L’histoire
de la CIA (Central Intelligence Agency) – ses coups montés, ses
assassinats, ses enlèvements, sa pratique de la torture, ses « sites
noirs », ses meurtres par drone, ses sales guerres et le parrainage de
régimes dictatoriaux [1] – souligne non seulement le rôle sanguinaire et
réactionnaire joué par l’impérialisme américain mais surtout la peur
mortelle de l’élite dirigeante face à la classe ouvrière internationale.
Dès
sa fondation en 1947, le CIA a reconnu que Washington ne pourrait
réaliser et maintenir son hégémonie mondiale par la seule répression.
Les luttes anticoloniales, les luttes révolutionnaires en Grèce et à
travers l'Europe, les grèves de masse autour du monde (dont la grande
vague de grèves de 1945-46 aux Etats-Unis [2]) étaient profond&eac
The Mighty Wurlitzer
Un livre détaillé sorti en 2008, The Mighty Wurlitzer: How the CIA Played America,
(Le puissant Wurlitzer : comment la CIA joue l’Amérique) de Hugh
Wilford, examine la lutte idéologique menée par la CIA entre 1947 et
1967 afin de rallier « les cœurs et les esprits » au capitalisme
américain et poursuivre la guerre froide.
C’est une sale besogne.
La CIA a créé ou manipulé des associations, des universités, des
médias, des groupes d’artistes, des fondations et des associations
caritatives pour les mettre au service de sa propagande – cherchant à
appliquer un vernis « progressiste » et même « humanitaire » au contrôle
grandissant exercé par Washington.
Malgré le temps écoulé depuis
sa publication, ce livre est toujours pertinent, car il révèle le
fonctionnement des campagnes idéologiques de la CIA et en particulier le
rôle joué par une section de l’intelligence libérale. Il ouvre les yeux
à une nouvelle génération soumise aux des tentatives incessantes de
blanchiment de la CIA et du militarisme américain. L’on se fait une idée
des opérations antidémocratiques et réactionnaires menées par
l’impérialisme américain et son appareil de renseignement, et de la
nature foncièrement criminelle et mensongère du capitalisme américain.
Surtout,
le livre démontre au lecteur l'importance que l’élite dirigeante
américaine accorde à la lutte idéologique contre le socialisme.
L’auteur
écrit à juste titre : « Ces pratiques se sont en fait intensifiées ces
dernières années ; la ‘guerre contre le terrorisme’ recrée la
mobilisation totale qui a marqué les premières années de la Guerre
froide. » Il ajoute que la CIA est « une force croissante sur les
universités. » [3]
La terme « puissant Wurlitzer » (Mighty
Wurlitzer) avait été inventé par Frank Wisner, le chef du Bureau de
coordination politique (OPC), un groupe chargé d’opérations
paramilitaires et psychologiques, créé en 1948 et intégré à la CIA en
1951. Il se targuait de coordonner un réseau capable de jouer sur
demande n’importe quel air de propagande, le comparant ainsi au célèbre
orgue de théâtre Wurlitzer.
Le CIA sélectionnait ceux qui
pourraient s’orienter dans une direction socialiste, en ciblant des
groupes ayant des griefs contre le statu quo. Elle a choisi des
représentants de groupes ethniques, de femmes, d’Afro-américains,
ouvriers, d’intellectuels et d’universitaires, d’étudiants, de
catholiques et d’artistes pour en faire des groupes écrans
anticommunistes. Ces liens fournissaient à leur tour à l’agence la
couverture requise pour influencer d’importants secteurs de la
population mondiale.
Fait plutôt ironique, alors que l'Etat
menait ses chasses-aux-sorcières maccarthystes et dressait une Liste
d'Organisations Subversives, prétendument pour démasquer les « groupes
de façade » du Parti communiste, la CIA s'occupait précisément à créer
des groupes de façade afin d'intégrer des milliers d’Américains à leur
insu dans des opérations psychologiques clandestines.
Le livre
dévoile comment des syndicalistes, artistes, et membres des professions
libérales « radicaux » ou « ex-radicaux » se sont retrouvés à
l'intérieur de ce « Wurlitzer ». [4] Ceci incluait une couche d’anciens
membres ou compagnons de route du Parti communiste, dont le romancier
Richard Wright, qui, déçus par l’expérience faite avec ce parti
réactionnaire stalinisé, n’ont pas trouvé le chemin vers le trotskysme,
mais ont trouvé une place au sein de l’appareil de renseignement
américain.
