por su culpa, por sus propios hechos", algo que, hipócritamente, decía lamentar en la entrevista. ​​"Como hay cazadores que ven la pieza bonita y después de haberla matado dicen: qué pena, qué pena no haberla podido coger viva para presentar este ejemplar, ¿comprende?".

Mitin en el Monumental Cinema, donde el PCE fundaría el Frente Popular.
Mitin en el Monumental Cinema, donde el PCE fundaría el Frente Popular. BNE

Roberto Conesa Escudero (Madrid, 1917-1994) era menudo, "madrileño por los cuatro costados", padecía acidez de estómago y fue descrito por el diario católico Ya como "un ejemplo de dedicación y vocación", sin hijos, porque "todo su amor está depositado en la Policía". Un "enamorado" de su profesión, su "medio de vida", en las propias palabras de un agente que trabajaba "con entusiasmo y con fe", hacedor de delaciones y confesiones a cualquier precio. "Un remedo de Eliot Ness del barrio de la Arganzuela", escribe el historiador Fernando Hernández Sánchez en el libro Falsos camaradas (Crítica).

Su carrera fue meteórica. En 1939 entró como agregado de la Brigada Político Social y, dos años después, participó como infiltrado en la reconstrucción del Socorro Rojo, a cargo de militantes de las Juventudes Socialistas Unificadas, que llevó a la detención y al fusilamiento de decenas de jóvenes, incluidas las Trece Rosas. También intervino en el arresto de comités y militantes del PSOE, la UGT, la CNT y otras organizaciones clandestinas como el PCE, con operaciones en Madrid, Zaragoza, Lleida y quizás en Barcelona, donde cayeron ochenta militantes, un duro revés para el PSUC.

Así, el Partido Comunista lo llegó a considerar "su más implacable enemigo, como lo prueba el odio que se manifiesta hacia su persona en toda cuanta propaganda edita, principalmente en su órgano de difusión Mundo Obrero, en el que raramente se le deja de amenazar", según una memoria de la Jefatura Superior de Policía. Paradójicamente, Roberto Conesa también se infiltró en el órgano oficial de comunicación del PCE y llegó a imprimir ejemplares falsos en una rotativa clandestina requisada por la Policía. A veces, cometía errores deliberadamente con la intención de reunir a los cuadros para que lo instruyesen y, de paso, darles caza.

La penetración en el PCE provocó la caída, entre octubre de 1946 y enero de 1947, de numerosos militantes: más de 2.000 detenidos, penas de 1.744 años de cárcel y 46 condenados a muerte. Además de ser felicitado públicamente, llegó a recibir 2.500 pesetas por una operación, el 56% de su salario anual, a las que habría que sumar el dinero que podría haber sustraído durante los registros. "Las recompensas, las mordidas y otros ingresos al margen de la nómina eran lo que permitían que el pobre Conesa viviera por entonces en un ático de la calle Narváez, en pleno barrio de Salamanca", escribe Fernando Hernández Sánchez, quien señala que esas prebendas alentaban el "celo represivo" de unos agentes "mal pagados".

Imprenta clandestina usada por el Partido Comunista.
Imprenta clandestina usada por el Partido Comunista. Archivo Histórico del PCE

"Roberto Conesa fue el enemigo número uno del PCE porque se infiltró varias veces en él y logró deshacerlo otras tantas. Después de que la Policía liberase en 1977 a Antonio María de Oriol y Emilio Villescusa, secuestrados por los GRAPO, él presumía de haber logrado algo más que infiltrarse: captar el espíritu de la organización, su lenguaje y su personalidad no solo para hacerse pasar por uno de ellos, sino también para captar a militantes desde dentro y persuadirlos para que se pusiesen a su servicio", explica a Público el autor de Falsos camaradas: Un episodio de la guerra antipartisana en España, 1947.

Tendría que pasar una década para que se reactivase el Partido Comunista, con la llegada de nuevos cuadros desconocidos para las autoridades franquistas, caso de Jorge Semprún, quien en Autobiografía de Federico Sánchez escribe que la Policía que encarnaba Conesa era "capaz únicamente de trabajar a base de confidentes y de palizas". En 1956 comienza, explica Fernando Hernández Sánchez, la protesta universitaria y resurge el movimiento obrero en Asturias, Euskadi, Madrid y Barcelona. "Entonces, personajes como él pierden valor añadido, aunque seguirán cobrando del fondo de reptiles".

En 1975 es designado comisario principal y en 1977, comisario general de la Brigada Central de Información, heredera de la Brigada Político Social. "Su progresión fue esmaltada por los éxitos contra su presa favorita, los comunistas organizados en el PCE o en las Comisiones Obreras, pero también contra las escisiones prochinas y los grupos armados del tardofranquismo", escribe el historiador, quien señala que tenía varios informantes a su cargo, a los que llamaba "mis niños", como el Rubio, el Peque o el Chato, ​​"continuador de una saga de soplones que compartieron su apodo, como si el alias imprimiese carácter", relata en el libro.

"Eran sus criaturas porque las había captado y adiestrado", apunta Hernández Sánchez, quien traza un perfil de los falsos camaradas, incluidos los que se habían pasado al lado oscuro antes de entrar clandestinamente en España. "Alguno podía ser quintacolumnista durante la guerra civil, porque es increíble que un republicano español exiliado en Francia fuese detenido por la Gestapo dos veces en quince días y no le pasase nada. Luego, había de todo, desde comunistas sinceros en sus orígenes, pero jóvenes, inexpertos, con flancos débiles o con familia, hasta veteranos que se desmoralizan", asegura el historiador.

Fernando Hernández, autor del libro 'Falsos camaradas', sobre los infiltrados y traidores del PCE.
Fernando Hernández, autor del libro 'Falsos camaradas', sobre los infiltrados y traidores del PCE. Crítica

La vieja dirección en el interior, fogueada y con experiencia sobre el terreno, ha sido purgada, añade el autor del libro. "Entonces, es sustituida por chavales menos curtidos y con escasa trayectoria que, tras ser presionados por la Policía, cometen traición. Aunque hay que resaltar que otros persisten en su actitud y lo van a pagar muy caro". El contexto tampoco era favorable, pues la invasión del Valle de Arán fracasa y se pierde la esperanza de que las potencias aliadas derroquen a Franco tras el pacto entre Londres y Moscú, el acercamiento del régimen a Washington y el comienzo de la Guerra Fría.

"A partir de entonces, solo queda una resistencia interior de lucha armada que se comienza a ensimismar, sin posibilidad de llevar a cabo una acción que ponga en jaque al franquismo. Subsisten núcleos de resistencia aislados, en zonas rurales y sin ninguna incidencia en el mundo urbano. Una estrategia que costó cambiar y que durante esos años acarreó muchas pérdidas y escasos logros", lamenta Fernando Hernández Sánchez, quien señala la "responsabilidad in vigilando" de Santiago Carrillo, pues era "el encargado del aparato de la organización y de pasos, es decir, el responsable en última instancia de la gente que se enviaba a España".

Él pensaba, apunta el historiador, que podían cumplir ese papel, pues se trataba de "jóvenes aparentemente disciplinados y estalinizados". Sin embargo, algunos eran unos traidores con quienes "llegó a mantener una correspondencia fluida durante meses, donde los felicita por los supuestos logros conseguidos". Con la caída de 1947, los presos de la cárcel de Burgos se constituyen como la dirección del Partido en el interior. "Es la dramática metáfora final", concluye Fernando Hernández. "El PCE, que nunca quiso ser un partido en el exilio, mandaba delegaciones a España, pero iban cayendo una tras otra. Por eso, dirigir una organización desde una prisión fue la expresión de la máxima impotencia".

Pedro Urraca, policia cazarrojos


 Sinopsis

El retrato de un personaje siniestro y ambicioso, capaz de efectuar el peor trabajo sucio al servicio de las dictaduras más execrables del Siglo XX. También es la crónica de una herencia maldita a través de la mirada crítica de su nieta, Loreto Urraca, que con dignidad y humildad repudia.

mercredi 17 juillet 2024

Comment les États-Unis mènent la bataille culturelle pour gagner les cœurs et les esprits (Gabriel Rockhill)

 Source: https://investigaction.net/comment-les-etats-unis-menent-la-bataille-culturelle-pour-gagner-les-coeurs-et-les-esprits/

Zhao Dingqi : Pendant la Guerre froide, comment la Central Intelligence Agency (CIA) a-t-elle mené la « guerre froide culturelle » ? Quelles activités le Congrès pour la liberté culturelle de la CIA a-t-il menées ? Quel en a été l’impact ?

Gabriel Rockhill : La CIA a entrepris, avec d’autres agences d’État et des fondations sponsorisées par les grandes entreprises capitalistes, une guerre froide culturelle aux multiples facettes visant à contenir le communisme – et finalement à le faire reculer et à le détruire. Cette guerre de propagande avait une portée internationale et incluait de nombreux et différents aspects. Je n’en aborderai que quelques-uns ici. D’emblée, il est important de noter, cependant, que malgré sa portée étendue et les ressources considérables qui lui étaient consacrées, de nombreuses batailles ont été perdues tout au long de cette guerre. Pour ne prendre qu’un exemple récent qui montre comment ce conflit se poursuit encore aujourd’hui, Raúl Antonio Capote a révélé dans son livre de 2015 qu’il a travaillé pendant des années pour la CIA dans ses campagnes de déstabilisation à Cuba ciblant les intellectuels, les écrivains, les artistes et les étudiants. L’agence gouvernementale bien connue sous le nom de « the Company » avait sournoisement recruté le professeur cubain en lui promettant de sales tours. Mais Capote s’en prenait à des maitres-espions sûrs d’eux : c’était un agent double qui travaillait sous couverture pour le renseignement cubain1.Ce n’est qu’un signe parmi tant d’autres que la CIA, malgré ses diverses victoires, mène finalement une guerre difficile à gagner : elle tente d’imposer un ordre mondial hostile à l’écrasante majorité de la population globale.

Une des pièces maitresses de la guerre froide culturelle a été le CCF (Congress for Cultural Freedom – Congrès pour la liberté culturelle), qui s’est révélé en 1966 comme étant une façade de la CIA2. Hugh Wilford a effectué des recherches approfondies sur le sujet, il a décrit le CCF comme l’un des plus grands mécènes de l’art et de la culture de l’histoire du monde3. Créé en 1950, le CCF a promu sur la scène internationale les travaux d’universitaires collaborationnistes tels que Raymond Aron et Hannah Arendt, contre ceux de leurs rivaux marxistes, notamment Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Le CCF possède des bureaux dans trente-cinq pays, mobilise une armée d’environ 280 salariés, publie ou soutient une cinquantaine de revues prestigieuses à travers le monde et organise de nombreuses expositions artistiques et culturelles, ainsi que des concerts et festivals internationaux. Au cours de son existence, il a également organisé ou parrainé quelque 135 conférences et séminaires internationaux, en collaboration avec un minimum de 38 institutions, et publié au moins 170 livres. Son service de presse « Forum Service »  a diffusé gratuitement et dans le monde entier les reportages de ses intellectuels vénaux en douze langues, touchant six cents journaux et quelque cinq millions de lecteurs. Ce vaste réseau mondial était ce que son directeur Michael Josselson appelait – dans une expression qui rappelle la mafia – « notre grande famille ». Depuis son siège parisien, le CCF disposait d’une chambre d’écho internationale pour amplifier la voix des intellectuels, artistes et écrivains anticommunistes. En 1966, son budget était de 2.070.500 dollars, ce qui correspond à 19,5 millions de dollars en 2023.

