SOURCE: https://maitron.fr/spip.php?article21430
Né le 30 mai 1908 à Calais (Pas-de-Calais), mort le 2 octobre 1980 ; cinéaste, acteur, dramaturge, écrivain ; syndicaliste et militant communiste.
Né à Calais, Louis Daquin connut, à l’aube des années 1930, sa première expérience professionnelle aux usines Renault en qualité de rédacteur publicitaire, après avoir obtenu une licence de droit et un diplôme de HEC. Après de premiers essais dramaturgiques (Pat, 1932, Les Crapauds, 1934), Louis Daquin débuta au cinéma en 1933 en tant que script-boy de La Rue sans nom de Pierre Chenal. Il enchaîna ensuite une série de films du même réalisateur en tant qu’assistant (Crime et châtiment, 1933, Les Mutinés de l’Elseneur, 1936, L’Homme de nulle part, 1937), avant de rencontrer Fedor Ozep (La Dame de pique, 1937) et Abel Gance. Très tôt, Louis Daquin multiplia ses activités puisqu’il interpréta également de petits rôles dans certains des films cités, ou s’initia à la direction de production (La Tradition de minuit, Roger Richebé, 1939).
Sa première rencontre avec le cinéma engagé se produisit à l’occasion du montage de La Vie est à nous, commande du Parti communiste français à Jean Renoir pour la campagne des élections législatives de 1936. Son passage à la réalisation se fit en deux temps : en 1938 lui fut confiée la version française de Der Spieler de Gerhard Lamprecht, dans les studios de la Tobis à Berlin ; mais ce fut avec Nous les gosses (1941) qu’il acquit pleinement ses galons de cinéaste. Louis Daquin se rangea ainsi au nombre des réalisateurs dont la carrière fut lancée lors des années de guerre, à l’instar de Jacques Becker et de Robert Bresson. Il publia la même année L’Énigme du Pelham, un roman policier sous le pseudonyme de Lewis Mac Dackin. Il mit en scène quatre autres films pendant l’Occupation : Le policier, Madame et le mort en 1942 suivi du Voyageur de la Toussaint et, l’année suivante, Premier de cordée, tiré du roman de Frison-Roche, qui lui permit de tourner in situ et d’expérimenter la prise de vue en filmant caméra à l’épaule. La question de la perméabilité à l’idéologie pétainiste de ce dernier s’est souvent posée depuis. Fut-il le vecteur inconscient du retour à la terre prôné par le régime de Vichy ou implicitement l’auteur d’une une ode à la ténacité et l’endurance physique dont devaient faire preuve les résistants des maquis ou des geôles collaboratrices et hitlériennes ? Daquin lui-même admit que l’air du temps avait pu s’y infiltrer à son insu.
En 1940, Raoul Ploquin, qui dirigeait le Comité d’organisation de l’industrie cinématographique mis sur pied par le gouvernement de Vichy et le représentant de l’État, Guy de Carmoy, qui allait être déporté moins de deux ans plus tard, firent appel en 1940 à Daquin pour diriger les Actualités cinématographiques, afin de les « arracher aux Allemands ». Daquin accepta dans un premier temps mais, réalisant dans quelle impasse il s’était engagé, démissionna rapidement. Le cinéaste reconnut dans ses mémoires l’état de confusion qui était alors le sien et qu’il avait fait preuve de « naïveté et d’un manque de réalisme ». Après ce faux pas, Daquin adhéra au Parti communiste en janvier 1941 et s’engagea aussitôt dans la Résistance. Tandis que Jean-Paul Le Chanois fondait fin 1940 le « Réseau de défense du cinéma » ou « Réseau des syndicats », Daquin rejoignait la section cinéma du Front national fondée par l’écrivain communiste René Blech en 1942, organisation clandestine créée à l’instigation du PCF suite à une directive de l’Internationale communiste en 1941, où il avait entre autres pour compagnons Pierre Blanchar, Jean Grémillon, Jean Delannoy ou Jacques Becker. Les deux organisations fusionnèrent sous la bannière du Comité de Libération du cinéma français (CLCF), éditant en décembre 1943 le premier numéro de L’Écran français. À la demande du Conseil national de la Résistance, le CLCF se vit confier la tâche d’organiser l’insurrection du cinéma français ainsi que la reprise en main des actualités filmées. Le 19 août 1944 au soir, les anciens locaux du COIC furent investis et Louis Daquin y installa le quartier général du CLCF, dont il fut élu général le 19 septembre. Parallèlement, il devint président de la Coopérative générale du cinéma français (CGCF) qui produisit entre autres La Bataille du rail, Le 6 juin à l’aube et Au cœur de l’orage. Entre l’automne 1944 et le printemps 1945, communistes et gaullistes se disputèrent la prise en charge du cinéma français. En position de force et en parfaite application de la politique préconisée par le PCF, le CLCF organisa des comités d’épuration au sein desquels officia Louis Daquin, et ne cessa de prôner une réforme en profondeur de l’industrie cinématographique française. Au printemps de 1945, alors que le CLCF avait perdu tout espoir de diriger le cinéma français, Daquin se tourna vers l’action syndicale, en devenant le secrétaire général du Syndicat des techniciens du film (CGT), et ce jusqu’en 1962. À ce titre, il travailla aux côtés de Jean Grémillon, Gérard Philippe et Charles Chezeau*, grande figure de la Fédération du Spectacle et participa activement aux différentes campagnes de défense du cinéma français, telles que la bataille contre les accords Blum-Byrnes en 1946 ou la dénonciation du Pool européen du cinéma en 1953.