L’agence a influencé ces groupes très hétéroclites et
parfois divisés grâce essentiellement à deux méthodes. La première était
l’octroi de vastes sommes d’argent, soit par l’intermédiaire
d’entreprises telles ITT, soit par des particuliers fortunés ou par des
fondations. La seconde consistait à formater les directions de ces
groupes écrans, et en faisant ensuite prêter aux dirigeants le serment
du secret.
Wilford explique comment ces serments étaient prêtés à
l'Association nationale des étudiants (NSA), contrôlée par la CIA. «
Lorsque la CIA jugeait nécessaire d'informer un responsable de bonne foi
[ignorant le contrôle de la CIA] de l'origine du financement de
l’organisation, elle organisait une réunion entre l’individu en
question, un collègue qui était au courant, et un ancien responsable de
la NSA devenu agent de la CIA. Sur un signal convenu à l’avance, le
responsable au courant quittait la pièce. L’agent de la CIA (encore
identifié comme étant un ex-NSA) expliquait que le responsable de bonne
foi devait prêter serment de discrétion avant d’être mis au courant de
secrets vitaux. Après que le responsable ait signé un engagement formel,
l’agent révèlait alors que la CIA jouait un rôle dans les affaires de
l'association. »
Les serments étaient pour de vrai. Une violation
était passible d’une peine de prison de 20 ans. Plus tard, certains des
collaborateurs dénoncèrent l’opération comme étant un piège et qu'ils
avaient « été induits en erreur lors de l’entrée en relation avec la
CIA. » D’autres ont exprimé un accord politique et/ou l’ont considéré
comme une bonne opportunité de carrière.
Les origines des groupes écrans de la CIA
Wilford
retrace les origines des groupes secrets financés par la CIA à la
réorganisation de l’Etat effectuée sous le président Harry S. Truman.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis étaient la force
économique, politique et militaire dominante, la classe dirigeante
américaine a vite cherché à profiter de cette position pour asseoir son
hégémonie mondiale.
Truman signe la loi qui créa la CIA et le Conseil de sécurité nationale (NSC)
Truman
a restructuré les forces armées et le renseignement américains pour
mener la Guerre froide, selon sa stratégie géopolitique surnommée «
Doctrine Truman ». Le Congrès, grâce au National Security Act de 1947,
avait établi la CIA, le premier appareil de renseignement permanent aux
Etats-Unis, et le Conseil de sécurité nationale (NSC). Dès ses débuts,
une controverse opposa ceux qui disaient que la CIA devait se limiter à
la collecte d'informations, et ceux qui disaient qu'elle devait aussi
mener des actions secrètes.
Les « interventionnistes »
(pro-action secrète) l’emportèrent, explique Wilford. George Kennan, le
diplomate auteur de la doctrine de l’« endiguement » (« containment »)
face à l’URSS, affirmait que les politiciens devaient surmonter l’«
attachement populaire au concept d’une différence fondamentale entre la
paix et la guerre » et adopter les actions secrètes comme partie
intégrante de leur stratégie mondiale.
George F. Kennan, défenseur des actions secrètes de la CIA
Kennan
préconisait des activités paramilitaires secrètes et la création de «
comités de libération » afin d’encourager des activités antisoviétiques
par des « éléments autochtones anticommunistes » dans des « pays menacés
du monde libre ». Selon Wilford, ces idées « ont guidé toutes les
opérations de première ligne des Etats-Unis durant premières cinq années
de la Guerre froide ».
La première cible du recrutement secret
furent les émigrés d’Allemagne, d’Europe de l’Est et d’URSS. Wilford
cite l'Opération « PAPERCLIP », l’acheminement vers les USA d’ancies
Nazis disposant d’un savoir-faire militaire ou technique. Il relève le
recours aux services du général nazi Reinhard Gehlen, le chef du
renseignement militaire d’Hitler sur le front Est, dont le réseau fut «
incorporé » au renseignement américain, puis au renseignement allemand.
La
fâcheuse tendance de Wilford de laver l’impérialisme américain réduit
la force de ses divulgations, notamment de celle du lien avec Gehlen.