Cependant, la « grande famille » de Josselson n’était qu’une petite partie de ce que Frank Wisner de la CIA appelait son « puissant Wurlitzer » (une marque de pianos électriques et de juke-boxes très à la mode à une certaine époque) : ce juke-box international générait des programmes médiatiques et culturels contrôlés par la Compagnie. Quelques exemples du cadre gargantuesque de cette guerre psychologique : Carl Bernstein a rassemblé de nombreuses preuves pour démontrer qu’au moins une centaine de journalistes américains ont travaillé clandestinement pour la CIA entre 1952 et 19774. À la suite de ces révélations, le New York Times a entrepris une enquête pendant trois mois et a conclu que la CIA « a intégré plus de 800 personnes et organisations du monde de l’information5» Ces deux reportages ont été publiés dans les cercles de l’establishment des journalistes qui opéraient dans les mêmes réseaux qu’ils analysaient, et il est donc probable que ces estimations soient faibles.

Arthur Hays Sulzberger, directeur du New York Times de 1935 à 1961, a travaillé si étroitement avec l’Agence qu’il a signé un accord de confidentialité (le plus haut niveau de collaboration). La Columbia Broadcasting Company (CBS) de William S. Paley était sans aucun doute le plus grand atout de la CIA dans le domaine de la diffusion audiovisuelle. L’agence de renseignement a travaillé en si étroite collaboration avec cette chaîne qu’elle a installé une ligne téléphonique directe vers le siège de la CIA sans passer par son standard central. Time Inc. de Henry Luce était son collaborateur le plus puissant dans la presse hebdomadaire et mensuelle (cela inclut le Time – où Bernstein travailla plus tard – Life, Fortune, et Sports Illustrated). Luce a accepté d’embaucher des agents et des journalistes de la CIA, une couverture devenue très courante. Comme nous le savons grâce au « Groupe de travail pour une plus grande ouverture de la CIA » mis sur pied par le directeur de la CIA Robert Gates en 1991, ce genre de pratiques s’est poursuivi sans relâche après les révélations mentionnées ci-dessus : « Le bureau des affaires publiques du PAO [Public Affairs Office – de la CIA] entretient désormais des relations avec des journalistes de tous les pays, principaux services de presse, journaux, hebdomadaires d’information et réseaux de télévision du pays. Dans de nombreux cas, nous avons persuadé les journalistes de retarder, de modifier, de retenir  ou même d’abandonner leurs reportages 6. »

La CIA a également pris le contrôle de l’American Newspaper Guild et est devenue propriétaire de services de presse qu’elle utilisait comme couverture pour ses agents7. Elle a placé des fonctionnaires dans d’autres services de presse, comme LATIN, Reuters, Associated Press et United Press International. William Schaap, un expert en désinformation gouvernementale, a déclaré que la CIA « possédait ou contrôlait quelque 2.500 entités médiatiques partout dans le monde ». En outre, ses collaborateurs, qui allaient des simples pigistes aux journalistes et rédacteurs en chef les plus en vue, étaient présents dans pratiquement toutes les grandes organisations.8 « Nous avions à tout moment au moins un journal dans chaque capitale étrangère », a déclaré  un agent de la CIA au journaliste John Crewson. Par ailleurs, la même source a relaté : « Les organes que l’agence ne possédait pas ou ne subventionnait pas directement étaient infiltrés par des agents rémunérés ou des officiers de carrière qui pouvaient faire imprimer des articles utiles à l’agence et ne pas imprimer ceux qu’elle jugeait nuisibles9». À l’ère du numérique, ce processus s’est poursuivi, bien entendu. Yasha Levine, Alan MacLeod et d’autres universitaires et journalistes ont détaillé l’implication considérable de l’agence US en charge de la sécurité nationale dans les domaines de la grande technologie et des réseaux sociaux. Ils ont démontré, parmi d’autres choses, que des opérateurs majeurs du renseignement occupent des postes clés chez Facebook, X (Twitter), Tik Tok, Reddit, et Google 10.

Par ailleurs, la CIA a profondément infiltré le renseignement professionnel. Lorsque le « Comité Church » a publié son rapport de 1975 sur la communauté du renseignement américain, l’Agence a admis qu’elle était en contact avec « plusieurs milliers » d’ académiciens dans « des centaines d’institutions universitaires » – et aucune réforme depuis ne l’a empêchée de poursuivre ou d’étendre cette pratique, comme le confirme le mémorandum Gates de 1991 mentionné plus haut11.  Les Instituts de la Russie de Harvard et de Columbia, comme le Hoover Institute de Stanford et le « Center for International Studies  – Centre d’Etudes Internationales » du MIT (Massachussetts Institute of Technology) ont été développés avec le soutien et la supervision directs de la CIA12. Un chercheur de la «  New School of Social Research – Nouvelle École de Recherche sociale » a récemment attiré mon attention sur une série de documents confirmant que l’odieux projet MKULTRA de la CIA menait des recherches dans quarante-quatre collèges et universités (au moins), et nous savons qu’au moins quatorze universités ont participé à la tristement célèbre «Operation Paperclip – Opération Agrafe», qui a fait venir quelque 1600 scientifiques, ingénieurs et techniciens nazis aux États-Unis 13. MKULTRA, pour ceux qui ne le connaissent pas, était l’un des programmes de l’Agence qui s’engageait dans des expériences sadiques de lavage de cerveau et de torture au cours desquelles les sujets ont reçu – sans leur consentement – de fortes doses de drogues psychoactives et d’autres produits chimiques en combinaison avec des électrochocs, de l’hypnose, des privations sensorielles, des abus verbaux et sexuels ainsi que d’autres formes de torture.

La CIA est également profondément impliquée dans le monde de l’art. Par exemple, elle promouvait l’art américain, en particulier l’Expressionnisme abstrait et la scène artistique new-yorkaise, contre le Réalisme socialiste14. Elle a financé des expositions d’art, des représentations musicales et théâtrales, des festivals d’art internationaux et bien plus encore, dans le but de diffuser ce qui était présenté comme l’art libre de l’Occident. L’Agence a travaillé en étroite collaboration avec de grandes institutions artistiques dans ce but. Pour ne prendre qu’un seul exemple révélateur, l’un des principaux officiers de la CIA impliqués dans la guerre froide culturelle, Thomas W. Braden, était le secrétaire exécutif du MoMA (Museum of Modern Arts – Musée d’Art Moderne) avant qu’il rejoigne l’Agence. Nelson Rockfeller a également été président du MoMA. Mais il a aussi été le principal coordinateur des opérations clandestines de renseignement et a permis que le Fonds Rockfeller soit utilisé comme un canal financier par la CIA. Parmi les directeurs du MoMA, on retrouve également René d’Harnoncourt, qui avait travaillé sous les ordres de Nelson Rockefeller dans le bureau d’Amérique latine de l’agence de renseignement. John Hay Whitney du musée éponyme et Julius Fleischmann siégeaient également au conseil d’administration du MoMA. Le premier avait travaillé pour l’organisation qui a précédé la CIA, l’Office of Strategic Services (OSS). Et il avait permis que son organisme de bienfaisance soit utilisé comme canal financier de la CIA. Quant à Fleischmann, il a été président de la Fondation Farfield de la CIA. Notons aussi William S. Paley. Président de CBS, il était l’un des principaux concepteurs des programmes US de guerre psychologique, y compris ceux de la CIA. Paley faisait partie du conseil d’administration du programme international du MoMA. Comme le montre ce réseau de relations, la classe dirigeante capitaliste travaille en étroite collaboration avec la sécurité nationale de l’État américain afin de contrôler étroitement l’appareil culturel.

De nombreux livres ont été écrits sur l’implication de l’État américain dans l’industrie du divertissement. Mathew Alford et Tom Secker ont documenté que le ministère de la Défense y a participé – avec des droits de censure complets et absolus – pour 814 films au minimum. La CIA s’y est investie dans 37 et le FBI dans 22 au moins.15 Pour ce qui concerne les émissions de télévision, dont certaines sont diffusées depuis longtemps, le ministère de la Défense en totalise 1.133, la CIA 22, et le FBI 10. Au-delà de ces cas quantifiables, il y a bien sûr le rapport qualitatif entre la sécurité nationale et Tinseltown (nom informel pour désigner Hollywood). John Rizzo l’expliquait en 2014 : « La CIA entretient depuis longtemps un rapport privilégié avec l’industrie du divertissement, consacrant une attention élevée à l’établissement de relations avec les membres hollywoodiens – les dirigeants des studios, les producteurs, les réalisateurs et les acteurs de renom.16» Rizzo a été avocat adjoint et avocat général par intérim de la CIA pendant les neuf premières années de la guerre contre le terrorisme, période pendant laquelle il a été étroitement impliqué dans la supervision des programmes mondiaux des suspects terroristes interrogés secrètement, de torture et d’assassinats par drones ; il était bien placé pour comprendre comment l’industrie culturelle pourrait fournir une couverture à la boucherie impériale.

Ces activités et bien d’autres révèlent l’une des principales caractéristiques de l’empire américain : c’est un véritable empire du spectacle. L’un de ses principaux points de focalisation a été la guerre pour les cœurs et les esprits. À cette fin, il a mis en place une vaste infrastructure mondiale afin de s’engager dans une guerre psychologique internationale. Le contrôle quasi absolu qu’il exerce sur les grands médias a été clairement visible dans la récente campagne visant à obtenir un soutien à la guerre par procuration des États-Unis contre la Russie en Ukraine. Il en va de même pour sa virulente propagande contre la Chine 24h/24 et 7/7. Néanmoins, grâce au travail de nombreux militants courageux et au fait qu’il oeuvre contre la réalité elle-même, l’empire du spectacle est incapable de contrôler totalement le récit17 .

Z D : Vous mentionnez dans un de vos articles que les agents de la CIA étaient friands des théories critiques en français de Michel Foucault, Jacques Lacan, Pierre Bourdieu et d’autres. Quelle est la raison de ce phénomène ? Comment évalueriez-vous la Théorie Critique Française ?

G R : Une ligne de combat importante dans la guerre culturelle contre le communisme a été la guerre intellectuelle mondiale, qui est le sujet d’un livre que je termine actuellement pour « Monthly Review Press ». La CIA a joué un rôle très important, tout comme d’autres agences gouvernementales et les fondations de la classe dirigeante capitaliste. L’objectif global a été de discréditer le marxisme et de saper le soutien aux luttes anti-impérialistes, ainsi qu’au socialisme existant réellement.

