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dimanche 22 septembre 2024

Retour sur le Venezuela: le pourquoi et le comment, par Vladimir Caller

 

Les données de la Banque mondiale et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) concernant l’évolution de la situation économico-sociale du Venezuela sont assez édifiantes et de nature à nous permettre d’esquisser des explications ignorées, ou plus souvent évitées par le système médiatique, à propos de la crise politique que connaît ce pays.
Suivant la Banque mondiale, la population du pays qui diminuait régulièrement depuis des années (moins 2,9 % annuel en 2019) a augmenté de 1,9 % en 2023 et ce, notamment, grâce aux nombreux retours de ceux qui avaient quitté le pays depuis 2017. Le taux annuel négatif des migrations – un peu plus de 1,3 millions de personnes en 2018 – est devenu positif en 2023 – environ 320.000. Le taux de chômage n’était que de 5,5 % en 2023 (il est de 5,8 % en Belgique). Le nombre d’homicides qui était de 48 sur 100.000 personnes en 2018 est descendu à 19 sur 100.000 en 2023 ; et surtout l’inflation, la mère de toutes les misères, l’icône dont tous les médias se gaussaient pour dire du mal du pays et qui avait atteint le chiffre surréaliste de 833.997 % en 2018 est tombée à 69,5 % en 2023 [].
Le PNUD va dans le même sens. Dans son rapport « Performances macroéconomiques du Venezuela au premier trimestre 2024 et perspectives pour l'année 2025 », le PNUD pronostiquait pour le pays, exactement un mois avant les élections, une croissance de 4,2 % pour l’année 2024 (celle de la France est estimée à 0,9 %). Le rapport indique que la production du pétrole a augmenté de 18,4 % en 2023, que le dollar USA s’est stabilisé dans le marché de changes (il était à 637 bolîvares, la monnaie nationale, par USD en 2018 il est à 36, aujourd’hui-NdlR) et, surtout, que la collecte fiscale du 1er trimestre 2024 avait connu une augmentation de 161 % en comparaison avec celle de 2023 []. La CEPAL, commission régionale de l’ONU pour l’Amérique latine, annonçait une croissance de 4 % du PIB du Venezuela pour l’année 2024 (la moyenne pour l’Amérique latine étant de 2,1 %), c’est-à-dire la plus élevée de la région et ce pour la troisième année consécutive. [Face à ces chiffres, certains économistes ont commencé à parler de « miracle vénézuélien »].
Eh bien les amis, c’est là que gît le lièvre.
C’est là, et non pas dans la présentation ou non de tels ou tels actes électoraux et autres broutilles que se trouve la raison de la féroce campagne déclenchée par la puissance américaine et ses affidés contre le Venezuela d’aujourd’hui.
Que le Venezuela de 2024 soit toujours le même que celui de 2018 !
Ce dernier, avec un PIB qui avait diminué de 30 % entre 2014 et 2017 (plus ou moins dans les mêmes proportions que celles du krach des USA en 1929) aurait pu perdurer des siècles sans être vilipendé par ceux qui aujourd’hui l’agressent. Au contraire, elle eût été la vitrine idéale pour donner crédit aux discours de Biden, Corina Machado et von der Leyen pour qui « there is no alternative » au catéchisme néolibéral du grand capital financier.
Il était donc insupportable de laisser prospérer le tournant entrepris par le pays d’Hugo Chavez en 2018, l’année de la « NEP » vénézuélienne quand il fut décidé de répondre, comme dans les arts martiaux, à la violence des sanctions US et de l’UE avec des mesures libéralisant les potentialités de l’économie. Il était donc impensable de permettre que le monde voie que le pays qui en 2018 importait plus de la moitié des biens alimentaires en produit aujourd’hui 85 % ; il commence même à en exporter ! Cerise (amère) sur le gâteau : il se prépare à adhérer aux BRICS lors de son prochain sommet en Russie. « Mais, tonnerre de Dieu, ça ne va pas, non ! », semblent s’être dit nos grands procureurs…
Punir une expérience « fautive »
Pourtant, dès qu’Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1999 avec sa révolution bolivarienne, l’oncle Sam se mit en furie et ne cessa de chercher à saboter son gouvernement, cherchant même à le faire tomber comme lors du putsch de 2002 avec, déjà !, la collaboration de l’UE alors présidée par l’Espagnol Aznar. Et plus le caractère antiimpérialiste de l’expérience chaviste s’affirmait, plus la réaction de l’Empire devenait violente. Ainsi, en 2015, le « progressiste » Obama signait un décret présidentiel contenant une liste de sanctions, déclarant le Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis ».