Wilford en fait une narration plutôt sèche, mais Joseph Trento, auteur
de The Secret History of the CIA, décrit les faits ainsi :
«
… Gehlen convainquit [Alan] Dulles [le premier directeur civil de la
CIA, anciennement du Bureau des services stratégiques (OSS) et du Bureau
de coordination politique (OPC)] que les Etats-Unis devaient garantir
la protection de milliers de nazis de haut rang… ‘Rien n’est plus
important que de recruter ces nazis enfuis dans le monde entier… Vous
devez vous rappeler qu’on les considérait comme les anticommunistes les
plus déterminés… les autorités américaines étaient prêtes à recruter
n’importe quel nazi jugé utile… »
Trento cite Robert T. Crowley,
qui a joué un rôle significatif dans la gestion des nazis pour
Washington. Trento conclut par l’appréciation suivante : « Ce
partenariat entre les ex-nazis et l’OSS/CIA a dominé les activités
antisoviétiques américaines pendant trois décennies. » [5]
Wilford
n’est pas prêt à avancer de telles évaluations générales, mais il peut
dévoiler et d’exposer les détails des réseaux complexes montés par la
CIA. Ceci est particulièrement convaincant lorsqu’il remonte la piste de
l’argent, un aspect solide de The Mighty Wurlitzer et qui est de toute évidence le résultat de recherches assidues.
Wilford
montre comment la formule de financement du Comité national pour une
Europe libre (NCFE, créé par la CIA en 1949) est devenue un prototype.
On présentait le NCFE comme une organisation humanitaire et
indépendante, montée par des citoyens américains afin de secourir des
réfugiés d’Europe de l’Est. En fait, elle était dirigée par la CIA.
Afin
de justifier les bureaux cossus et les comptes en banque bien garnis du
NCFE, on monta une campagne de collecte de fonds, la Croisade pour la
liberté (« Crusade for Freedom »). Les fonds recueillis ne servaient pas
à couvrir les dépenses, payées par la CIA, mais à éviter que sa
richesse ne soulève des questions. L’expérience des campagnes du Conseil
de la publicité de guerre, qui avait « renforcé le moral des civils »
lors de la Seconde Guerre mondiale, servit ensuite à « vendre » la
Guerre froide. C’est de là que Radio Free Europe (Radio Europe libre)
est finalement issue.
Publicité pour la Radio Europe libre : «
Bien sûr que je veux combattre le communisme, mais comment » ? « Avec
des dollars de la vérité, voilà comment » !
Ad for Radio Free Europe
Le
NCFE fut la première d’une centaine d’organisations de ce genre à
apparaître en Europe de l’Est. Elles ont soutenu des projets «
scientifiques », leur propre maison d’édition, et une multitude de
conseils nationaux de minorités ethniques aux Etats-Unis. Elles ont
aussi acheminé de l’argent à des organisations pro-fascistes « telles
l’Assemblée des nations européennes captives » de Brutus Coste.
La
CIA a poursuivi en ciblant davantage de groupes d’adversaires
idéologiques potentiels. Ce compte-rendu examinera quelques unes de ces
opérations afin de donner une idée de l’ampleur et de la portée de la
crainte de la révolution sociale éprouvée par le gouvernement américain
et de la préoccupation de la CIA d’encourager l’anticommunisme.
Les journalistesAujourd'hui,
la suppression d’informations et la collusion de journalistes avec la
CIA passent à peine pour une révélation. Néanmoins, le livre met en
exergue la profondeur de cette relation depuis le tout début des
opérations de la CIA.
En 1977, Carl Bernstein a calculé que
depuis 1952, quelques 400 journalistes avaient travaillé pour la CIA.
Mais Wilford écrit correctement que le nombre de journalistes
qui écrivaient de la propagande gouvernementale était bien moins
important que la collaboration institutionnelle entre la CIA et les
grands médias.
L’auteur indique qu’Arthur Hays Sulzberger, l'éditeur du New York Times,
était un ami proche du directeur de la CIA Allen Dulles et avait signé
un accord secret avec l’agence. En vertu de cet arrangement, le Times a fourni des couvertures de journaliste ou de correspondants à au moins dix agents de la CIA ; le Times encourageait
aussi ses employés à faire de l'espionnage. Dulles entretenait des
relations avec les médias, qu'il considérait être d’excellentes sources
d’informations à l’étranger.