L’Europe occidentale a toujours été un champ de bataille particulièrement important. Les États-Unis sont sortis de la Seconde Guerre mondiale comme une puissance impériale dominante. Afin d’essayer d’exercer une hégémonie mondiale, ils avaient l’intention d’engager les anciennes grandes puissances impérialistes d’Europe occidentale comme partenaires soumis (ainsi que le Japon à l’Est). Toutefois, cela s’est avéré particulièrement difficile dans des pays comme la France et l’Italie qui disposaient de partis communistes solides et dynamiques. La sécurité nationale des États-Unis a de ce fait lancé une attaque sur plusieurs fronts pour infiltrer les partis politiques, les syndicats, les organisations de la société civile et les principaux médias d’information18.Elle a même mis en place des armées secrètes de soutien à qui elle a fourni des éléments fascistes et avec lesquelles elle a élaboré des plans pour des coups d’État militaires si jamais les communistes parvenaient au pouvoir par les urnes. Ces armées ont ensuite été activées pendant la stratégie de tension d’après 1968: elles ont commis des attaques terroristes contre la population civile pour les imputer aux communistes.19

Sur le plan intellectuel plus explicitement, l’élite américaine aux commandes a soutenu la création de nouveaux établissements d’enseignement et de réseaux internationaux de production de connaissances résolument anticommunistes dans l’espoir de discréditer le marxisme. Elle a apporté un soutien – c’est-à-dire une promotion et une visibilité – à des intellectuels ouvertement hostiles au matérialisme historique et dialectique, tout en menant simultanément d’odieuses campagnes de calomnie contre des personnalités comme Sartre et Beauvoir.20

C’est dans ce contexte précis que cette théorie française doit être comprise, au moins partiellement, comme un produit de l’impérialisme culturel américain. Les penseurs affiliés à cette étiquette – Foucault, Lacan, Gilles Deleuze, Jacques Derrida et bien d’autres – ont été associés de diverses manières au mouvement structuraliste qui se définissait largement par opposition au philosophe le plus éminent de la génération précédente : Sartre21.L’orientation marxiste de ce dernier à partir du milieu des années 1940 fut généralement rejetée, et l’anti-hégélianisme – un mot d’ordre pour l’antimarxisme – devint à l’ordre du jour. Foucault, pour ne prendre qu’un exemple parlant, a condamné Sartre comme « le dernier marxiste » et a attesté qu’il était un homme du XIXe siècle en décalage avec l’époque (anti-marxiste), cette nouvelle époque étant représentée par Foucault et d’autres théoriciens contemporains du même acabit.22

Si certains de ces penseurs ont acquis une notoriété significative en France, c’est leur promotion aux États-Unis qui les a propulsés sur le devant de la scène internationale et en a fait des lectures incontournables pour l’intelligentsia mondiale. Dans un article récent du Monthly Review, j’ai détaillé certaines des forces politiques et économiques à l’œuvre derrière l’événement largement reconnu comme ayant inauguré l’ère de la Théorie française : la conférence de 1966 à l’Université Johns Hopkins de Baltimore, qui a réuni nombre de ces penseurs pour la premièrefois.23 La fondation Ford, qui avait cofondé le CCF et la CIA et entretenait de nombreux liens étroits avec les efforts de propagande l’Agence, a financé la conférence et d’autres activités ultérieures à hauteur de 36.000 dollars américains (339.000 aujourd’hui). Il s’agit d’une somme d’argent vraiment extraordinaire pour une conférence universitaire, sans parler du fait que la couverture médiatique de l’événement a été assurée par le Time et le Newsweek, ce qui était pratiquement jamais vu pour un événement universitaire comme celui-ci.24

Les fondations capitalistes, la CIA et d’autres agences gouvernementales étaient intéressées à promouvoir un travail radicalement chic qui pourrait servir de succédané au marxisme. Puisqu’ils ne pouvaient pas simplement détruire ce dernier, ils ont cherché à favoriser de nouvelles formes de théorie qui pouvaient être commercialisées comme avant-gardistes et critiques – bien que dénuées de toute substance révolutionnaire – afin d’enterrer le marxisme soi-disant dépassé. Comme nous le savons désormais grâce à un document de recherche de la CIA de 1985 sur le sujet, la CIA était ravie des contributions du structuralisme français, ainsi que de l’école des Annales et du groupe connu sous le nom de Nouveaux Philosophes. Citant en particulier le structuralisme affilié à Foucault et Claude Lévi-Strauss, ainsi que la méthodologie de l’école des Annales, le rapport tire la conclusion suivante : « Nous pensons que leur démolition critique (parlant de Foucault et Claude Lévi-Strauss) de l’influence marxiste dans les sciences sociales est susceptible de perdurer aussi profondément que possible « en tant que contribution à l’érudition moderne.25 »

Concernant ma propre évaluation de la Théorie Française, je dirais qu’il est important de la reconnaître pour ce qu’elle est : un produit – au moins en partie – de l’impérialisme culturel américain, qui cherche à remplacer le marxisme par une pratique théorique anticommuniste livrée à des idées culturelles bourgeoises d’éclectisme ; elle mobilise la pyrotechnie discursive,  pour créer des révolutions imaginaires dans le discours, mais qui ne changent rien à la réalité. La Théorie Française réhabilite et promeut, en outre, les travaux d’anticommunistes comme Friedrich Nietzsche et Martin Heidegger, tentant ainsi discrètement de redéfinir le radical comme radicalement réactionnaire. Lorsque les théoriciens français s’engagent dans le marxisme, ils le transforment en un discours parmi d’autres, qui peut – et même doit – être mêlé à des discours non marxistes et antidialectiques, comme la généalogie nietzschéenne, la « Destruktion » heideggerienne, la psychanalyse freudienne, etc. C’est pour cette raison que nombre de ces penseurs ont revendiqué « leur propre Marx ou marxisme ». Cependant, la tendance dominante est d’extraire arbitrairement de l’œuvre de Marx des éléments très spécifiques qui, selon eux, résonnent avec leur propre empreinte philosophique. C’est le cas, par exemple, du Marx littéraire fictif de l’indécidabilité de Derrida, du Marx nomade et déterritorialisé de Deleuze, du Marx antidialectique, du différend de Jean-François Lyotard, et d’autres exemples similaires. Pour eux, le discours de Marx fonctionne ainsi comme une nourriture au sein du canon bourgeois sur lequel on peut s’appuyer de manière éclectique pour développer sa propre marque et lui donner une aura de capacité et de radicalité. Walter Rodney a résumé la véritable nature de cette pratique théorique lorsqu’il a expliqué qu’« avec la pensée bourgeoise, en raison de sa nature fantaisiste et de la manière dont elle suscite les excentriques, vous pouvez prendre n’importe quelle voie. Parce qu’après tout, quand on ne va nulle part, on peut choisir n’importe quelleroute!26 »

Z D : L’École de Francfort a également une grande influence dans la Chine contemporaine. Comment évaluez-vous les théories de l’École de Francfort ? Quel genre de lien entretient-elle avec la CIA ?

G R : L’Institut de la Recherche sociale, familièrement connu sous le nom d’« École de Francfort », a émergé à l’origine d’un centre de recherche marxiste au sein de l’Université de Francfort, financé par un riche capitaliste. Lorsque Max Horkheimer prend la direction de l’Institut en 1930, il supervise un virage décisif vers des préoccupations spéculatives et culturelles de plus en plus éloignées du matérialisme historique et de la lutte des classes.

À cet égard, l’École de Francfort dirigée par Horkheimer a joué un rôle fondateur dans l’établissement de ce que l’on appelle le marxisme occidental, et plus particulièrement le marxisme culturel. Les personnalités comme Horkheimer et son collaborateur de toujours Theodor Adorno ont non seulement rejeté le socialisme réellement existant, mais ils l’ont directement identifié au fascisme en s’appuyant obscurément – tout comme la théorie française – sur la catégorie idéologique du totalitarisme.   Enadoptant une version hautement intellectualisée et mélodramatique de ce qui deviendra plus tard connu sous le nom de TINA («There Is No Alternative –  Il n’y a pas d’alternative »), ils se sont concentrés sur le domaine de l’art et de la culture bourgeois comme peut-être le seul lieu potentiel de salut. En effet, des penseurs comme Adorno et Horkheimer, à quelques exceptions près, étaient largement idéalistes dans leur pratique théorique : si un changement social significatif était exclu dans le monde pratique, la délivrance devait être recherchée dans le domaine geistig – c’est-à-dire l’ intellectuel et le spirituel – domaine d’une pensée nouvelle – une forme et une culture bourgeoises et innovantes.

Ces grands prêtres du marxisme occidental ont non seulement adopté le mantra idéologique capitaliste selon lequel «le fascisme et le communisme sont identiques», mais ils ont également publiquement soutenu l’impérialisme. Par exemple, Horkheimer a soutenu la guerre américaine contre le Vietnam, proclamant en mai 1967: «En Amérique, lorsqu’il est nécessaire de mener une guerre… il ne s’agit pas tant de la défense de la patrie, mais essentiellement d’une question de la défense de la Constitution, de la défense des droits de l’homme.28»Bien qu’Adorno ait souvent préféré une politique professionnelle de complicité discrète à de telles déclarations belliqueuses, il s’est aligné sur Horkheimer en soutenant l’invasion impériale de l’Égypte par Israël, la Grande-Bretagne et la France en 1956, qui cherchait à renverser Gamal Abdel Nasser et à s’emparer du canal deSuez.29 Qualifiant Nasser de «chef fasciste… qui conspire avec Moscou», ils ont ouvertement condamné les pays frontaliers d’Israël comme des « États voleursarabes.30»

Les dirigeants de l’École de Francfort ont largement bénéficié du soutien de la classe dirigeante capitaliste américaine et de sa sécurité nationale. Horkheimer a participé à au moins une des principales conférences du CCF et Adorno a publié des articles dans des revues soutenues par la CIA. Adorno a également correspondu et collaboré avec la figure de proue du « Kulturkampf » anticommuniste allemand, Melvin Lasky de la CIA. Et il a été inclus dans les plans d’expansion du CCF même après qu’il ait été révélé qu’il s’agissait d’une organisation de façade. Les hommes à la tête de l’École de Francfort ont également reçu un financement important de la Fondation Rockefeller et du gouvernement américain, notamment pour soutenir le retour de l’Institut en Allemagne de l’Ouest après la guerre (Rockefeller a contribué à la hauteur de 103.695 livres anglaises en 1950, l’équivalent de 1,3 million de livres en 2023). Ils effectuaient, comme les théoriciens français, le type de travail intellectuel que les dirigeants de l’empire américain voulaient soutenir – et ont effectivement soutenu.

Il convient également de noter au passage que cinq des huit membres du cercle restreint de Horkheimer à l’école de Francfort travaillaient comme analystes et propagandistes pour le gouvernement américain et la sécurité nationale US. Herbert Marcuse, Franz Neumann et Otto Kircheimer ont tous été employés par l’Office of War Information [OWI] – Le bureau d’information de la Guerre – avant de rejoindre la branche de recherche et d’analyse de l’OSS.

Leo Löwenthal a également travaillé pour l’OWI et Friderich Pollok a été embauché par la division antitrust du ministère de la Justice. Il s’agissait d’une situation assez complexe du fait que certains secteurs de l’État américain souhaitaient engager des analystes marxistes dans la lutte contre le fascisme et le communisme. Simultanément, certains d’entre eux ont adopté des positions politiques compatibles avec les intérêts impériaux américains. Ce chapitre de l’histoire de l’École de Francfort mérite donc un examen bien plus approfondi.31

Enfin, l’évolution de l’École de Francfort vers sa deuxième (Jürgen Habermas) et sa troisième génération (Alex Honneth, Nancy Fraser, Seyla Benhabib, etc.) n’a en rien modifié son orientation anticommuniste. Au contraire, Habermas affirmait explicitement que le socialisme d’État était en faillite et plaidait en faveur de la création d’un espace au sein du système capitaliste et de ses institutions prétendument démocratiques vers l’idéal d’une « procédure inclusive de formation et d’une opiniâtreté discursive.32» Les néo-Habermasiens de la troisième génération ont poursuivi cette orientation. Honneth – comme je l’ai démontré dans un article détaillé qui engage également les autres penseurs au sujet de cette discussion – a érigé l’idéologie bourgeoise elle-même vers un cadre très normatif pour la théorie critique.33 Fraser se présente infatigablement comme la plus à gauche des théoriciens critiques en se positionnant comme une sociale-démocrate. Mais elle reste souvent assez vague lorsqu’il s’agit de préciser ce que cela signifie concrètement, admettant ouvertement qu’elle a «du mal à définir un programme positif 34». Le programme négatif est cependant clair : «Nous savons que cela [le socialisme démocratique] n’a rien à voir avec l’économie dirigée autoritaire, le modèle à parti unique du communisme35 ».