A son tour Donald Trump signe en 2017 le décret présidentiel 13808 d’une violence inouïe. En parfaite coordination avec Corine Machado et, entre autres, le géant pétrolier Exxon, ce décret interdit à la planète entière toute transaction avec l’État vénézuélien, et tout particulièrement avec PDVSA (Petroleos de Venezuela S.A.), jusque-là cœur de l’économie nationale. Un détail, parmi les plus de 900 sanctions contenues dans ce décret, illustre l’extrême sévérité de la mesure : la société CITGO, une filiale de PDVSA, dispose de trois raffineries et 6.000 stations d’essence sur le territoire des États-Unis dont la totalité des actifs, recettes de vente, dépôts et valeurs en banque, créances (par contre pas les dettes qui restent « propriété » de PDVSA) furent confisquées. L’État vénézuélien est aussi lourdement attaqué, il ne peut plus émettre de titres sur sa dette, et ce y compris concernant des titres émis avant le décret et il est, bien entendu, également interdit de les acheter. Pour Jeffrey Sachs, l’économiste bien connu et consultant spécial auprès du secrétaire général de l’ONU, ces sanctions ont comme résultat de provoquer la famine dans la population et sont même plus violentes que celles que Cuba a endurées (ces dernières furent plus progressives ; ici il s’agit d’un étranglement immédiat).
La surprise de 2018
L’administration US et sa porte étendard Corina Machado ne s’attendaient pas au « tournant Maduro » qui, cette fois, pour faire face aux sanctions, s’est décidé à traiter le fait économique non pas comme une idéologie volontariste mais comme une praxis ayant ses impératifs. En conséquence, il fallait rompre avec le dogme d’une économie de la rente fondée sur la richesse pétrolière du pays qui avait perduré pendant un siècle et qui, vu ses énormes gains monétaires, finançait tous les besoins existants et paralysait ainsi le développement d’autres sources de productivité, stimulant une inflation structurelle, puisque la surabondance monétaire favorisait les hausses de prix. Le tout étant soumis aux aléas des fluctuations du prix de ce pétrole.
C’est ainsi qu’en 2018, en réponse aux sanctions de Trump de 2017, l’équipe de Maduro entreprend de réactiver l’économie nationale en orientant ses efforts en particulier avec le secteur privé, les petites, moyennes et grandes entreprises, les coopératives, le secteur banquier et des assurances. Les procédures de création d’entreprises et celles des banques dans l’octroi de crédits ont été allégées. Retournant à la ruralité, le pouvoir a commencé à refaire du pays ce qu’il fut avant la découverte du pétrole, un pays éminemment agricole. Et la fièvre de l’entrepreneuriat devint intense et resta soutenue depuis 2018. C’est ainsi que, dix jours avant les élections, le 18 juillet, Maduro se vantait du fait que « […] À ce jour, 1.387.261 entrepreneurs sont certifiés dans tout le pays, dont 64 % sont des femmes », tout en annonçant l'octroi immédiat de 10.000 prêts à 10.000 nouveaux entrepreneurs par l'intermédiaire de la Banque du Venezuela.
Voilà le Venezuela que le FMI, l’UE et bien entendu l’OTAN ne voulaient, surtout pas, voir refleurir. Bien au contraire, ils voulaient que le pays s’enfonce dans des crises telles qu’on puisse le ‘cueillir’ doucement (avec sa pléthore de richesses, son pétrole, son gaz, son or, argent, diamants, etc…, etc.)
Les élections comme tremplin pour le chaos
Constatant que la longue série de sanctions ne réussissait pas à faire plier le chavisme, notre troïka magnifique (Machado-UE-Blinken) s’est dit que les élections présidentielles pourraient être l’ultime option ; le moment d’une gigantesque mise en scène pour préfabriquer une « fraude » comme instrument de chaos et d’insurrection. Et ils se mirent au travail en commençant par faire des « sondages » (outil de pointe pour les révolutions de couleur) bien avant la date des élections et toujours, bien sûr, en donnant l’opposition gagnante, avec de très larges écarts ; une manière de préparer l’opinion nationale et internationale à « l’évidence » de la victoire des « machadistes ». Pour s’en occuper, rien de mieux que l’institut d’opinion étatsunien Edison Research lié, selon Wikileaks, à la CIA et qui fut déjà actif en Irak, en Géorgie et en Ukraine []. Puis la chaîne se mit en marche via CNBC, Reuters, le New York Times, le Washington Post etc. etc. Et c’est la même agence qui a été chargée « d’informer » le monde entier, le jour des élections à 18 heures, à la sortie des urnes, que les « sondages » indiquaient la victoire de l’opposant Gonzales avec 60 % des voix contre 30 % pour Maduro. Elon Musk, les GAFAM et les réseaux sociaux feront le reste pour confirmer la « victoire » de l’opposition.
C’est alors qu’arrive la formidable attaque informatique de la centrale de traitement des résultats électoraux, avec un ensemble hyper sophistiqué d’algorithmes et ce, au moment même où 80 % des voix comptabilisés, indiquaient une confortable avance pour Maduro ; une occasion fabriquée pour que l’on puisse crier à la fraude. Cette attaque ciblait non seulement le centre électoral mais une série d’importantes institutions du pays et n’est toujours pas complétement terminée [].
Le scénario pour générer la violence et le chaos était alors prêt. Corina Machado l’amie politique de Milei et de Netanyahou, qui avait demandé l’aide, y compris matérielle, à ce dernier en 2018, pour faire tomber Maduro et avait réclamé en 2019 dans des déclarations à la BBC, une intervention étrangère pour en finir avec le chavisme, pouvait se mettre à l’œuvre []. Mais il y a un hic. La présence d’un peuple dont des cruelles sanctions et pénuries n’ont pas réussi à affaiblir la volonté de résister.