Selon Wilford, le chef des
informations de la chaîne Columbia Broadcasting System appelait si
souvent le quartier général de la CIA que, lassé d'avoir à quitter son
bureau pour passer l'appel, il a fait installer une ligne privée pour
contourner le standard téléphonique.
Une troisième voie de
diffusion des « informations » de la CIA étaient les agences de presse,
dont l’Associated Press et l’United Press International, ainsi que
l’opération interne de la CIA, la « Forum World Features. »
Il y avait aussi les magazines. Tout comme le New York Times, le Time
de Henry Luce fournissait aux agents de la CIA des cartes de presse.
Selon, Wilford « en général… la collaboration était si réussie qu’il
était difficile de dire exactement où se terminait le réseau de
renseignement outre-mer de Luce et où celui de la CIA commençait. »
Il
y avait aussi les services indispensables à l’Association des
journalistes américains (ANG), le syndicat des journalistes. L’ANG fut
un membre fondateur de la Fédération internationale des journalistes,
une fédération de syndicats anticommunistes établie en 1952 à Bruxelles
pour s’opposer à la Fédération internationale des journalistes, marquée à
gauche.
Financée par les syndicats américains mais lancée par la
CIA, l’ANG a monté une campagne destinée aux journalistes africains et
asiatiques. Un de ses représentants dirigeait l’Inter-American
Federation of Working Newspapermen’s étroitement liée au front syndical
de la CIA en Amérique latine, l’Institut américain pour le développement
libre du travail (AIFLD). Ces groupes prodiguaient un grand nombre de
services gratuits, techniqus ou éducationnels, financés par des
fondations intermédiaires liées à la CIA.
Les étudiants
Redoutant
l’attraction qu’exerçait le socialisme sur les jeunes, la CIA a établi
dès le début une présence sur les campus universitaires. En 1947, elle a
formé l'association nationale des étudiants (NSA) des Etats-Unis, et
ensuite un service international estudiantin d’information, afin de
doter le NSA d'attaches à l’étranger. Wilford décrit comment la CIA a
formé et passé au crible tous les agents du NSA. Beaucoup d'entre eux
ont ensuite poursuivi des carrières à la CIA.
La NSA animait des
séminaires annuels sur les relations internationales et octroyait des
bourses à des étudiants venus de « pays en voie de développement »,
ainsi que pour de longs voyages à l’étranger. En 1967, elle comptait 400
organisations sur les campus américains.
La CIA et le NSA ont
aussi parrainé des festivals internationaux de jeunesse pour « sauver la
jeunesse du tiers monde des griffes des propagandistes communistes. »
Gloria Steinem fut l’icône féministe à la tête de cette opération. Elle
avait accepté un poste rémunéré comme directrice de l’Independent
Service for Information, « une opération de la CIA du début à la fin, »
selon Wilford, et mise en œuvre « sciemment. » Parmi ses compatriotes y
figurait Zbigniew Brzezinski, un diplômé de Harvard qu’elle décrivait
comme « un membre vedette de l’Independent Service », et qui allait
deveinr un des principaux stratèges de l'impérialisme américain.
Gloria Steinam, 1987
Dans une partie très pertinente de The Mighty Wurlitzer, Wilford
explique comment les professeurs, notamment des universités d’élite «
Ivy League », ont servi de recruteurs pour l’agence. L’auteur s
concentre sur les activités de William Y. Elliott de Harvard, un
professeur du département du gouvernement qui était aussi le doyen de la
célèbre Ecole d’été de Harvard.
Elliott a activement « branché »
des étudiants choisis dans les opérations de la CIA. Il a utilisé la
prestigieuse Ecole d’été pour élargir le recrutement international de la
CIA. Parmi les diplômés de Harvard « encadrés » par Elliott se trouvait
Henry Kissinger, qui a joué un rôle éminent dans les cours d’été et qui
s’en est servi pour entamer sa carrière gouvernementale.