Z D : Comment comprenez-vous le rôle et la fonction des politiques identitaires et du multiculturalisme qui prédominent actuellement dans la gauche occidentale ?

G R : La politique identitaire, tout comme le multiculturalisme qui lui est associé, est une manifestation contemporaine du culturalisme et de l’essentialisme qui ont longtemps caractérisé l’idéologie bourgeoise. Cette dernière cherche à conserver les relations sociales et économiques qui sont la conséquence de l’histoire matérielle du capitalisme. Plutôt que de reconnaître, par exemple, que les formes d’identité raciale, nationale, ethnique, de genre, sexuelle et autres sont des constructions historiques qui ont varié au fil du temps et résultent de forces matérielles spécifiques, celles-ci sont assimilées et traitées comme un fondement incontestable des circonscriptions politiques.  Un tel essentialisme sert à obscurcir les forces matérielles à l’œuvre derrière ces identités, ainsi que les luttes de classes qui ont été menées autour d’elles. Cela a été particulièrement utile à la classe dirigeante et à ses dirigeants, contraints de réagir aux exigences de la décolonisation et des luttes matérialistes antiracistes et anti-patriarcales. Quelle meilleure réponse qu’une politique identitaire qui essentialise et propose de fausses solutions à des problèmes bien réels parce qu’elle ne s’attaque jamais aux bases matérielles de la colonisation, du racisme et de l’oppression de genre ?

Les versions anti-essentialistes autoproclamées de la politique identitaire qui sont à l’œuvre dans les travaux de théoriciens comme Judith Butler ne rompent pas fondamentalement avec cette idéologie.36 En prétendant déconstruire certaines de ces catégories, en les révélant comme des constructions discursives que des individus ou des groupes d’individus peuvent questionner, manipuler et réinterpréter, les théoriciens travaillant dans le cadre des paramètres idéalistes de la déconstruction et ne proposent jamais une analyse matérialiste et dialectique de l’histoire des relations sociales du système capitaliste, qui sont des lieux majeurs de lutte collective des classes. Ils ne s’engagent pas non plus dans l’histoire profonde de la lutte collective du socialisme réellement existant pour transformer ces relations. Au lieu de cela, ils ont tendance à s’appuyer sur la déconstruction et une version pratiquement historicisée de la généalogie foucaldienne pour réfléchir au genre et aux relations sexuelles de manière cartésienne. Ce faisant, ils s’orientent au mieux vers un pluralisme libéral dans lequel la lutte des classes est remplacée par la défense des groupes d’intérêt.

En revanche, la tradition marxiste – comme Domenico Losurdo l’a démontré dans son ouvrage magistral «Class Struggle – Lutte des Classes» – est une histoire profonde et riche de compréhensions de la lutte des classes au pluriel. Cela signifie que la tradition marxiste inclut des batailles sur les relations entre les genres, les nations, les races et les classes économiques (et, pourrions-nous ajouter, les sexualités). Depuis que ces catégories ont pris des formes hiérarchiques très spécifiques sous le capitalisme, les meilleurs éléments de l’héritage marxiste ont cherché à la fois à comprendre leur origine historique et à les transformer radicalement. Cela se voit dans la lutte de longue date contre l’esclavage domestique imposé aux femmes, ainsi que dans la lutte pour vaincre la subordination impérialiste des nations et de leurs peuples radicalisés. Cette histoire s’est bien sûr déroulée par à-coups, et il reste encore beaucoup de travail à faire, en partie parce que certaines tendances du marxisme – comme celle de la Deuxième Internationale – ont été entachées par des éléments de l’idéologie bourgeoise. Néanmoins, comme l’ont démontré des chercheurs comme Losurdo et d’autres avec une érudition remarquable, les communistes ont été à l’avant-garde de ces luttes de classes pour vaincre la domination patriarcale : les relations sociales capitalistes.

La politique identitaire, telle qu’elle se développe dans les principaux pays impérialistes et en particulier aux États-Unis, a cherché à enterrer cette histoire pour se présenter comme une forme de conscience radicalement nouvelle. Comme si les communistes n’avaient même pas pensé à la question des femmes ou à la question nationale/raciale. Les théoriciens de la politique identitaire ont donc tendance à affirmer de manière arrogante et aveuglée qu’ils sont les premiers à aborder ces questions, surmontant ainsi le déterminisme économique imaginé par les marxistes soi-disant réductionnistes et vulgaires.37De plus, au lieu de reconnaître ces questions comme des lieux de lutte de classes, ils ont tendance à utiliser la politique identitaire comme un moyen de s’opposer à la politique de classe. S’ils font un quelconque geste pour intégrer la classe dans leur analyse, ils la réduisent généralement à une question d’identité personnelle plutôt qu’à une relation de propriété structurelle. Les solutions qu’ils proposent ont donc tendance à être des épiphénomènes, c’est-à-dire qu’elles se concentrent sur des questions de représentation et de symbolisme plutôt que, par exemple, sur le dépassement des relations de travail liées à l’esclavage domestique et à la surexploitation radicalisée par une transformation socialiste de l’ordre socio-économique. Ils sont donc incapables de conduire à un changement significatif et durable, car ils ne s’attaquent pas à la racine du problème. Comme Adolph Reed Jr. l’a souvent soutenu avec son esprit mordant, les identitaires sont parfaitement heureux de maintenir les relations de classe existantes – y compris les relations impérialistes entre les nations, ajouterais-je – à condition qu’il y ait le ratio requis de représentation des groupes opprimés au sein de la classe dirigeante et la couche professionnelle des gestionnaires.

En plus de contribuer à déplacer la politique et l’analyse de classe au sein de la gauche occidentale, la politique identitaire a largement contribué à diviser la gauche elle-même en débats cloisonnés autour de questions identitaires spécifiques. Au lieu d’une unité de classe contre un ennemi commun, elle divise – et conquiert – les travailleurs et les opprimés en les encourageant à s’identifier avant tout en tant que membres de genres, de sexualités, de races, de nations, d’ethnies, de groupes religieux spécifiques, etc.  C’est la politique d’une bourgeoisie visant à diviser les peuples travailleurs et opprimés du monde afin de les gouverner plus facilement. Il n’est donc pas surprenant que ce soit la politique qui gouverne la couche professionnelle des cadres au sein du noyau impérial. Elle domine ses institutions et ses médias, et constitue l’un des principaux mécanismes d’avancement de carrière au sein de ce que Reed appelle avec perspicacité « l’industrie de la diversité ». Elle encourage toutes les personnes impliquées à s’identifier à leur groupe spécifique et à faire valoir leurs propres intérêts individuels en se faisant passer pour son représentant privilégié. Notons par ailleurs que le « wokisme » a aussi pour effet de pousser certains dans les bras de la droite. Si la culture politique dominante encourage une mentalité de clan combinée à un individualisme compétitif, il n’est pas surprenant alors que les blancs et les hommes ont également une réponse partielle à leur perception de privation de droits par l’industrie de la diversité – mis en avant dans leurs programmes singuliers en tant que « victimes » du système.  Identifier la politique sans analyse de classe se prête donc tout à fait aux permutations de droite, voire fascistes.

Enfin, je m’en voudrais de ne pas mentionner que la politique identitaire, qui trouve ses racines idéologiques récentes dans la Nouvelle Gauche et le chauvinisme social que V. I. Lénine avait diagnostiqué plus tôt dans la gauche européenne, est l’un des principaux outils idéologiques de l’impérialisme. La stratégie « diviser pour régner » a été utilisée pour diviser les pays ciblés en favorisant les conflits religieux, éthiques, nationaux, raciaux ou de genre. 38

La politique identitaire a également servi de justification directe à l’intervention et à l’ingérence impérialistes, ainsi qu’aux campagnes de déstabilisation, comme avec les prétendues causes de la libération des femmes en Afghanistan, le soutien aux rappeurs noirs «discriminés» à Cuba, en soutenant les candidats autochtones soi-disant «éco socialistes» en Amérique latine, en «protégeant» les minorités ethniques en Chine, ou d’autres bonnes actions en faveur des identités opprimées. Ici, nous pouvons clairement voir le complet décalage entre la politique purement symbolique de l’identité et la réalité matérielle des luttes de classes dans la mesure où la première peut – et fournit effectivement – une mince couverture à l’impérialisme. À ce niveau également, la politique identitaire est en fin de compte une politique de classe : une politique de la classe dirigeante impérialiste.

Z D : Slavoj Žižek est un érudit qui a exercé une grande influence dans les cercles universitaires de gauche actuels. Bien sûr, il est à l’origine de nombreuses controverses. Pourquoi le considérez-vous comme un «bouffon capitaliste ? 39»

G R : Žižek est un produit de l’industrie de la théorie impériale. Comme Michael Parenti l’a souligné, la réalité est radicale, ce qui signifie que les travailleurs du monde capitaliste sont confrontés à des luttes matérielles très réelles pour l’emploi, le logement, les soins de santé, l’éducation, un environnement durable, etc. Tout cela tend à radicaliser les gens, et beaucoup se tournent vers le marxisme parce qu’il explique réellement le monde dans lequel ils vivent, les luttes auxquelles ils sont confrontés, et qu’il propose des solutions claires et réalisables. C’est pour cette raison que l’appareil culturel capitaliste doit faire face à un intérêt très réel pour le marxisme de la part des masses travailleuses et opprimées. L’une des tactiques qu’il a développées, en particulier pour les publics cibles des jeunes et des membres de la classe professionnelle des cadres, consiste à promouvoir une version hautement commercialisée du marxisme qui en pervertit la substance fondamentale. Il tente ainsi de transformer le marxisme en une marque à la mode pouvant être vendue comme n’importe quelle autre marchandise, plutôt qu’un cadre théorique et pratique collectif pour l’émancipation d’une société marchande.

Žižek est parfait pour ce projet à bien des égards. Il s’agit d’un informateur autochtone anticommuniste qui a grandi en République Socialiste Fédérale de Yougoslavie (RSFY). Il affirme régulièrement que son expérience subjective d’intellectuel petit-bourgeois ayant cherché à progresser dans sa carrière en Occident lui donne en quelque sorte un droit spécial de témoigner de la véritable nature du socialisme. Ces narratifs personnels concernant son expérience en RSFY remplacent ainsi l’analyse objective. Sans surprise, pour un opportuniste en quête de gloire et de profit, Žižek a considéré son pays socialiste comme inférieur aux pays capitalistes occidentaux qui lui ont fourni un élan si important qu’il est désormais reconnu comme l’un des meilleurs penseurs mondiaux par le magazine «Foreign Policy» (un organe de propagande du Département d’État américain).

Žižek se vante ouvertement du rôle qu’il a personnellement joué dans le démantèlement du socialisme en RSFY. Il était le principal chroniqueur politique d’une importante publication dissidente, Mladina, que le Parti communiste yougoslave accusait d’être soutenue par la CIA. Il a également cofondé le Parti libéral-démocrate et s’est présenté comme candidat à la présidentielle dans la première république séparatiste de Slovénie, promettant qu’il « aiderait de manière substantielle à la décomposition de l’appareil idéologique socialiste réel de l’État [sic] 40». Bien qu’il ait perdu de peu, il a ouvertement soutenu l’État slovène et son parti au pouvoir après la restauration du capitalisme, et donc tout au long du processus brutal de thérapie de choc capitaliste qui a conduit à une baisse catastrophique du niveau de vie de la majorité de la population, sauf pour lui (rires) ! Le parti pro-privatisation qu’il a cofondé était également clairement orienté vers l’intégration dans le camp impérialiste, puisqu’il était le principal défenseur de l’adhésion à l’Union européenne et à l’OTAN.