Durant la première époque de la Libération, Daquin réalisa deux films. Le premier, Patrie, film historique au titre emblématique dont l’action rend hommage aux combattants de l’occupation espagnole au XVIe siècle, fut considéré en 1945 comme une allégorie de la Résistance à l’envahisseur. Ce film illustrait cependant l’écart esthétique qui séparait le cinéma français et le cinéma italien, qui s’engageait alors dans la voie du néoréalisme. Dans le second, Les Frères Bouquinquant (1947), adapté du roman de Jean Prévost, il sut évoquer avec empathie la vie quotidienne du petit peuple. Durant les dix années suivantes, Daquin devint le cinéaste quasi officiel du Parti communiste, l’un des très rares réalisateurs à recevoir les éloges publics de la direction du PCF. Son film le plus souvent cité, Le Point du jour (1949), prix de la mise en scène au festival de Marianske-Lazne, met en scène le monde de la mine dans l’esprit du réalisme socialiste, selon lequel ouvriers et ingénieurs devaient travailler de concert à l’amélioration des conditions de vie des mineurs et à l’avènement d’un monde meilleur. À de rares exceptions près, le film fut bien reçu par la critique de droite comme de gauche, démontrant en cela le peu de portée révolutionnaire d’une esthétique prétendument en rupture avec les modes bourgeois et capitaliste, mais ne rencontra pas le public qu’il méritait. Alors que la critique communiste s’en prenait violemment au genre policier, il adapta la même année le roman de Gaston Leroux, Le Parfum de la dame en noir, avant de réaliser l’année suivante Maître après Dieu. En ces temps d’affrontement idéologique, les difficultés de mener de front une carrière professionnelle et un engagement militant s’accrurent, et il ne fait guère de doute que ce dernier entrava la première. Aussi les productions militantes et les adaptations d’œuvres de l’Europe de l’Est se multiplièrent-elles durant les années 1950. D’une part, Daquin participa aux versions françaises de films polonais (La Paix vaincra, Nous construisons, Le Hibou et le pivert, etc.) ; d’autre part, il participa en France aux documentaires communistes (Nous continuons la France, 1946), cégétistes (La Grande lutte des mineurs, 1949) ou du Mouvement de la paix (La Bataille de la vie, 1949). Outre ses activités syndicales et politiques, Daquin s’immisça également dans le débat critique qui fit rage à la fin des années 1950. Strict représentant de l’école jdanovienne, Daquin, avec Georges Sadoul, définit les caractéristiques de l’art cinématographique national, rejetant tout formalisme au profit de la primauté absolue du sujet. Dans « Quelques remarques déplacées » (L’Écran français, 8 mars 1949), il s’en prit à une partie de la critique et à leur « langage technico-esthético-philosophique ». Suite à la censure que subit Bel Ami, réalisé en 1954 mais distribué en 1957, Daquin fut contraint de poursuivre sa carrière de cinéaste hors les murs. Il partit tourner Ciulinii Baraganului (Les Chardons du Baragan) en Roumanie et, en 1959, Trube Wasser (Les Arrivistes), adaptation de La Rabouilleuse de Balzac, tournée dans les studios de la DFA en République démocratique allemande.
La Foire aux cancres (1963), mise en images datée de l’ouvrage populaire de Jean Charles alors que la Nouvelle vague venait de déferler sur les écrans, fut son dernier long métrage, un projet en 1975, Qui a tué Grimard ?, ne voyant jamais le jour. Il poursuivit néanmoins la production de courts métrages documentaires liés à son appartenance politique (Naissance d’une cité, 1964). Tout en tenant de petits rôles dans plusieurs films, l’expérience professionnelle de Daquin fut mise à profit aussi bien par René Clément (Paris brûle-t-il, 1964) que José Giovanni (Dernier domicile connu, 1969). Comme nombre de cinéastes français et étrangers, il rejoignit le comité de soutien à Henri Langlois lorsque celui-ci fut révoqué par André Malraux en février 1968. Daquin fut d’ailleurs élu coprésident de la SR en 1978. Bien qu’ayant reconnu les apports de la Nouvelle vague, après en avoir fermement condamné les débuts, entre autres pour atteinte aux acquis sociaux, Daquin demeura un témoin actif des débats critiques des années 1960, accusant par exemple les collaborateurs de La Nouvelle critique, qui s’orientaient alors vers un type d’analyse formelle, de « narcissisme », au lieu de se concentrer sur la « signification sociologique » des films. Entre 1970 et 1977, Daquin fut directeur des études à l’IDHEC, où, malgré des rapports tendus avec les représentants de l’extrême gauche, il fit preuve d’ouverture d’esprit et laissa auprès de ses étudiants le souvenir d’un professeur chaleureux et compétent. En 1979, il fit sa dernière apparition à l’écran, Louis et Réjane, téléfilm de Philippe Laïk.
Sa carrière au sein de l’industrie cinématographique et les aléas auxquels il dut faire face lui inspirèrent deux ouvrages, Le Cinéma, notre métier (1961), où il évoque les aspects plus techniques de sa profession, et On ne tait pas ses silences (1980), sorte d’autobiographie d’un cinéaste imaginaire dans laquelle Daquin évoquait ses activités, ses rencontres professionnelles, ses engagements personnels sur un ton où percent amertume et interrogations personnelles. Louis Daquin s’éteignit le 2 octobre 1980.