Dans sa
conclusion, l’auteur écrit que ces opérations universitaires ne sont de
toute évidence pas terminées, mais sont en hausse. Il donne l’exemple
des résultats de la commission Church (Church Committee) [6] de l’«
utilisation opérationnelle » par la CIA d’universitaires individuels,
dont « des rôles de premier plan et des mises en contact à des fins de
renseignement, de collaboration dans le domaine de la recherche et de
l’analyse, de collecte de renseignements à l’étranger et de la
préparation de livres et autre matériel de propagande. »
Les syndicats: l'AFL-CIO et l’« AFL-CIA »
Les
opérations anticommunistes menées en Europe par le syndicat American
Federation of Labor ont débuté en 1944 avec le Comité des Syndicats
Libres (FTUC). Le FTUC était financé par le syndicat américain de la
confection féminine (International Ladies’ Garment Workers’ Union)
dirigé par David Dubinska, et géré par Jay Lovestone, l’ancien
secrétaire national du Parti communiste américain devenu anticommuniste,
et par son protégé Irving Brown. Brown avait travaillé pour l’OSS
durant la Seconde Guerre mondiale. Lorsque l’OSS fut dissout, Brown et
Lovestone ont dirigé ses opérations, en se vantant que « nos relations
et nos programmes syndicaux ont pénétré tous les pays d’Europe. »
Jay Lovestone à droite, rangée arrière
D’ici
janvier 1949, le budget du FTUC venait de fonds de la CIA déguisés en
dons privés. A la fin de l’année, la part de ses revenus provenant des
cotisations ouvrières avait été éclipsée par l’argent de la CIA, blanchi
par Lovestone à New York et transféré via divers comptes en banque.
L’argent fut versé à des syndicats anticommunistes à travers l'Europe,
dont Force ouvrière (né d’une scission d’avec le syndicat CGT dominé par
le Parti communiste français, PCF) et le Comité de Vigilance
méditerranéen en France, les syndicalistes sociaux-démocrates en Italie,
y compris la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori, et
l’Organisation centrale des syndicats finlandais. Il y eut d’autres
opérations organisées en dehors de l’Europe, telles l’Alliance centrale
syndicale pan-indonésienne.
Il y eut cependant une autre demande
de licence. Victor Reuther, le frère du président de l’UAW, Walter, a
ouvert un bureau à Paris. Le syndicat de l’automobile UAW, adhérent du
CIO et réputé combatif, passait mieux à l’étranger que le « syndicalisme
corporatiste » discrédité de l’AFL ; ainsi l’UAW était plus à même de
fournir à la CIA des contacts au sein du mouvement ouvrier.
Le
début de la fin du parrainage par la CIA de l’AFL eut lieu le 20
novembre1950. Le directeur de l’agence de renseignement, Walter Bedell
Smith, et Frank Wisner rencontrèrent Lovestone, le secrétaire-trésorier
de l’AFL, George Meany, David Dubinsky, et le vice-président de l’AFL,
Matthew Woll, pour décider quelle syndicat mènerait les opérations
secrètes de la CIA.
Meany a vigoureusement dénoncé le CIO, en «
citant des dates, des noms et des lieux » de l’infiltration de son rival
par les communistes, mais en vain. Le directeur adjoint de la CIA, Alan
Dulles, a déclaré qu'il « s’intéressait fortement au mouvement syndical
» et croyait que le CIO devrait être impliqué dans les opérations
secrètes de la CIA.
Les recherches de Wilford montrent le
directeur des affaires internationales du CIO, Mike Ross, a acheminé des
milliers de dollars de la CIA vers les opérations parisiennes de Victor
Reuther.
Les Afro-Américains
La répression et les
meurtres de militants des droits civiques américains au début des années
1950, avec la diffusion d’images où la police utilisait les chiens et
les canons à eau contre des manifestants, ont miné les tentatives de
Washington d’étendre son influence en Afrique.
C’était là une
préoccupation majeure, alors que l'impérialisme européen se faisait
expulser de ses colonies et que le mouvement anticolonial se propageait
comme une trainée de poudre. « Dans ce contexte, les agences du
gouvernement américain, y compris la CIA, ont commencé à auditionner un
peu partout pour le rôle de dirigeants noirs américains qui pourraient
brosser un tableau positif des relations raciales de leur pays, et aider
les pays africains nouvellement indépendants à se détourner du camp
communiste, » écrit Wilford dans le chapitre sur le recrutement
d’Afro-Américains par la CIA.
La principale opération fut
l’American Society of African Culture (AMSAC). Après une réunion en 1954
au domicile de l’ancien secrétaire exécutif du NAACP (National
Association for the Advancement of Colored People), Walter White, à
laquelle participèrent Eleanor Roosevelt et Victor Reuther, on fonda une
organisation permanente afin de « minimiser parmi les Africains
l’anticolonialisme socialiste en faveur de l’anticommunisme libéral. »
De
nombreux Américains qui admirent Richard Wright pour son honnêteté
littéraire et sa volonté de mettre à nu la brutalité du racisme furent
surpris d’apprendre qu’il avait rejoint le groupe écran de la CIA.