Je considère ce libéral d’Europe de l’Est comme le bouffon du capitalisme parce qu’il ridiculise le marxisme. Et c’est précisément la raison pour laquelle il a été si largement promu par les forces dominantes de la société capitaliste. Plutôt qu’une science collective de l’émancipation ancrée dans de réelles luttes matérielles, le marxisme tel qu’il l’entend est avant tout un discours provocateur de chicane intellectuelle qui se résume à des postures politiques petites-bourgeoises d’enfant terrible opportuniste. Ses comédies et ses personnifications d’anti-communiste ravissent la bourgeoisie et saisissent l’insuffisante capacité d’attention des personnes sans instruction. Il est comme un bouffon – doué pour faire rire les gens, ce qui se traduit facilement par des «likes» et des succès à l’ère numérique. Il est également particulièrement doué pour vendre les produits d’Hollywood et de l’appareil culturel bourgeois en général. Le «Roi du Capital» adore visiblement ce filou, qui s’est rempli les poches au passage. Comme tout bon bouffon, il connaît les limites du décorum courtois et les respecte en fin de compte en dénigrant le socialisme existant, en promouvant l’accommodement capitaliste et souvent même en soutenant directement l’impérialisme. S’il est effectivement «l’intellectuel le plus dangereux du monde», comme le décrit parfois la presse bourgeoise, c’est en réalité parce qu’il met en danger le projet marxiste de lutte contre l’impérialisme et de construction d’un monde socialiste.

Confirmant le rapport bien établi entre l’élévation objective et la dérive subjective vers la droite, Žižek est sans doute devenu de plus en plus réactionnaire dans son soutien anticommuniste à l’impérialisme. Considérez son jugement péremptoire concernant les efforts actuels pour contester le néocolonialisme en Afrique : «Il est clair que les soulèvements anticoloniaux en Afrique centrale sont encore pires que le néocolonialisme français». 41 Dans une autre intervention publique récente, il a fourni une illustration remarquablement claire du type de révolution qu’il soutient. Discutant sur les révoltes de l’été 2023 en France à la suite de l’assassinat de Nahel Merzouk par la police, il s’est appuyé sur l’ importante idée marxiste – comme il le fait souvent pour tout ce qu’il prétend être cohérent – selon laquelle le soulèvement échouera s’il n’y a pas de stratégie d’organisation qui puisse les amener à la victoire. Il a ensuite donné un exemple de révolution réussie : «Les protestations et soulèvements publics peuvent jouer un rôle positif s’ils sont soutenus par une vision émancipatrice, comme le soulèvement de Maidan en Ukraine en 2013-2014.42». Comme cela a été largement documenté, le soulèvement de Maidan était un coup d’État fasciste fomenté et soutenu par la sécurité nationale américaine.43 Cela signifie qu’il considère un coup d’État fasciste soutenu par l’impérialisme, que Samir Amin a qualifié de «putsch euro/nazi», comme un exemple «positif» d’une « vision émancipatrice qui a conduit à une révolution réussie ».44 Cette position, ainsi que son soutien indéfectible à la guerre par procuration entre les États-Unis et l’OTAN en Ukraine, clarifie ce que signifie être « l’intellectuel le plus dangereux du monde. » : il est un philo-fasciste déguisé en communiste.

Z D : Les États-Unis ont longtemps été considérés par l’Occident comme un modèle de démocratie libérale. Mais vous pensez que l’Amérique n’a jamais été une démocratie.45 Pouvez-vous expliquer votre point de vue ?

G R : Pour parler objectivement, les États-Unis n’ont jamais été une démocratie. Elle a été fondée en tant que république et les soi-disant pères fondateurs étaient ouvertement hostiles à la démocratie. Cela ressort clairement des «Federalist Papers – Documents Fédéralistes», des notes prises lors de la Convention constitutionnelle de 1787 à Philadelphie et des documents fondateurs des États-Unis, ainsi que de la pratique matérielle de gouvernance qui a été initialement établie dans cette colonie de peuplement. Comme chacun le sait, la population indigène des États-Unis, qualifiée de «sauvages indiens impitoyables» dans la Déclaration d’indépendance, n’a pas reçu de pouvoir démocratique dans la république fraîchement créée, pas plus que les esclaves africains ou les femmes.46 Il en va de même pour la moyenne des travailleurs blancs. Comme l’ont documenté en détail des érudits comme Terry Bouton: «La plupart des hommes communs de race blanche … ne pensaient pas que la Révolution [soi-disant américaine] se couronnerait avec des gouvernements qui faisaient de leurs idéaux et de leurs intérêts leur objectif principal. Au contraire, ils étaient convaincus que l’élite révolutionnaire avait refait le gouvernement pour son propre bénéfice et pour saper l’indépendance des gens ordinaires47». Après tout, la Convention constitutionnelle n’a pas établi d’élections populaires directes pour le président, la Cour suprême ou les sénateurs. La seule exception était la Chambre des représentants. Cependant, les qualifications étaient fixées par les parlements de chaque État qui exigeaient presque toujours un contrôle régulier comme base du droit de vote. Il n’est donc pas surprenant que les critiques progressistes de l’époque l’aient souligné. Patrick Henry a déclaré catégoriquement à propos des États-Unis : «Ce n’est pas une démocratie.48» George Mason a décrit la nouvelle constitution comme  la tentative la plus audacieuse dont le monde n’ait jamais été témoin pour établir une aristocratie despotique parmi les hommes libres. 49»

Bien que le terme république soit largement utilisé pour décrire les États-Unis à l’époque, cela a commencé à changer à la fin des années 1820, lorsque Andrew Jackson – également connu sous le nom de «tueur d’Indiens» pour sa politique génocidaire – a mené une campagne présidentielle populiste. Il s’est présenté comme un démocrate, dans le sens d’un Américain moyen qui mettrait fin au règne des seigneurs du Massachusetts et de Virginie. Bien qu’aucun changement structurel n’ait été apporté au mode de gouvernance, des hommes politiques comme Jackson et d’autres membres de l’élite ont commencé à utiliser le terme démocratie pour décrire la république, insinuant ainsi qu’elle servait les intérêts du peuple50. Bien entendu, cette tradition s’est poursuivie: la démocratie est un euphémisme pour désigner le régime bourgeois oligarchique.

Dans le même temps, il y a eu deux siècles et demi de lutte des classes aux États-Unis, et les forces démocratiques ont souvent obtenu des concessions très importantes de la part de la classe dirigeante. Le domaine des élections populaires a été élargi pour inclure les sénateurs et le président, même si le collège électoral n’a pas encore été aboli et que les juges de la Cour suprême sont toujours nommés à vie. Le droit de vote a été étendu aux femmes, aux Afro-Américains et aux Amérindiens. Il s’agit là d’acquis majeurs qui devraient, bien sûr, être défendus, élargis et rendus plus substantiels par de profondes réformes démocratiques de l’ensemble du processus électoral. Cependant, aussi importantes que soient ces avancées démocratiques, elles n’ont pas modifié le système global de domination ploutocratique.

Dans une étude très importante basée sur une analyse statistique à plusieurs variables, Martin Gilens et Benjamin I. Page ont démontré que «les élites économiques et les groupes organisés représentant les intérêts des entreprises ont un impact substantiel et indépendant sur la politique du gouvernement américain, tandis que les citoyens moyens et les groupes d’intérêt de masse ont peu ou aucune influence indépendante ».51 Cette forme de gouvernement ploutocratique n’est pas seulement opérationnelle au niveau national, bien sûr, mais aussi au niveau international. Les États-Unis ont tenté d’imposer leur forme antidémocratique de règles commerciales partout où ils le pouvaient. Entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 2014, selon les recherches approfondies de William Blum, elle s’est efforcée de renverser plus de cinquante gouvernements étrangers, dont la majorité avait été démocratiquement élue.52Les États-Unis sont un empire ploutocratique, et non une démocratie au sens significatif ou substantiel du terme.

Je reconnais bien sûr que des expressions telles que démocratie bourgeoise, démocratie formelle et démocratie libérale sont souvent utilisées, pour diverses raisons, pour indexer cette forme de ploutocratie. Il est également vrai, et il convient de le souligner, que l’existence de certains droits démocratiques formels sous un régime ploutocratique constitue une victoire majeure pour les travailleurs, dont l’importance ne doit en aucun cas être minimisée. Ce dont nous avons finalement besoin, c’est d’une évaluation dialectique qui tienne compte de la complexité des modes de gouvernance qui incluent, aux États-Unis, le contrôle oligarchique de l’État et des droits importants acquis grâce à la lutte des classes.

Z D : Comment évaluez-vous le plaidoyer pour la  «liberté d’expression» de la bourgeoisie ? La «liberté d’expression» existe-t-elle réellement dans le monde bourgeois d’aujourd’hui ?

G R : L’idéologie bourgeoise cherche à isoler la question de la liberté d’expression de celle du pouvoir et de la propriété, la transformant ainsi en un principe abstrait régissant les actions d’individus isolés. Une telle approche tente d’exclure toute analyse matérialiste des moyens de communication et de la question primordiale de savoir qui les possède et les contrôle. Cette idéologie déplace ainsi tout le champ d’analyse de la totalité sociale, vers la relation abstraite entre des principes théoriques et les actes isolés de parole individuelle.

L’un des avantages de cette approche est qu’une personne peut se voir accorder le droit abstrait à la liberté d’expression précisément parce qu’elle est dépourvue du pouvoir d’être entendu. C’est la condition de la plupart des gens vivant dans le monde capitaliste. En principe, ils peuvent exprimer leurs opinions individuelles comme ils le souhaitent. Cependant, en réalité, ces opinions perdront largement leur pertinence si elles ne correspondent pas aux points de vue que les propriétaires des moyens de communication souhaitent diffuser. Ils n’auront tout simplement pas de tribune. Puisque la classe dirigeante a un pouvoir si impressionnant sur les moyens de communication qu’elle a convaincu de nombreuses personnes que la censure n’existe pas, ces opinions peuvent même être ouvertement réprimées ou interdites de manière cachée sans que le grand public s’en aperçoive.

Si des points de vue extérieurs au courant dominant capitaliste parviennent à gagner un large public et commencent à construire un véritable pouvoir, alors nous saurons de quoi la classe propriétaire et l’État bourgeois sont capables de faire. Ils ont une longue histoire d’effacement de toute infrastructure soutenant la libre circulation des idées. On pourrait citer comme exemples : la «Loi sur les étrangers (Alien Act) etla Loi sur la liberté d’expression (Sedition Act), les Palmer Raids qui étaient une série de raids visant à capturer et arrêter des socialistes présumés, en particulier des anarchistes et des communistes, et à les expulser des États-Unis ; le Smith Act interdisant toute tentative de préconiser, encourager, conseiller ou enseigner la destruction violente du gouvernement américain ; le McCarran Act exigeant que les associations considérées communistes s’enregistrent auprès du gouvernement et soumettent des informations sur leurs membres, leurs finances et leurs activités ; l’ère McCarthy ou la nouvelle guerre froide, une pratique politique consistant à publier des accusations de déloyauté ou de subversion sans tenir suffisamment compte des preuves, et l’utilisation de méthodes d’enquête et d’accusation considérées comme injustes, afin de réprimer l’opposition.

