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vendredi 23 août 2024

Le "changement" en sociologie: une arme culturelle pour l'hégémon

La philanthropie des fondations  Rockefeller et Ford dans les sciences sociales françaises pour "améliorer le contrôle social dans l'intérêt de tous" c'est l'Otan culturelle avant la lettre. Cette petite phrase, on la trouve dans la première des deux recensions ci-dessous de l'ouvrage de Brigitte Mazon, Aux origines de l'École des hautes études en sciences sociales. Le rôle du mécénat américain, 1920-1960 (préface de Pierre Bourdieu, postface de Pierre Morazé; Paris: les Éditions du Cerf, 1988).

 
L'ouvrage  de Brigitte Mazon reste dans les clous et le cercueil de l'Histoire bien riveté. Carrière or not carrière, that's the question. Comme le rappelle le sociologue Jean Duvignaud dans son introduction d'Hérésie et subversion. Essais sur l'anomie (La Découverte, 1986): 
 
"Ces contraintes du métier permettent rarement de s'abandonner à la réflexion errante, de sortir de l'enclos. Si, après la dernière guerre, la sociologie s'est arrachée au silence où la confinait la spécialisation, si elle a pu enfin trouver un public, il semble qu'elle se soit enfermée dans son bunker." ("Introduction: l'écluse", p. 12)
 
 Les fondations en question ont fléché la sociologie dans son développement académique comme instrument de la guerre culturelle, pour la mainmise d'hégémon sur les cerveaux et notamment nuire au développement du marxisme: seule science interdisciplinaire capable de penser le changement dans la plupart des disciplines, dont la sociologie (les Études de genre tiennent lieu d'interdisciplinarité molle, et surtout de bouclier moral à l'industrie de la tuerie de masse).  
 
"Si nous nous y attachons d'un peu près, nous nous rendons compte que la connaissance sociologique ne possède pas les instruments qui lui permettent de comprendre et d'analyser le changement, les mutations sociales. On peut, certes, disserter sur les variations qui interviennent dans les variations de la trame de l'existence collective, en percevoir les déterminations. Ce n'est pas examiner ni analyser le changement, loin de là. Et il est important de rappeler que, si la sociologie est fille de la Révolution française et de l'immense interrogation que cette dernière a formulée concernant la réalité sociale, la plupart de réponses qui ont été apportées vont directement dans un sens opposé: Comte recherche les éléments "positifs" et permanents de la vie collective, Durkheim examine les multiples cristallisations des sociétés, Max Weber interroge les relations constantes qui s'établissent entre deux ordres d'activité contingentes. Seul Marx pose le problème du changement au centre de sa réflexion. Mais il ne nous a laissé aucun concept pour analyser la "révolution", dont il ne peut que sublimer l'apparition, n'ayant lui-même assisté qu'à des mutations avortées.
Et il faut bien constater que, dans la société industrielle moderne, le changement est devenu l'élément fondamental et essentiel de toute vie collective." ("Anomie et mutation sociale", pp. 35-36)
 
 Et v'là-t'y pas que la sociologie étatsunienne a justement une version du "changement" (qui rappelle furieusement la Pax americana d'"un ordre international fondé sur des règles" ou sinon je t'allume):
 
"Assurément, il serait injuste de dire que la sociologie n'a pas tenté de saisir et de comprendre le changement. Ce serait oublier qu'un domaine important de la recherche américaine, par exemple, et qui remonte à la publication en 1922 du livre de William F. Ogburn, Social Change, porte précisément ce nom. Mais, conformément à l'esprit général de la science américaine de cette période (mis à part C. Wright Mills), le changement est ici perçu comme une distance entre un modèle économique et social considéré comme supérieur et valable pour le genre humain tout entier et divers "retards culturels" observables. Qui ne voit que cette définition normative du changement se retourne contre le changement lui-même?". ("Anomie et...", p. 37)