Wright s'est présenté à l'ambassade américaine à Paris et offrert ses
services pour « combattre les tendances gauchistes » lors d’un congrès
international des écrivains et artistes noirs (Congress of Negro Writers
and Artists) en 1956. Selon Wilford, il s’était rendu à plusieurs
reprises à l’ambassade pour discuter comment « contrecarrer l’influence
communiste. »
Richard Wright
Wright
trouva l’argent et organisa depuis les Etats-Unis une équipe de 5
personnes pour participer au congrès de Paris. Quant à W.E.B. Du Bois,
il se vit refuser l’octroi d’un passeport et publia une déclaration
cinglante : « Tout Negro-Américain se rendant de nos jours à l’étranger
doit… dire ce que le Département d’Etat veut qu’il dise. »
Le
groupe de Paris créa la Société africaine de Culture (SAC). La création
de l’American Society of African Culture (AMSAC) suivit en juin 1957. Le
financement était typique : les fonds de la start-up provenaient de
Matthew McCloskey, un magnat du bâtiment de Philadelphie et un avocat de
Wall Street, et Bethuel Webster (qui aux années 1950 avait contribué à
mettre en place l’American Fund for Free Jurist pour véhiculer les fonds
vers l’International Commission of Jurists.)
L’AMSAC
avait plusieurs objectifs. Il faisait de la propagande, dont une série
de publications très ambitieuses ; il organisa des conférences annuelles
auxquelles participait une série de brillants intellectuels, artistes
et interprètes noirs (Nina Simone, Lionel Hampton, etc.) ainsi que des
festivals parrainés à la fois par les Etats-Unis et l’Afrique.
L'AMSAC
a aussi aidé la CIA dans ses tentatives plus impitoyables d'écraser la
combativité africaine. Suite au meurtre aux mains de la CIA du président
congolais Patrice Lumumba, l’agent de l’AMSAC, Ted Harris, fut muté de
son bureau de New York à Léopoldville dans le but « d’entraîner les
politiciens locaux dans les techniques administratives occidentales. »
Wright
fut finalement déçu. En novembre 1960, il prononça un discours
surprenant à l’Eglise américaine de Paris qui dénonçait Washington pour
avoir espionné les expatriés et tenté de les museler. « Je dirais que la
plupart des mouvements révolutionnaires à l'Occident sont parrainés par
des gouvernements, » a dit Wright au public. « Ils sont lancés par des agents provocateurs
dans le but d’organiser les mécontents pour que le gouvernement puisse
garder un œil sur eux. » Il laissa entendre qu'il ferait de nouvelles
révélations à venir, puis mourut dans une clinique parisienne quelques
semaines plus tard à l’âge de 52 ans. Selon l’auteur, des rumeurs
circulèrent qu’il avait été assassiné.
La dernière opération
menée avec succès par l’AMSAC fut une vaste tournée du défenseur des
droits civiques James Farmer en Afrique, destinée à contrer l’impact des
visites précédentes de Malcom X. Ave l’aide de Carl T. Rowan, le
premier Afro-Américain à siéger au Conseil de sécurité nationale, Farmer
arriva en janvier 1965 en Afrique. Il se rendit dans neuf pays, eut des
entretiens avec presque tous les chefs d’Etat, donna des cours aux
étudiants, rencontra des membres du parlement et intervint devant les
syndicats.
Les femmes
Entre 1952 et 1966, la CIA
finança et coordonna un groupe secret de femmes, le Committee of
Correspondence (Comité de correspondance), avec une devise bien ironique
: « La vérité vous rendra libre. » (« The Truth Shall Make You Free. »)
Au
départ, le groupe débitait de l’anticommunisme primaire, avec des
communiqués et des bulletins qui accusaient l’URSS de contraindre les
femmes à travailler pour que l’Etat puisse exercer « un contrôle absolu
sur l’enfant », etc. Les inquiétudes de l'Etat quant au mouvement
anticolonial montait, toutefois, et le comité organisa des activités en
Iran, en Afrique et en Amérique du Sud.