Depuis le début de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, le monde a reçu une leçon bien objective du contrôle quasi total de la bourgeoisie sur les moyens de communication aux États-Unis. En plus de la censure étendue sur YouTube et les réseaux sociaux, en particulier pour Russia Today et Sputnik, tous les principaux médias ont marché au même rythme que leur propagande anti-russe et anti-chinoise, ainsi que le soutien inconditionnel à la guerre par procuration du mandataire américain. Même si, plus récemment, certains conservateurs en sont venus à y voir une opportunité de se présenter d’une manière ou d’une autre comme anti-guerre. Le droit à la liberté d’expression défendu par la bourgeoisie équivaut à la liberté de la classe dirigeante de posséder les moyens de communication afin qu’elle puisse décider librement quelles opinions méritent d’être amplifiées et largement diffusées, et lesquelles peuvent être marginalisées ou passées sous silence.

Z D : Vous avez mentionné dans l’un de vos articles que «les modes de gouvernance fascistes constituent une partie très réelle et présente du soi-disant ordre mondial libéral.53»Pourquoi pensez-vous cela ?

G R : Dans mes recherches pour un livre provisoirement intitulé Fascism and the Socialist Solution – Fascisme et la Solution Socialiste, j’ai développé un cadre explicatif qui remet en question le paradigme dominant «un État, un gouvernement». Selon l’idée reçue, chaque État – s’il n’est pas en guerre civile ouverte – n’a qu’un seul mode de gouvernance à un moment donné. Le problème de ce modèle non dialectique est facilement visible dans les démocraties bourgeoises dites libérales de l’Occident, comme les États-Unis.

Comme je l’ai documenté dans un article sur le sujet, le gouvernement américain a réhabilité des dizaines de milliers de nazis et de fascistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale 54. Beaucoup ont pu entrer en toute sécurité aux États-Unis grâce à des opérations comme «Paperclip – Agrafe» et ont été intégrés dans les établissements scientifiques, le renseignement et l’armée (y compris l’OTAN et la NASA). Beaucoup d’autres ont été incorporés dans des armées furtives à travers l’Europe, ainsi que dans les réseaux de renseignement européens et même dans le gouvernement (comme lemaréchal Badoglio en Italie 55). D’autres encore ont été acheminés via des «cordes de sauvetage» vers l’Amérique latine ou ailleurs dans le monde. Pour ce qui concerne les fascistes japonais, ils ont été largement remis au pouvoir grâce à la CIA. Ils ont repris le Parti Libéral et en ont fait un club de droite pour les anciens dirigeants du Japon impérial. Ce réseau mondial d’anticommunistes chevronnés soutenu par l’empire américain a participé à des guerres sales, des coups d’État, des opérations de déstabilisation, des sabotages et des campagnes de terreur. S’il est vrai que le fascisme a été vaincu pendant la Seconde Guerre mondiale, principalement grâce au sacrifice monumental de quelque vingt-sept millions de Soviétiques et de vingt millions de Chinois, il n’est pas du tout vrai qu’il a été éliminé, y compris au sein des soi-disant démocraties libérales.

On pourrait être tenté de dire, comme le prétendent parfois les experts progressistes-libéraux, que les États-Unis déploient des formes fascistes de gouvernance à l’étranger, mais maintiennent une démocratie sur le front intérieur. Cependant, ce n’est pas tout à fait vrai. L’analyse historico-matérialiste, comme je l’ai soutenu dans certains de mes travaux, doit toujours prendre en compte trois dimensions heuristiquement distinctes: l’histoire, la géographie et la stratification sociale. À cet égard, il est important d’examiner l’ensemble de la population, et pas seulement ceux qui occupent la même section de classe que les experts libéraux. Prenons en considération par exemple les populations autochtones. Soumis à une politique génocidaire d’élimination puis séquestrés dans des réserves contrôlées et supervisées par l’État américain, beaucoup d’entre eux – en particulier les plus pauvres – sont toujours la cible de la terreur policière raciste et se battent pour leurs droits humains et démocratiques fondamentaux56.Il en va de même pour des groupes de la population afro-américaine pauvre et ouvrière, ainsi que pour les immigrés. C’est ainsi que nous devons comprendre la critique acerbe de George Jackson à l’égard des États-Unis qu’il qualifie de «Quatrième Reich 57». Certaines parties de la population, à savoir les pauvres mis de côté par le racisme, et ceux de la classe ouvrière qui luttent pour leur survie, sont souvent gouvernées principalement par la répression étatique et pro-étatique, et non par un système de droits et de représentation démocratiques. Pourquoi alors supposer qu’ils vivent dans une démocratie? En outre, n’oublions pas que les nazis eux-mêmes voyaient dans les États-Unis la forme la plus avancée de politique d’apartheid racial et qu’ils l’utilisaient explicitement comme modèle.58

Le paradigme des modes multiples de gouvernance est dialectique dans la mesure où il est attentif aux dynamiques de classe à l’œuvre au sein de la société capitaliste et au fait que les différentes composantes de la population ne sont pas gouvernées de la même manière. Les membres de la classe professionnelle des cadres aux États-Unis, par exemple, jouissent effectivement de certains droits démocratiques au sens formel, et ils peuvent être invoqués avec succès dans diverses formes de lutte de classe légale. Ceux qui sont sous la botte du capitalisme en tant que population surexploitée sont souvent gouvernés d’une manière très différente, surtout s’ils commencent à s’organiser pour se débarrasser de la botte sur leur cou, comme ce fut le cas avec le Dragon (surnom donné à Jackson). Ils sont soumis à la terreur et à la violence policières. Et leurs soi-disant droits sont souvent entravés sans discernement, comme les vingt-neuf Black Panthers et les soixante-neuf militants amérindiens tués par le FBI et la police entre 1968 et 1976 (selon les calculs de Ward Churchill). Des théoriciens comme Jackson, qui a passé sa vie d’adulte en prison puis a été tué dans des circonstances suspectes, n’ont rencontré aucune difficulté à qualifier cela de fascisme.

Pour comprendre comment la gouvernance sous le capitalisme fonctionne réellement, il est important d’adopter une approche dialectique fine et attentive à ses différents styles de fonctionnement. La démocratie dite libérale fonctionne comme le bon flic du capitalisme, promettant droits et représentation aux sujets dociles. Elle est amplement déployée pour gouverner les couches des classes moyennes et supérieures, ainsi que ceux qui y aspirent. Le méchant flic du fascisme se déchaîne sur les segments pauvres, racialisés et mécontents de la population, autant aux États-Unis même qu’à l’étranger. Évidemment, il est préférable d’être gouverné par le bon flic. Et la défense ainsi que l’expansion de formes de démocratie, même limitées, sont des objectifs tactiques valables, surtout si on les compare à l’horreur d’une complète prise de contrôle fasciste de l’appareil d’État. Cependant, il est stratégiquement important de reconnaître que – justement dans le cas d’un interrogatoire policier – le bon flic et le méchant flic travaillent ensemble pour le même État et avec un objectif identique: maintenir, voire intensifier, les relations sociales capitalistes en utilisant la carotte de la démocratie bourgeoise ou le bâton du fascisme.

ZD : Beaucoup de personnes pensent que l’émergence du « phénomène Trump » signifie que le danger du fascisme est en augmentation. Que pensez-vous de ce point de vue ? Quelle est votre analyse de la prise d’assaut du Capitole par les partisans de Donald Trump le 6 janvier 2021 ?

GR : Trump a enhardi les forces fascistes et encouragé leurs activités. C’est un suprémaciste blanc ultranationaliste doublé d’un capitaliste et d’un impérialiste enragé.59 Cependant le phénomène Trump est le symptôme d’une crise plus large au sein de l’ordre impérialiste. En raison du développement persistant d’un monde multipolaire, de la montée de la Chine, des échecs du néolibéralisme financiarisé et du déclin du pouvoir des principaux États impérialistes, le fascisme est en forte hausse dans le monde capitaliste.

Dans le contexte américain, la campagne présidentielle de Joe Biden pour l’élection de 2020 a été largement organisée autour de l’idée qu’il était capable de sauver le pays du fascisme parce qu’il respecterait le transfert pacifique du pouvoir et l’État de droit. Il est certainement vrai qu’une démocratie bourgeoise est de loin préférable à une dictature ouvertement fasciste. Et la lutte pour la première contre la seconde est de la plus haute importance. Aussi corrompue, dysfonctionnelle et mensongère que soit la démocratie bourgeoise, elle laisse à certains segments de la population une marge de manœuvre importante pour s’organiser, s’éduquer politiquement et construire le pouvoir. Néanmoins, c’est une grave erreur de supposer que le Parti démocrate aux États-Unis constitue un rempart contre le fascisme. En arrivant au pouvoir, Biden n’a pas immédiatement pris de mesures pour mettre Trump en prison pour complot séditieux. Et les fascistes sur le terrain ont généralement été traités avec des gants. Très peu ont été accusés de complot séditieux, et la plupart des peines de ceux qui ont été condamnés ont été inhabituellement légères. Ce n’est que maintenant, des années après les événements – et à l’approche de l’élection présidentielle de 2024 – que certains des conspirateurs risquent des peines de prison et que Trump est poursuivi sur plusieurs fronts. De plus, l’administration de Biden n’a pas pris de mesures sérieuses pour faire reculer l’État policier américain, la violence policière raciste et le système d’incarcération de masse (qu’il a contribué à construire). Il n’a pas non plus pris de mesures significatives pour démanteler les organisations et milices fascistes. Même si Scranton Joe (Joe Biden) n’a pas soutenu ouvertement les mouvements fascistes locaux comme Trump l’a fait, ce qui est clairement une évolution positive, son équipe a poursuivi le programme impérialiste américain et a soutenu de manière agressive le développement du fascisme dans des pays comme l’Ukraine. 60

Concernant la prise du Capitole, cet événement n’était pas simplement un soulèvement spontané contre l’élection de Biden. Comme je l’ai documenté dans un article détaillé sur le sujet, ce projet était soutenu par une partie de la classe dirigeante capitaliste. Et les plus hauts niveaux du gouvernement américain ont permis que cela se produise61. L’héritière des supermarchés Publix, Julie Jenkins Fancelli, a fourni environ 300.000 dollars pour l’opération « Stop and Steal – Arrêtez et Volez» [qui contestait les résultats de l’élection en 2020]. L’entourage de la famille Trump a également été directement impliqué dans le financement de la manifestation, pour laquelle il a collecté des millions de dollars : «L’opération politique de Trump a versé plus de 4,3 millions de dollars aux organisateurs du 6 janvier62.» Loin d’être une résolution populaire, il s’agissait donc d’une opération de la base stimulée artificiellement. De plus, il existe des signes très clairs selon lesquels le haut commandement des services de renseignement, de l’armée et de la police a autorisé – au minimum – la prise d’assaut du Capitole. Quiconque connaissant les mesures de sécurité draconiennes mises en place pour les manifestations progressistes au Capitole l’a immédiatement perçu, simplement sur la base des séquences vidéo et du fait que seulement un cinquième de la police du Capitole était en service ce jour-là et était mal équipé pour faire face à l’événement et aux émeutes largement attendues. Or, on sait désormais que le haut commandement de l’armée est directement responsable du retard dans le déploiement de la Garde nationale et que les agents du ministère de la Homeland Security (Sécurité Intérieure) en attente près du Capitole n’ont pas été mobilisés. Tout cela, et bien plus encore, met en évidence la complicité des plus hauts niveaux du gouvernement américain dans le saccage du Capitole.

Pour quiconque qui a étudié sérieusement la longue histoire de l’expansion des opérations psychologiques entreprises par la Sécurité Intérieure des États-Unis, certains éléments du 6 janvier se chevauchent dans cette histoire. Pour être clair, cela ne signifie pas qu’il s’agissait d’une conspiration dans la manière idiotement colportée par les médias bourgeois. Comme l’idée que les gens qui ont pris d’assaut le Capitole étaient tous impliqués ou étaient des acteurs rémunérés, ou quelque chose d’absurde de ce genre. Ces opérations sont menées sur la base du «besoin de savoir», ce qui signifie que dans une situation idéale, seules quelques personnes au sommet des chaînes de commandement sont des complices conscients. Derrière eux, nombreux sont ceux qui agissent inconsciemment et de leur propre chef. Cela crée un niveau élevé d’imprévisibilité et favorise ainsi l’apparition souhaitée d’une action spontanée venant d’en bas, fournissant de la sorte une couverture aux décideurs au sommet.

Il reste beaucoup à savoir sur les opérateurs d’élite impliqués dans le financement, l’encouragement et l’autorisation de la prise du Capitole. En attendant que davantage d’informations soient disponibles, comme ce sera probablement le cas au fil du temps, nous savons au moins qu’il s’agit d’un événement extrêmement utile pour l’administration Biden. Cela a permis à « Sleepy Joe » d’accéder au pouvoir en revêtant l’auréole surprenante du «sauveur de la démocratie» tout en lui fournissant une maigre couverture pour ses mouvements vers la droite et la guerre en cours de la classe dirigeante contre les travailleurs. Trump a été presque immédiatement réhabilité, plutôt que mis en prison. Les marionnettes médiatiques de son administration – des gens comme Tucker Carlson et Alex Jones – ont contribué à construire un récit flou selon lequel Trump et ses partisans ont été victimes d’une terrible conspiration gouvernementale. Se présentant comme un renégat épris de liberté et opposé au grand gouvernement, il s’est préparé à une nouvelle campagne présidentielle en tant que soi-disant outsider. On ne sait pas exactement jusqu’où iront les poursuites engagées contre lui, mais le moment est très suspect, car elles surviennent trois ans après les faits, à un moment où le prochain cycle d’élections présidentielles s’annonce au coude à coude ; course de chevaux entre deux candidats impérialistes.

ZD : Pour la gauche globale aujourd’hui, comment résister à l’hégémonie idéologique de la bourgeoisie ? Quel type de théorie révolutionnaire devrions-nous construire ?

GR : Dans le monde capitaliste, l’hégémonie idéologique de la bourgeoisie est maintenue par le contrôle stupéfiant qu’elle exerce sur l’appareil culturel, c’est-à-dire l’ensemble du système de production, de distribution et de consommation culturelle. «Cinq sociétés gigantesques», écrit Alan MacLeod, «contrôlent plus de 90 % de ce que l’Amérique lit, regarde ou écoute63». Ces mégacorporations travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement américain, comme nous l’avons brièvement évoqué ci-dessus. Leur objectif global a été clairement énoncé par le directeur de la CIA, William Casey, lors de sa première réunion du personnel en 1981: «Nous saurons que notre programme de désinformation sera accompli lorsque tout ce que le public américain croit est faux.64».

Telles sont les conditions objectives de la lutte idéologique dans un pays comme les États-Unis. Il est donc naïf de penser qu’il nous suffit de développer une analyse correcte et de partager nos points de vue individuels, en convainquant les gens par une argumentation et une conversation rationnelles. Pour exercer une influence réelle, nous devons travailler collectivement et trouver des moyens de tirer parti du pouvoir en notre faveur. Dans un livre sur lequel je travaille actuellement avec Jennifer Ponce de Léon, qui examine la culture comme lieu de lutte des classes, nous avons distingué de manière heuristique trois tactiques différentes. Premièrement, la tactique du cheval de Troie, qui consiste à utiliser l’appareil culturel bourgeois contre lui-même en profitant de son infrastructure extraordinaire pour s’y introduire clandestinement – et ainsi diffuser largement – des messages contre-hégémoniques (Boots Riley est un excellent exemple de quelqu’un qui a réussi ça). Une deuxième tactique importante consiste à développer un appareil alternatif pour la production, la circulation et la réception des idées. Il y a de nombreux efforts importants qui sont en cours sur ce front, depuis les médias et publications alternatifs jusqu’aux plateformes éducatives, les espaces culturels, les réseaux militants et les centres communautaires. Ponce de Léon et moi sommes tous deux impliqués dans l’Atelier de Théorie Critique, dédié à ce type de travail65. Enfin, il y a les appareils socialistes qui ont été développés dans les pays qui ont détourné le pouvoir de la bourgeoisie. Les nouvelles, l’information et la culture qu’ils produisent constituent une véritable alternative à l’appareil culturel capitaliste. Pour ne citer que deux exemples majeurs dans l’hémisphère occidental, Prensa Latina à Cuba et Telesur au Venezuela accomplissent un travail singulièrement important.

Concernant le type de théorie révolutionnaire dont nous avons besoin, je ne pourrais qu’approuver Cheng Enfu [Cheng Enfu, né en juillet 1950, est directeur de l’Académie de philosophie marxiste et directeur du Centre d’études économiques occidentales du CASS, et président de la WAPE – Association mondiale d’économie politique]. En suivant et en développant les travaux de beaucoup d’autres, il a soutenu de manière convaincante que le marxisme est créatif et doit régulièrement être adapté à des situations variables 66. Le marxisme est loin d’être une doctrine gravée dans le marbre. Ce que Losurdo a appelé un processus d’apprentissage qui change avec le temps. À l’heure actuelle, il y a beaucoup de travail à faire sur ce front. Pour ne souligner que trois des questions les plus urgentes, nous devons développer davantage une théorie révolutionnaire capable à la fois de comprendre et de mettre un terme au fascisme, à la guerre mondiale et à l’effondrement écologique67. Puisque je vis et m’organise dans le noyau impérial, j’ajouterai qu’ il est également essentiel de développer une théorie et une pratique révolutionnaires dans cette région spécifique, qui a jusqu’à présent été inaccessible aux prises de pouvoir d’État.

Dans l’ensemble, la théorie révolutionnaire la plus importante est celle qui contribue à la tâche complexe et difficile de la construction du socialisme. Il y a eu de nombreuses surprises et beaucoup de choses ont été apprises depuis 1917. La situation mondiale est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était à l’apogée de la Troisième Internationale ou pendant la guerre froide. Les pays socialistes travaillent de concert avec les pays capitalistes soucieux du développement national pour construire de nouveaux cadres internationaux qui s’opposent à l’ordre mondial impérial (BRICS+, les Initiatives la Belt Road – « Ceinture de la Route », l’Organisation de coopération de Shanghai, l’ASEAN, etc.). Les soulèvements récents en Afrique occidentale et centrale ont remis en cause le régime néocolonial français dans la région et la prison de l’impérialisme occidental. Comprendre et faire avancer ces luttes et d’autres pour la libération anticoloniale et le monde multipolaire émergeant est une tâche théorique et pratique vitale. Dans le même temps, il est de la plus haute importance de pouvoir élucider comment la contestation de l’ordre mondial impérialiste et le développement de la multipolarité peuvent constituer des tremplins vers l’expansion du projet socialiste. C’est l’un des problèmes les plus urgents de notre époque.


Source originale: Monthly Review
Traduit de l’anglais par Cami pour Investig’Action


Notes

Note de la rédaction : le cofondateur de Monthly Review, Paul M. Sweezy, a également travaillé pour la branche recherche et analyse de l’OSS (Bureau des services stratégiques) pendant la Seconde Guerre mondiale, qui était une agence de renseignement du gouvernement des États-Unis. Elle a été créée le 13 juin 1942 après l’entrée en guerre des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale pour collecter des informations et conduire des actions «clandestines et non ordonnées par d’autres organes». Elle est démantelée à la fin de l’année 1945 pour être remplacée par la Central Intelligence Agency (CIA).

1.  Voir Raúl Antonio Capote, Enemigo (Madrid : Ediciones Akal, 2015).

2.  Les informations contenues dans ce paragraphe et les suivants sont compilées à partir de sources multiples, notamment des recherches d’archives, de nombreuses demandes du Freedom of Information Act et des ouvrages tels que Philip Agee et Louis Wolf, eds., « Dirty Work: The CIA in Western Europe », 1ère éd. (Dorset : Dorset Press, 1978) ; Frédéric Charpier, « La C.I.A. en France : 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises » (Paris : Editions du Seuil, 2008) ; Ray S. Cline, « Secrets, Spies, and Scholars » (Washington, DC : Acropolis, 1976) ; Peter Coleman, « The Liberal Conspiracy: The Congress for Cultural Freedom and the Struggle for the Mind of Postwar Europe » (New York : The Free Press, 1989) ; Allan Francovich, » On Company Business » (documentaire), 1980 ; Pierre Grémion, «Intelligence de l’anticommunisme : Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris , 1950-1975» (Paris : Librairie Arthème Fayard, 1995) ; Victor Marchetti et John D. Marks,  «The CIA and the Cult of Intelligence» (New York : Dell Publishing Co., 1974) ; Frances Stonor Saunders, «The Cultural Cold War» (New York : The New Press, 2000) ; Giles Scott-Smith,  «The Politics of Apolitical Culture: The Congress for Cultural Freedom, the CIA and Post-War American Hegemony » (New York : Routledge, 2002) ; John Stockwell, «The Praetorian Guard: The U.S. Role in the New World Order» (Boston : South End Press, 1991) ; Hugh Wilford, «The Mighty Wurlitzer : How the CIA Played America» (Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 2008).

3. Voir Wilford,  «The Mighty Wurlitzer».

4. Voir Carl Bernstein, “The CIA and the Media”, Rolling Stone, 20 octobre 1977.

5. John M. Crewdson, «Worldwide Propaganda Network Built by the C.I.A.», New York Times, 26 décembre 1977.

6. Rapport du groupe de travail, mémorandum destiné au directeur du renseignement central, « Task Force Report on Greater CIA Openness » (Worldwide Propaganda Network Built by the C.I.A.), 20 décembre 1991, cia.gov.

7. Voir Crewdson, « Worldwide Propaganda Network ».

8. Cité dans William F. Pepper, “The Plot to Kill King” (New York : Skyhorse, 2018), 186.

9. Crewdson, «Réseau mondial de propagande».

10. Voir les articles de Yasha Levine, «Surveillance Valley» (New York : PublicAffairs, 2018) et Alan Macleod dans MintPress News : «National Security Search Engine : Googles Ranks Are Filled with CIA Agents», 25 juillet 2022 ; «Rencontrez les anciens agents de la CIA qui décident de la politique de contenu de Facebook», 12 juillet 2022 ; «Le Bureau fédéral des tweets : Twitter embauche un nombre alarmant d’agents du FBI», 21 juin 2022 ; « Le pipeline de l’OTAN vers TikTok: pourquoi TikTok emploie-t-il autant d’agents de sécurité nationale ? », 29 avril 2022.

11. Le rapport du comité Church a été étroitement contrôlé et supervisé par la CIA elle-même, il est donc fort probable que les chiffres étaient et sont beaucoup plus élevés.

12. Voir Noam Chomsky et al., The Cold War and the University (New York : The New Press, 1997) ; Sigmund Diamond, “Compromised Campus: The Collaboration of Universities with the Intelligence Community”, 1945–1955 (Oxford : Oxford University Press, 1992); Walter Rodney,  «The Russian Revolution: A View from the Third World», éd. Robin D. G. Kelley et Jesse Benjamin (Londres: Verso, 2018); Christopher Simpson, « Science of Coercion: Communication Research and Psychological Warfare» (Oxford : Oxford University Press, 1996).

13. Voir The New School Archives, John R. Everett records (NS-01-01-02), série 3. Dossiers thématiques, 1918-1979, vrac: 1945-1979, Central Intelligence Agency (CIA), 1977-1978, findingaids.archives.newschool.edu/repositories/3/archival_objects/34220. Une large collection de documents montrent certains détails et est disponible dans la collection Black Vault MKULTRA, theblackvault.com.

14. Voir Gabriel Rockhill, “Radical History and the Politics of Art” (New York : Columbia University Press, 2014).

15. Voir Matthew Alford et Tom Secker,” National Security Cinema: The Shocking New Evidence of Government Control in Hollywood “(CreateSpace Independent Publishing Platform, 2017).

16. Cité dans Alford et Secker, National Security Cinema, 49.

17. Voir par exemple Michel Collon et Test Media International, Ukraine : La Guerre des images (Bruxelles : Investig’Action, 2023).

18. Voir Wilford, « Le Puissant Wurlitzer » ; Agee et Wolf, « Sale boulot » ; Charpier, « La C.I.A. en France ».

19. Voir Daniele Ganser, “NATO’s Secret Armies” (New York : Routledge, 2004) et Allan Francovich, “Gladio” (documentaire), British Broadcasting Corporation, 1992.

20. Voir Saunders, « The Cultural Cold War » et Hans-Rüdiger Minow, « Quand la CIA infiltrait la culture » (documentaire), ARTE, 2006.

21. Le terme poststructuralisme est à bien des égards une invention anglophone puisque, dans le contexte français (du moins à l’origine), les soi-disant poststructuralistes étaient considérés comme poursuivant et intensifiant – certes, de manières légèrement différentes – le projet structuraliste.

22. Michel Foucault, « Dits et écrits 1954-1988 », vol. 1 (Paris : Éditions Gallimard, 1944), 542. Pour plus sur Focault, voir Gabriel Rockhill, « Foucault : The Faux Radical » Los Angeles Review of Books, Octobre 12, 2020, thephilosophicaksalon.com

23. Voir Gabriel Rockhill, « The Myth of 1968 Thought and the French Intelligentsia », Revue mensuelle 75, no. 2 (juin 2023) : 19-49.

24.  Voir mon avant-propos pour Aymeric Monville, « Neocapitalism According to Michel Clouscard» (Madison : Iskra Books, 2023).

25. Direction du renseignement,  « France : Défection des intellectuels de gauche », Central Intelligence Agency, 1er décembre 1985, 6, cia.gov.

26. Walter Rodney, “Decolonial Marxism : Essays from the Pan-African Revolution” (Londres : Verso, 2022), 46.

27. Une grande partie des preuves de mes commentaires peuvent être trouvées dans les articles suivants : Gabriel Rockhill, «The CIA and the Frankfurt School’s Anti-Communism», Los Angeles Review of Books, 27 juin 2022, thephilosophicalsalon.com, et Gabriel. Rockhill, « Critical and Revolutionary Theory: For the Reinvention of Critique in the Age of Ideological Realignment », dans Domination et Emancipation: Refaire la critique, éd. Daniel Benson (Lanham: Rowman and Littlefield Publishers, 2021), 117-61.

28. Cité dans Wolfgang Kraushaar, éd., Frankfurter “Schule und Studentenbewegung : Von der Flaschenpost zum Molotowcocktail 19461995“, vol. 1, Chronik (Hambourg : Rogner et Bernhard GmbH et Co. Verlags KG, 1998), 252-53.

29. Sur la guerre de Suez, voir Richard Becker, « Palestine, Israel and the U.S. Empire » (San Francisco : PSL Publications, 2009), 71-78.

30.  Cité dans Stuart Jeffries, “Grand Hotel Abyss: The Lives of the Frankfurt School” (Londres : Verso, 2016), 297. Les déclarations d’Adorno et Horkheimer sur Nasser sont de la même famille que la propagande produite par les médias et les agences de renseignement occidentales. Comme Paul Lashmar et James Oliver ont argumenté de manière convaincante, le Département de recherche sur l’information – un bureau secret de propagande anticommuniste étroitement lié au MI6 et à la CIA – a fait pression sur la BBC et ses autres organes d’information pour qu’ils présentent Nasser comme «un dupe soviétique», ce qui était «une ligne de propagande polyvalente favorisé par les dirigeants anticoloniaux» (Paul Lashmar et James Oliver, Britain’s Secret Propaganda War: 1948-1977 [Phoenix Mill, Royaume-Uni: Sutton Publishing Limited, 1998], 64).

31. Voir Franz Neumann et al., «Secret Reports on Nazi Germany: The Frankfurt School Contribution to the War Effort», éd. Raffaele Laudani, trad. Jason Francis McGimsey (Princeton : Princeton University Press, 2013); Barry M. Katz, «Foreign Intelligence: Research and Analysis in the Office of Strategic Services, 1942-1945» (Cambridge, Massachusetts : Harvard University Press, 1989); Tim B. Müller, Krieger und Gelehrte : «Herbert Marcuse und die Denksysteme im Kalten Krieg» (Hambourg : Hamburger Edition, 2010).

32. Jürgen Habermas, «The New Conservativism: Cultural Criticism and the Historians’ Debate», éd. et trad. Shierry Weber Nicholsen (Cambridge, Massachusetts : MIT Press, 1990), p. 69.

33.  Voir Rockhill, «Critical and Revolutionary Theory».

34. Nancy Fraser, «Capitalism’s Crisis of Care», Dissent 63, no. 4 (automne 2016).

35. Voir Tita Barahona, “Judith Butler, la pope del ‘feminismo’ postmoderno, y su apoyo al capitalismo yanqui”, Canarias-semanal, 7 avril 2022, canarias-semanal.org, et Ben Norton,

« Postmodern Philosopher Judith Butler a fait des dons à plusieurs reprises à «Top Cop» Kamala Harris », 18 décembre 2019, bennorton.com.

36.  Voir, par exemple, mes critiques à Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser dans Rockhill, «  Critical and Revolutionary Theory ».

37. Stephen Gowans en fournit de nombreux excellents exemples dans son livre « Washingtons Long War on Syria » (Montréal : Baraka Books, 2017).

38. Gabriel Rockhill, « Capitalism’s Court Jester: Slavoj Žižek », CounterPunch, 2 janvier 2023.

39. Voir le débat électoral télévisé de 1990 archivé sur YouTube : « Slavoj Žižek — 1990 Election Debate in Slovenia », vidéo YouTube, 9:40, publiée le 18 mai 2021, youtube.com/watch?v=942h8enHCZs.

40. Slavoj Žižek, «Why the West Will Keep Losing in Africa: Neocolonialism Is Giving Birth to a Wretched Authoritarianism », New Statesman, 4 septembre 2023.

41. Slavoj Žižek, « The Left Must Embrace Law and Order », New Statesman, 4 juillet 2023.

42. Voir par exemple Collon, « Ukraine : La Guerre des images » et Pepe Escobar, « Why the CIA Attempted a ‘Maidan Uprising’ in Brazil », The Cradle, 10 janvier 2023, new.thecradle.co.

43. Amin a écrit : « La triade a organisé à Kiev ce qu’on devrait appeler un ‘putsch euro/nazi’. La rhétorique des médias occidentaux, affirmant que la politique de la Triade vise à promouvoir la démocratie, est tout simplement un mensonge » ( Samir Amin, « Contemporary Imperialism », Monthly Review 67, n° 3 [juillet-août 2015] : 23-36).

44. Voir Gabriel Rockhill, « The U.S. Is Not a Democracy, It Never Was », CounterPunch, 13 décembre 2017.

45. John Grafton, éd., “The Declaration of Independence and Other Great Documents of American History 1775–1865” (Mineola, New York : Dover, 2000), 8. Voir également Roxanne Dunbar-Ortiz, “An Indigenous Peoples’ History of the United States” (Boston : Beacon Press, 2015) et David Michael Smith, “Endless Holocausts” (New York : Monthly Review Press, 2023).

46. Terry Bouton, “Taming Democracy: “The People,” the Founders, and the Troubled Ending of the American Revolution” (Oxford : Oxford University Press, 2007), 4.

47. Ralph Louis Ketcham, éd., “The Anti-Federalist Papers and the Constitutional Convention Debates” (New York : Signet, 2003), 199.

48. Herbert J. Storing, éd., “The Complete Anti-Federalis”t, vol. 2 (Chicago : University of Chicago Press, 2008), 13.

49. Bien que j’ai quelques problèmes avec le cadrage global, je fournis une grande partie des preuves empiriques de mes affirmations dans le troisième chapitre de ce livre : Gabriel Rockhill, « Contre-histoire du temps présent : Interrogations intempestives sur la mondialisation, la technologie, la démocratie » (Paris : CNRS Éditions, 2017). Il est également disponible en anglais : Counter-History of the Present: Untimely Interrogations into Globalization, Technology, Democracy (Durham : Duke University Press, 2017).

50. Martin Gilens et Benjamin I. Page, «Testing Theories of American Politics: Elites, Interest Groups, and Average Citizens», Perspectives on Politics la politique 12, no. 3 (septembre 2014) : 564.

51. Voir William Blum, “Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War II”(Londres : Zed Books, 2014), ainsi que son « Overthrowing Other People’s Governments : The Master List » sur williamblum.org.

52. Gabriel Rockhill,  “Liberalism and fascis : The Good Cop and Bad Cop of Capitalism,”, Black Agenda Report, 21 octobre 2020, blackagendareport.com.

53. Gabriel Rockhill, « “C,” CounterPunch, October 16, 2020.

54. « Le Maréchal Badoglio, ancien collaborateur de Benito Mussolini, responsable de terribles crimes de guerre en Éthiopie, a été autorisé à devenir le premier chef du gouvernement de l’Italie post-fasciste. Dans la partie libérée de l’Italie, le nouveau système ressemblait étrangement à l’ancien et a donc été rejeté par beaucoup comme fascismo senza Mussolini, ou « fascisme sans Mussolini » » (Jacques R. Pauwels, The Myth of the Good War [Toronto : Lorimer, 2015], 119).

55. Voir Dunbar-Ortiz, “An Indigenous Peoples’ History of the United States et Smith”, Endless Holocausts.

56. George L. Jackson,” Blood in My Eye” (Baltimore : Black Classic Press, 1990), 9.

57. Voir, par exemple, James Q. Whitman, “Hitler’s American Model” (Princeton : Princeton University Press, 2018).

58. Voir John Bellamy Foster, “Trump in the White House: Tragedy and Farce” (New York : Monthly Review Press, 2017).

59. Voir Gabriel Rockhill, « Nazis in Ukraine: Seeing through the Fog of the Information War », Liberation News, 31 mars 2022, liberationnews.org.

60. Voir Gabriel Rockhill, « Lessons from January 6th: An Inside Job », CounterPunch, 18 février 2022.

61. Anna Massoglia, « Details of the Money behind Jan. 6 Protests Continue to Emerge », OpenSecrets News, 25 octobre 2021, opensecrets.org.

62. Alan MacLeod, éd., Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent (New York : Routledge, 2019).

63. Concernant son origine, voir cette discussion de cette déclaration souvent citée : Tony Brasunas, « Is the CIA Trying to Deceive All Americans ? », 9 février 2023, tonybrasunas.com.

64. Voir critiquetheoryworkshop.com.

65. Voir Cheng Enfu, “China’s Economic Dialectic” (New York : International Publishers, 2021).

66. L’un des marxistes les plus importants aux États-Unis, John Bellamy Foster, a réalisé un travail extrêmement important sur ces trois fronts.